Читать книгу Cités et ruines américaines: Mitla, Palenqué, Izamal, Chichen-Itza, Uxmal - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc - Страница 5
ОглавлениеQuatre personnages, Balam-Quitzé, Balam-Agab, Mahucutah et Iqi-Balam, veulent partir pour aller chercher ce qui leur manque; une arche pour renfermer leurs symboles, le feu qui doit brûler devant. Une ville seule les suit. Ils arrivent à la ville des Sept-Grottes, Sept-Ravins, Tulan-Zuiva. Là, les quatre personnages reçoivent un dieu principal Tohil, trois autres dieux et le feu. D'autres tribus les suivent et viennent à leur tour à Tulan réclamer les dieux et le feu. Mais bientôt Tohil, le dieu, réclame les sacrifices humains pour accorder le feu; une seule tribu résiste à la demande du dieu, toutes les autres fournissent des victimes, elles partent de Tulan et se dirigent vers l'ouest. Leur voyage est pénible, elles séjournent longtemps sur la montagne Chi Pixab portant leurs dieux avec elles. Les tribus se séparent sur le conseil de Tohil, elles vont dans le bois et placent leurs divinités sur des pyramides (mot à mot: à la cime d'une maison de feu) et fondent des villes autour. Enfin l'aurore paraît; le soleil se lève en Tohil, en Avilix, en Hacavitz[33]. L'auteur du Livre sacré[34][39] fait alors une description poétique de cette apparition de l'astre du jour. Ce chapitre, l'un des plus remarquables, est empreint d'une certaine grandeur. Les animaux eux-mêmes sortent des ravins, des eaux, s'élèvent sur les sommets et tournent leurs têtes du côté où s'avance le soleil; les sacrificateurs sont prosternés; les nations sont toutes dans l'attente. Mais voici un passage d'un grand intérêt: «Avant que le soleil se manifestât, fangeuse et humide était la surface de la terre, et c'était avant que parût le soleil; et alors seulement le soleil se leva semblable à un homme.—Mais sa chaleur n'avait point de force, et il ne fit que se montrer lorsqu'il se leva; il ne resta que comme (une image) dans un miroir, et ce n'est pas véritablement le même soleil qui paraît aujourd'hui, dit-on dans les histoires.—Aussitôt après cela (le lever du soleil), Tohil, Avilix et Hacavitz se pétrifièrent, ainsi que les dieux du Lion, du Tigre et de la Vipère, du Quanti, du Blanc Frotteur de Feu; leurs bras se cramponnèrent aux branches des arbres, au moment où se montrèrent le soleil, la lune et les étoiles; de toutes parts devint pierre...»
D'où sont venues ces traditions qui semblent remonter aux époques antérieures à l'existence de l'homme? et ces dieux changés en pierre? Est-ce une figure indiquant, par le lever de l'aurore, le commencement d'une civilisation ou l'arrivée des tribus sous une latitude moins septentrionale, et, par la pétrification des divinités, l'origine d'un culte des idoles de pierre substituées à l'adoration d'êtres invisibles? Il ne faut pas, il est vrai, prendre le Livre sacré pour une œuvre des temps primitifs, mais pour une compilation de documents de différentes époques rassemblés sans ordre et sans critique; cependant ces documents ont avec les monuments qui nous occupent des affinités si intimes que l'on ne saurait les négliger. Tous ceux qui s'occupent d'histoire et d'archéologie savent combien les traditions sont respectables et combien elles doivent être consultées lorsqu'on cherche la vérité; or, le Popol-Vuh, le Livre national ou le Livre sacré, traduit avec tant de soin et de conscience par M. l'abbé Brasseur de Bourbourg, est sinon une œuvre originale, d'une antiquité incontestable, au moins un recueil de traditions précieuses. Certains passages de ce livre ont avec les histoires héroïques de l'Inde une singulière analogie.
Ainsi dans l'origine, les Hindous ne bâtissaient pas en l'honneur de la divinité; aux yeux des castes supérieures primitives de l'Inde, toute réalité extérieure est mauvaise et périssable. Dans la plus haute expression de la sagesse, l'Hindou se replie au dedans de lui-même et reste abîmé dans la contemplation de l'esprit qui réside dans les plus secrets replis du cœur. Le brahmane orthodoxe n'a pas besoin, pour prier ou sacrifier, d'un lieu spécialement approprié au culte. Le vrai temple de la divinité, c'est la forêt silencieuse; le tabernacle, c'est le cœur de l'homme où Dieu lui-même est présent. Le sage reste absorbé en lui-même. Mais le peuple, qui ne saurait atteindre à la hauteur de cet idéalisme, a besoin de figures pour comprendre; il met à la place de Brahma une série de dieux créés qui sont les attributs divers du Dieu créateur.
Nous trouvons, dans les traditions grossières du Popol-Vuh, ces esprits supérieurs, comprenant tout, n'ayant pas de culte et vivant dans la contemplation, l'attente de la lumière, le besoin d'un culte pour la foule, la révélation d'un Dieu supérieur et de dieux secondaires qui ne sont que des attributs de la puissance suprême, les arches ou tabernacles visibles de ces divinités. Les dieux sortent de la ville aux sept grottes, et les arches qui les renferment ou les symbolisent sont déposées au milieu des forêts solitaires. De même dans l'Inde, les grottes sont les sanctuaires ou plutôt les symboles de la divinité; elles sont éclairées par des torches allumées au feu sacré, extrait du bois qui le recèle et ravi de force par le frottement. Ces grottes sont un symbole du dieu obscur, nu et vide, dont les formes ne nous apparaissent dans la création, qui seule se révèle, qu'à la clarté fugitive du Maya. Il est impossible de ne point être frappé de l'analogie qui existe entre les idées brahmaniques sur la divinité et les passages du Popol-Vuh cités plus haut.
Mais si nous consultons les traditions beaucoup plus récentes, conservées même après l'établissement du christianisme en Suède, nous trouverons encore, entre les coutumes religieuses des populations de ces contrées et celles qui nous sont retracées dans le Popol-Vuh, plus d'un rapport.
Adam de Brême, dans son Histoire ecclésiastique, parle ainsi des peuples scandinaves[35]: «La nation des Suédois a un temple célèbre, celui d'Upsal, non loin de la ville de Sictona ou Birka. Dans ce temple, qui est tout orné d'or, le peuple vénère les statues de trois dieux, dont le plus puissant, qui est Thor, occupe seul, au milieu, le triclinium. À droite et à gauche sont Wodan et Fricco. Voici leur signification: Thor, disent-ils, règne dans l'air et gouverne les tonnerres et les éclairs[36], les vents et les pluies, les temps et les productions de la terre. Le second, Wodan, c'est-à-dire le fort, préside à la guerre et inspire le courage des hommes contre les ennemis. Le troisième est Fricco, qui accorde aux mortels la paix et les plaisirs, et qui est représenté par un grand phalle. Quant à Wodan, ils le façonnent tout armé, comme les nôtres ont coutume de représenter Mars. Thor, lui, avec son sceptre, semblait reproduire Jupiter. Ils honorent aussi des hommes élevés au rang des dieux et que, pour leurs grandes actions, ils ont gratifiés de l'immortalité[37], comme est dit avoir fait le roi Éric dans la vie de saint Ansgar, c'est-à-dire qu'ils assignent à tous les dieux des prêtres chargés d'offrir les sacrifices du peuple. Si l'on est menacé de la peste ou de la famine, on sacrifie à l'idole de Thor; si c'est de la guerre, on sacrifie à Wodan; s'il s'agit d'un mariage, à Fricco. Tous les neuf ans, on a coutume de célébrer une solennité où se réunissent toutes les provinces de la Suède: personne n'est dispensé de s'y rendre. Les rois et tout le peuple envoient leurs offrandes à Upsal, et, ce qu'il y a de plus douloureux au monde, ceux qui ont embrassé le christianisme se rachètent par ces cérémonies. Le sacrifice consiste à offrir neuf têtes d'hommes ou d'animaux mâles de toute espèce, par le sang desquels on a coutume de fléchir ces dieux. Leurs corps sont suspendus dans le bois qui est voisin du temple[38]. Ce bois est tellement sacré pour les païens, qu'ils en croient tous les arbres divins, comme étant nourris du sang des victimes. Il y a des chiens suspendus avec des hommes: un chrétien m'a dit avoir vu soixante-dix corps d'hommes ou d'animaux mêlés ensemble qui pendaient aux arbres. Du reste, il se pratique dans ces cérémonies une foule d'autres choses pour la plupart déshonnêtes, et que, pour cela, nous passerons sous silence[39]...»
Soit que l'on considère les nombreuses migrations qui, du nord, sont descendues vers l'Amérique centrale comme étant venues par le détroit de Behring ou par le Groenland, c'est-à-dire du nord-ouest ou du nord-est, toujours est-il qu'il existe entre les idées religieuses, les habitudes et les mœurs de ces tribus émigrantes et celles des populations antiques descendues des plateaux septentrionaux de l'Asie, des rapports frappants.
Examinons donc les monuments. Nous avons dit précédemment que ces monuments ne pouvaient appartenir ni à une seule époque, ni à une seule race. À nos yeux, les monuments de Palenqué seraient les plus anciens; ils seraient dus à une race déjà mêlée cependant d'aborigènes ou d'indigènes jaunes et des premières migrations blanches, aux Olmécas. Ceux de l'Yucatan auraient été élevés après l'invasion de la puissante émigration blanche des Quichés dans l'empire de Xibalba; ceux de Mitla, au départ de certaines tribus quichées de Tulan et à leur établissement postérieur à la conquête de Xibalba. C'est ce que nous tenterons de démontrer, après avoir décrit les curieuses ruines qui nous occupent. Les monuments de l'Yucatan, quoique bâtis, pensons-nous, dans l'espace d'un siècle à peine, présentent entre eux des dissemblances de style qui nous obligent à les classer séparément.