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VI.

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Table des matières

L’Empire était dans les vœux de la nation, et l’entourage du Premier Consul s’agitait autour de lui pour faire résoudre à l’avance la question d’hérédité.

2 Cette question fut résolue, dit M. Aubenas, d’une façon qui semblait concilier les convenances du présent avec les nécessités de l’avenir, les justes prétentions de la famille Bonaparte avec les sentiments et même les intérêts de Joséphine. A défaut d’enfants de l’Empereur, la dignité impériale fut déclarée héréditaire dans la famille du Premier Consul, c’est-à-dire dans les lignes de Joseph et de Louis, les deux autres frères se trouvant exclus par suite de leurs mariages; mais on donna à Napoléon la faculté de choisir un successeur par la voie d’adoption parmi les enfants de ses frères. On lui attribua, en outre, un pouvoir absolu sur les membres de sa famille, dont il devenait le chef, afin de faire respecter ses volontés. Telle fut cette conclusion, qui était pour Joséphine un nouveau succès remporté dans le cœur de son époux.»

Le public et la plus grande partie du monde parisien applaudirent à cette double solution, car, il faut le reconnaître, il y a en France un sentiment de générosité, une délicatesse innée, une chaleur de cœur qui ne pouvaient faire défaut à une femme placée dans une telle situation, et d’ailleurs déjà généralement aimée à cause de son caractère et pour les services rendus de toute sorte: bons offices constants à ceux qui approchaient du Premier Consul; bienfaits sans compter à ceux qui, placés plus loin, lui faisaient connaître leurs besoins. On voyait ensuite avec plaisir, et cela par évouement pour lui, Napoléon faire ce que le cœur conseillait. Joséphine, malgré son peu d’ambition personnelle, avait lutté pour maintenir sa place dans le cœur de son époux et son rang auprès de sa personne. C’était pour elle une question d’affection et de dignité : l’épouse y était intéressée et la mère aussi, car, de la position qui lui serait faite, dépendait celle de sa fille et surtout celle de son fils.

Le 18 mai 1804, le Sénat, organe de la nation, se transporta en corps à Saint-Cloud, apportant le sénatus-consulte qui proclamait Napoléon empereur des Français et Joséphine impératrice.

Napoléon, debout, en costume militaire, calme comme il savait l’être quand les hommes le regardaient, sa femme, tout à la fois satisfaite et troublée, reçurent le Sénat que conduisait l’archichancelier Cambacérès.

Dans les quelques pages qui terminent les fragments de Mémoires du prince Eugène, et que l’on regrette de voir s’arrêter à 1805, on lit ce qui suit:

«J’arrive au grand et important événement qui plaça la couronne impériale sur la tête du Premier Consul: il s’écoula plusieurs mois entre son élection et le couronnement. Pendant ce temps, l’Empereur, voulant entourer le trône de toute la dignité, de tout le respect nécessaires au pouvoir monarchique, rétablit l’ancienne étiquette et la fit observer avec soin. Dès ce moment, je cessai d’avoir des relations aussi intimes avec lui, et pendant quelque temps je me trouvai, par mon grade et par mes fonctions, relégué dans le salon d’attente le plus éloigné de son appartement.

«Je ne murmurai point, et je concevais parfaitement que cela devait être ainsi; mais il ne manqua pas de gens, courtisans ou autres, qui, sous le masque de l’intérêt et du zèle, cherchèrent à m’irriter, me témoignant de l’étonnement de ce que le beau-fils de l’Empereur, après avoir vécu si longtemps dans son intimité, se trouvait tout à coup placé si loin de lui. Je fermai la bouche à ces bons amis de cour en leur disant que je me trouvais très-bien partout où mon devoir me plaçait. Et cela était vrai.

«Quelque temps après, l’Empereur me fit offrir par ma mère, la dignité de grand chambellan, mais je refusai cet honneur en m’excusant sur ce que cet emploi ne convenait ni à mes goûts ni à mon caractère. Ma vocation était toute militaire, et jusqu’alors je n’avais connu d’autre métier que celui des armes.

«Enfin, peu de temps avant le couronnement, je fus nommé colonel-général de l’arme des chasseurs. Cette nomination me fit le plus grand plaisir, puisque, en me donnant une dignité aussi éminente, l’Empereur me laissait pourtant dans mon élément. Je ne parlerai point des cérémonies du couronnement; elles ont été décrites en grand détail dans les ouvrages du temps, et ont laissé si peu d’impression dans mon esprit que je ne me rappelle point aujourd’hui quels furent les honneurs ou les insignes que j’y portai. En général, je n’ai jamais été frappé ni ébloui par les marques extérieures ni l’appareil de la grandeur, non plus que par la brillante fortune dont la perspective s’ouvrait alors devant moi.

«Quelque temps après la cérémonie du couronnement, je reçus l’ordre de partir pour l’Italie avec une partie de la garde impériale, dont le commandement me fut confié. J’étais en route pour cette destination et à Tarare, près de Lyon, lorsque je reçus un courrier qui m’annonçait ma nomination à la dignité de prince français. Je puis dire avec vérité que ce haut rang où la fortune venait de m’élever ne m’inspira pas le plus léger mouvement d’orgueil ni d’ivresse. Je continuai à vivre avec mes troupes et mes officiers comme par le passé, sans rien changer à mes habitudes ni à ma manière d’être. Je reçus une foule de lettres de félicitations remplies de louanges et de protestations de dévouement, que j’appréciai à leur juste valeur, comme si j’eusse prévu d’avance ce que l’expérience m’a bien confirmé depuis. Une seule chose me toucha réellement dans cette circonstance, ce furent les termes du message de l’Empereur au Sénat pour lui annoncer ma nomination.

«Cette marque publique de la confiance et de l’estime d’un grand homme, chef de la nation, en présence du premier corps de l’Etat, me semblèrent bien au-dessus de tous ces titres et de toutes ces dignités, que je ne devais probablement qu’au hasard de mes relations avec lui.»

Voici le texte de ce message au Sénat:

«Sénateurs,

«Nous avons nommé notre beau-fils, Eugène Beauharnais, archichancelier d’État de l’Empire. De tous les actes de notre pouvoir, il n’en est aucun qui soit plus doux à notre cœur.

«Elevé par. nos soins et sous nos yeux depuis son enfance, il s’est rendu digne d’imiter, et, avec l’aide de Dieu, de surpasser un jour les exemples et les leçons que nous lui avons donnés.

«Quoique jeune encore, nous le considérons dès aujourd’hui, par l’expérience que nous en avons faite dans les plus grandes circonstances, comme un des soutiens de notre trône et un des plus habiles défenseurs de la patrie.

«Au milieu des sollicitudes et des amertumes inséparables du haut rang où nous sommes placé, notre cœur a eu besoin de trouver des affections douces dans la tendresse et la constante amitié de cet enfant de notre adoption; consolation nécessaire sans aucun doute à tous les hommes, mais plus éminemment à nous dont tous les instants sont dévoués aux affaires des peuples.

«Notre bénédiction paternelle accompagnera ce jeune prince dans toute sa carrière, et, secondé par la providence, il sera un jour digne de l’approbation de la postérité.

«Au palais des Tuileries, 12 pluviôse, an XIII.»

Napoléon avait adressé, à la même date, la lettre suivante au prince Eugène.

«Mon cousin,

«Je vous ai nommé prince et archichancelier d’Etat. Je ne puis rien ajouter aux sentiments exprimés dans le message que j’ai envoyé au Sénat à cette occasion, et dont copie vous sera adressée. Vous y verrez une preuve de la tendre amitié que je vous porte, et l’espoir où je suis que vous continuerez dans la même direction à mettre à profit les exemples et les leçons que je vous ai donnés. Ce changement n’apporte aucun obstacle à votre carrière militaire. Votre titre est le prince Eugène Beauharnais, archichancelier d’État; vous recevrez celui d’altesse sérénissime. Vous n’êtes plus colonel-général des chasseurs; vous restez général de brigade, commandant les chasseurs à cheval de ma garde. Il n’y a rien de changé dans vos relations ordinaires, si ce n’est que vous signerez le prince Eugène. Vous n’ajouterez votre titre d’archichancelier d’Etat que dans les affaires qui ressortiront à votre dignité, ou dans les affaires officielles.

«Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.»

A cette lettre, dont toutes les expressions révèlent la profonde tendresse de Napoléon pour son fils adoptif et la haute opinion qu’il avait conçue de lui, Eugène de Beauharnais, que nous désignerons désormais sous le titre de prince Eugène, répondit dans les termes suivants:

«Sire,

«Je reçois à l’instant la lettre dont Votre Majesté a bien voulu m’honorer. J’étais déjà comblé de ses bienfaits, je ne croyais pas qu’il fut possible d’y rien ajouter. Il lui a plu cependant de me donner une nouvelle marque de ses bontés, en m’élevant à la dignité d’archichancelier d’Etat et de prince. Cette dignité, ce titre, ne pourront augmenter le dévouement et l’attachement sans bornes que j’ai voués à Votre Majesté ; ces sentiments ne finiront, Sire, qu’avec mon existence, qui ne serait plus d’aucun prix à mes yeux du moment où elle cesserait de vous être utile.

«Veuillez recevoir avec bonté, Sire, les expressions bien senties du cœur de celui qui a l’honneur d’être, etc., etc.»

Du jour où le Premier Consul fut élevé à la dignité impériale, il était impossible que l’Italie supérieure, dont le premier magistrat était l’Empereur des Français, conservât la forme républicaine. Aussi Napoléon songea-t-il à l’ériger en monarchie. L’avidité de l’Autriche et la vieille haine de l’Angleterre exigeaient d’ailleurs que la France dominât en Ilalie, afin d’y conserver ses conquêtes. Tel était aussi le vœu de la majorité des Italiens, mais ils désiraient avoir pour roi un frère de l’Empereur, Joseph ou Louis Bonaparte.

L’archichancelier Cambacérès fut chargé de traiter avec Joseph Bonaparte la question de son élévation au trône d’Italie.

Les instances employées auprès de Joseph furent vaines; il déclina la haute position qui lui était destinée.

Ce fut alors que Napoléon résolut de prendre pour lui la couronne de fer, et de se qualifier Empereur des Français, roi d’Italie, en adoptant Eugène de Beauharnais, qu’il aimait comme son propre fils, et en lui confiant la vice-royauté d’Italie.

Le vice-président Melzi et les consulteurs d’État d’Italie furent appelés à Paris, où ils se trouvaient réunis vers les premiers jours de juin. Le 15 du même mois, ils prirent une délibération qui, rédigée sous forme d’un acte constitutionnel, énonça le vœu que la république italienne fût érigée en royaume d’Italie, et posa pour conditions:

Que le trône d’Italie fût héréditaire dans. la famille Bonaparte, à l’exclusion des femmes, et en réservant le droit d’adoption en faveur d’un prince du royaume d’Italie ou de l’empire français;

Que la couronne d’Italie ne pût être réunie à celle de la France que sur la tête de Napoléon seul, mais qu’il eût le droit de nommer un successeur;

Que les bases organiques de la constitution italienne fussent celles de la constitution de 1802, afin de garantir la religion nationale, l’inviolabilité et l’intégrité du territoire, l’irrévocabilité de la vente des biens nationaux, le vote dès impôts, l’admission exclusive des nationaux aux emplois de l’État.

Napoléon accepta la couronne d’Italie, et, le 17 mars 1805, la délibération de la consulte devint un statut constitutionnel. Le 22 mars, deux décrets fixèrent au 15 mai suivant la convocation du Corps législatif, et au 23 du même mois le couronnement à Milan.

Le 18 mars 1805, l’Empereur se rendit au Sénat et fut reçu à la porte du palais du Luxembourg par une grande députation. Le décret constitutif du royaume d’Italie, revêtu de l’adhésion des députés lombards, fut lu par le vice-président Melzi. Puis, le ministre Marescalchi présenta ces députés à Napoléon, dans les mains duquel ils prêtèrent serment de fidélité au roi d’Italie. Cette cérémonie terminée, Napoléon, assis et couvert, prononça un discours ferme et concis qu’il termina par ces fières et énergiques paroles:

«Nous avons accepté et nous placerons sur notre tête cette couronne de fer des anciens rois lombards pour la retremper et pour la raffermir. Mais nous n’hésitons pas à déclarer que nous transmettrons cette couronne à un de nos enfants, soit légitime, soit adoptif, le jour où nous serons sans alarmes pour l’indépendance que nous avons garantie des autres États de la Méditerranée.»

Arrivé le 8 mai 1805 à Milan, Napoléon fut reçu avec enthousiasme par la population. Quelques jours avant, au milieu de la plaine de Marengo, du haut d’un trône élevé sur le lieu même où, cinq ans auparavant, il avait remporté l’immortelle victoire qui lui avait donné l’autorité souveraine, il assista à de grandes et belles manœuvres représentant la bataille, et posa la première pierre d’un monument destiné à la mémoire des braves morts dans cette grande journée.

Le 23 mai, la cérémonie du couronnement eut lieu dans l’antique cathédrale lombarde. Napoléon reçut du cardinal Caprara, archevêque de Milan, les insignes de la royauté, mais il prit lui-même sur l’autel la couronne, et, la tenant élevée, il la montra aux assistants en disant à haute voix, en italien:

«Dieu me la donne, malheur à qui la touche.»

Par décret du 7 juin 1805, le prince Eugène fut nommé vice-roi d’Italie et admis à prêter serment de fidélité. L’Empereur présenta lui-même son fils adoptif à la nation italienne dans une séance du Corps législatif.

La réponse que le prince Eugène fit, en italien, le 13 juin, au président du Corps législatif qui venait le féliciter, mérite d’être reproduite.

«Appelé bien jeune encore, dit-il, par le héros qui préside aux destinées de la France et à celles de l’Italie, à demeurer près de vous l’organe de ses volontés, je ne. puis vous offrir, aujourd’hui, que des espérances. Croyez-en, messieurs, les sentiments qui m’animent, ces espérances ne seront pas trompées.

«Dès ce moment, j’appartiens tout entier aux peuples dont le gouvernement m’est confié. Aidé du concours de toutes les autorités et particulièrement du zèle et des lumières du Corps législatif, toujours dirigé par Le vaste et puissant génie de notre auguste souverain, plein des grandes leçons et des grands exemples que j’ai reçus de lui, je n’aurai qu’un but et qu’un besoin: la gloire et le bonheur du royaume d’Italie.»

Telles furent ses paroles mémorables: nous allons voir comment le prince Eugène tint loyalement ses promesses.

Le prince Eugène

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