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RUINES DE CHICHEN-ITZA

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À Chichen-Itza, nous voyons une de ces pyramides de maçonnerie couronnée de son édifice, pl. XXXII, auquel on donne aujourd'hui le nom du château. Vu de près, l'un de ces monuments, appelé la Prison, pl. XXXI, présente une construction assez mal faite composée d'un blocage revêtu d'un parement en gros moellons irrégulièrement taillés et posés. On observera que les baies de cet édifice consistent en des pieds-droits verticaux avec linteaux de pierre; que le couronnement présente une combinaison de méandres formés de petites pierres juxtaposées et scellées au blocage au moyen du mortier. Des pierres plus fortes soutiennent les angles; mais cet édifice est un des moins bien construits de l'Yucatan. Le monument de Chichen-Itza, connu sous le nom du Cirque, pl. XXXIV, nous montre un appareil plus grand et dont une partie est couverte de sculptures. Sur une frise, comprise entre deux assises de rinceaux, sont figurés des tigres se suivant, ou affrontés deux par deux et séparés par des couronnes, contenant de petits disques percés. Bien que les parements de cet édifice soient mieux faits que ceux de la Prison, cependant on observera que les joints des pierres ne sont pas coupés conformément à l'habitude des constructeurs d'appareils, mais que les pierres, ne formant pas liaison, présentent plusieurs joints les uns au-dessus des autres et ne tiennent que par l'adhérence des mortiers qui les réunit au blocage intérieur. Par le fait, ces parements ne sont autre chose qu'une décoration, un revêtement collé devant un massif. Toutefois, rien dans cette construction n'indique une tradition de structure en bois. C'est un blocage revêtu, tandis que dans la plupart des autres monuments de l'Yucatan, la structure de bois apparaît dans les bâtisses de pierre, particulièrement dans ceux d'Uxmal, que nous allons examiner tout à l'heure.

On voit sur la face du bâtiment du Cirque, pl. XXXIV, au-dessous de l'assise des entrelacs inférieurs, cinq trous circulaires. Ces trous, que nous retrouverons plus apparents encore dans d'autres monuments du Mexique, paraissent avoir été réservés pour recevoir des boulins ou grosses perches de bois, auxquelles étaient attachées des bannes, afin de former autour de l'édifice un portique couvert d'étoffes ou de nattes. Mais une des salles intérieures du Cirque nous fournit un ample sujet d'observations. Cette salle, pl. XXXIII, donne en coupe transversale la section fig. 2. Les parements (mal appareillés, comme ceux de l'extérieur) sont entièrement revêtus d'une série de sculptures plates, représentant des hommes armés combattant des serpents et des tigres. Si la signification de ce bas-relief est obscure, les types des têtes, les costumes, les armes des personnages, donnent de précieux renseignements. On remarque tout d'abord que les traits de la plupart de ces personnages ne

Fig 2.

rappellent nullement les profils des figures de Palenqué, ou ceux que l'on prête aux races indigènes du Mexique si souvent reproduits par des terres cuites recueillies en grand nombre dans ces contrées. Ainsi, fig. 3, nous donnons une copie fidèle de ces terres cuites que M. Charnay a bien voulu déposer entre nos mains, et fig. 3 bis, une tête d'un indigène, copiée par une photographie. Il est clair que ces deux types appartiennent à une même race ou à un même mélange de sang. La terre cuite, qui est d'une époque fort ancienne, et le sujet nouveau présentent les mêmes caractères; front étroit, naissance du nez mince et déprimée, sourcils rapprochés, paupières supérieures recouvrant fortement l'angle externe de

Fig 3.

l'œil, os du nez saillant, narines maigres, anguleuses,

Fig 3 bis.

ouvertes; pommettes plutôt anguleuses que saillantes, joues plates, bouche large, abaissée vers ses extrémités, lèvres grosses et coupées nettement, os maxillaire se relevant sous la bouche. Or, ce type de Mexicain, donné fig. 3 bis, est fréquent, et parmi nos photographies, nous en possédons plusieurs qui conservent ce même caractère bien tranché. Nous ne pouvons donc mettre en doute l'exactitude des traits reproduits par cette terre cuite, puisque, encore de nos jours, ce type s'est conservé. À côté de ces types, nous donnons, fig. 4, le fac-simile d'une photographie

Fig 4.

faite à Mexico: c'est un jeune sujet femelle. Ici le caractère de la race finnique est des plus prononcés; front bas, angle externe de l'œil relevé, nez court, pommettes hautes, bouche large, lèvre supérieure épaisse et coupée nettement, éloignée du nez, menton fuyant, base du visage large; et ce sujet n'est pas le seul, nous en possédons un certain nombre qui présentent les mêmes caractères et qui tous appartiennent à la plus basse classe de Mexico. Le sujet fig. 3 bis se rapproche du type des figures de Palenqué, quoique, dans celles-ci, les angles externes des yeux soient relevés et le menton fuyant. Mais voici, fig. 5, une copie

Fig 5.

faite à la loupe, aussi exactement que possible, d'une des têtes les mieux conservées du bas-relief de Chichen-Itza[40]. Le profil du guerrier représenté ici se rapproche sensiblement des types du nord de l'Europe, et l'influence toujours si apparente du sang jaune ne s'y fait pas sentir. Dans le même bas-relief, nous voyons cependant des personnages dont les traits paraissent beaucoup moins purs. Quelques-uns ont un appendice qui leur traverse le nez, l'un d'eux même[41] semble avoir devant les yeux une paire de besicles saillantes comme le seraient de petites lorgnettes dites jumelles. En effet, dans la dissertation de M. l'abbé Brasseur de Bourbourg, sur le Livre sacré[42], nous lisons ce passage.

«Dans l'inscription des divers calendriers d'origine nahuatl, le premier après Cipactli (Imox)[43], c'est Ehecatl (Ig, dans l'Amérique centrale), l'esprit, le souffle qui anime tout, le vent de la nuit; Opu ou l'invisible, personnification, sans doute, de Hurakan, l'ouragan, appelé aussi le Cœur de la Mer, le Cœur du Ciel, le Centre de la Terre, où il souffle la tempête. On lui prête, par conséquent, les mêmes attributs qu'à Tlaloc (le Fécondateur de la terre), représenté la foudre à la main et commandant aux orages; puis ceux de Xiuhteuctli (le Maître du feu ou de l'année), et aussi ceux de Tetzcatlipoca (celui du miroir fumant?), lançant la foudre et qui souvent paraît avec de grandes lunettes devant les yeux. Cependant, par l'effet d'une transition assez ordinaire dans cette théogonie, Ehecatl, l'esprit ou le vent, se personnifie dans Quetzalcohuatl; celui-ci devient alors le dieu de la pluie; ensuite il se trouve chargé de balayer les nuages devant Tetzcatlipoca, qui devient le soleil, Tonatiuh le resplendissant, dans la langue nahuatl.»

Tous les personnages représentés sur le bas-relief intérieur du Cirque sont richement vêtus, coiffés de casques ornés de plumes et très-variés de forme. Dans la main gauche, ils portent un paquet de javelines, et leur main droite tient une sorte de massue. Une garde, comme un épais bracelet, entoure leur poignet. En examinant scrupuleusement ces masses d'armes, on distingue à leur extrémité comme une pierre ou un morceau de métal engagé dans une enveloppe volumineuse composée de deux parties (voir la fig. 6 grossie à la loupe). De quelle matière étaient ces enveloppes? C'est ce qu'il est difficile de dire; leur bord est strié comme pour indiquer une fourrure ou une masse de bois rayée sur les côtés. Quelques-unes de ces armes sont munies d'un manche; d'autres ont un anneau qui sert à les tenir avec deux doigts seulement.

Le Livre sacré, dont l'importance historique s'accroît en analysant les planches de M. Charnay, nous fournit, au sujet de ces masses d'armes, un renseignement curieux. Quatre tribus quichées sont retranchées

Fig 6.

sur le mont Hacavitz, personnifiées en Balam-Quitzé, Balam-Agab, Mahucutah et Iqi-Balam. Les populations de la plaine se réunissent pour les attaquer; mais celles-ci, arrivées au pied de la montagne avant la nuit, font halte et s'endorment[44]. «Tous ensemble donc ils firent halte dans la route; et, sans qu'ils s'en aperçussent, tous finirent par s'endormir; après quoi on commença (les quatre personnages quichés) à leur raser les sourcils avec leurs barbes; on leur enleva le riche métal de leur col, avec leurs couronnes et leurs ornements; mais ce ne fut que la poignée de leurs masses qu'ils prirent en fait de métal précieux; on le fit pour humilier leurs faces et pour les prendre au piége, en signe de la grandeur de la nation quichée. Ensuite, s'étant réveillés, ils cherchèrent aussitôt à prendre leurs couronnes, avec la poignée de leurs masses, mais il n'y avait plus d'argent ou d'or à la poignée, ni à leurs couronnes.....» Quelques-unes des masses d'armes représentées entre les mains des personnages du bas-relief du Cirque de Chichen-Itza sont, en effet, garnies d'ornements à la poignée.

Pour la facilité des lecteurs, nous donnons, fig. 7, deux des casques ou bonnets chargés de plumes de ces guerriers, soigneusement copiés à la loupe sur la photographie de M. Charnay. L'un de ces bonnets semble couvert d'une fourrure crépue comme sont les bonnets portés par les Persans de nos jours. Ces coiffures sont maintenues sous le menton au moyen d'une jugulaire garnie d'une large oreillère ronde. Les ornements qui sont attachés aux narines de quelques-uns des personnages de ce bas-relief étaient probablement en pierre, car on en conserve plusieurs, dans les collections de Mexico, qui paraissent avoir été destinés à cet usage; ce sont des morceaux d'obsidienne finement taillés. On observera aussi que le personnage portant une paire de lunettes, armé également


Fig 7.

d'une massue, tient son paquet de javelines sous une cape. Tous les guerriers sont très-vêtus, chaussés de bottes longues et amples avec un bourrelet à la hauteur de la cheville. Le caractère de cette sculpture présente un singulier mélange de barbarie comme dessin et de délicatesse comme exécution. Les figures sont lourdes, leurs gestes sont gauchement exprimés, et les détails de la sculpture indiquent un art avancé, presque voisin de la décadence. La porte d'une autre salle du même monument est terminée, à sa partie supérieure, par deux linteaux d'un bois dur, rougeâtre, et qui provient de l'arbre nommé en espagnol zapote colorado. Ces linteaux, qui sont parfaitement conservés, grâce à l'extrême sécheresse de l'atmosphère dans la péninsule de l'Yucatan, sont couverts de gravures. L'intérieur est peint, et les couleurs employées sont le rouge, le noir, le jaune et le blanc. Du reste, presque toutes les baies des monuments de l'Yucatan sont ainsi terminées par des linteaux du même bois; car les constructeurs de cette contrée, comme on peut le reconnaître facilement, n'employaient pas de matériaux d'un fort volume; ils se fiaient à la bonté de leurs mortiers pour maintenir les parements extérieurs mal liaisonnés et ces encorbellements qui composent les salles. Ces mortiers sont faits avec une chaux hydraulique presque pure, et ont une si complète adhérence, soit dans les massifs, soit même lorsqu'ils sont appliqués comme enduits, comme à Palenqué, qu'à peine si le marteau peut les entamer. On les employait avec profusion, car il existe encore quelques routes antiques dont la chaussée est entièrement revêtue d'un ciment très-dur.

Les pl. XXVI, XXVII, XXVIII, XXIX et XXX, représentent les divers aspects d'un des monuments de Chichen-Itza, désigné sous le nom de Palais des Nonnes. L'architecture de cet édifice est plus franche que celle de la Prison et du Cirque. La façade, pl. XXX, est même d'un beau caractère, et la composition de la porte avec le bas-relief qui la surmonte est pleine d'une grandeur sauvage, d'un effet saisissant. Mieux traité que dans les exemples précédents, l'appareil des parements est plus régulier, et il présente cette particularité très-remarquable qu'il s'accorde exactement avec la décoration. Ainsi, les méandres, les têtes monstrueuses qui garnissent les parois et les angles, sont composés au moyen de pierres juxtaposées formant chacune un membre de l'ornement. Le menton, les moustaches, les joues, le nez, les prunelles des yeux, les sourcils et le bandeau frontal sont autant de morceaux présentant une sorte de mosaïque saillante et sculptée.

Nous allons retrouver cet ornement bizarre répété à satiété sur les parois des monuments de l'Yucatan. Mentionnons, pl. XXVII et XXIX, ces treillis de pierre qui figurent des claires-voies de bois sur un des soubassements et sur une frise du Palais des Nonnes. Constatons aussi la présence de ces consoles sur le linteau de la porte, pl. XXX, qui semblent figurer des bouts de solives. Ces caractères particuliers et la perfection relative des tailles des parements doivent faire supposer que ce Palais est d'une époque un peu postérieure à la Prison et au Cirque, ou du moins qu'il a été élevé sous une influence nouvelle. Mais poursuivons l'examen des photographies, nous reviendrons ensuite sur les observations que cet examen fait naître.

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