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GUILLAUME APOLLINAIRE
(Note pour Alcools)

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Je crois connaître assez Guillaume Apollinaire pour ne pas me tromper en le comparant à nos anciens poètes et humanistes. Les goûts ultra-modernes qu’il affiche très ostensiblement ne me font éprouver aucun embarras à développer mon opinion.

L’art de Guillaume Apollinaire est populaire et savant comme celui des écrivains de la fin du Moyen Age ou des débuts de la Renaissance. Nourrie d’histoire sacrée, mythique et profane, sa science est celle qu’enseignait le collège des Quatre-Nations; il n’est pas jusqu’aux erreurs charmantes de ces temps qu’elle ne respecte. Je crois bien que le poète lit plus volontiers le Violier des Histoires romaines et les crédulités d’Hérodote que les Annales de Tacite, et qu’il s’en tiendrait volontiers aux notions géographiques de Marco Polo ou de Pierre d’Ailly. A l’imitation d’Eustache Deschamps et de Villon, qui font montre de leur savoir, il emprunte son pittoresque à l’histoire de l’humanité: aux noms des dieux, des rois, des prophètes, des martyrs, des enchanteurs, des héros d’anciens romans. Et ces noms, il les choisit de préférence infimes ou obscurs, car la véritable érudition est de connaitre ce dont personne ne se doute, et qu’ont oublié les plus savants.

La façon de voyager de Guillaume Apollinaire est d’un homme de jadis. Bien qu’il rencontre souvent les images de la Mort et de la Douleur et qu’il se plaise à les contempler, il ne va pas d’un cœur avide à leur rencontre comme les disciples de Maurice Barrès. Il ne suit point non plus cette bohème dorée dans les palaces, mais, savant et populaire, il loge dans les pauvres auberges d’étudiants–comme à Leyde, où il sait que les chambres se louent en latin: Cubicula locanda.

Son ambition est celle des lettrés qui parcouraient l’Europe policée pour en admirer les merveilles légendaires, s’instruire des usages, visiter les librairies, converser avec les philosophes et rendre hommage aux poètes célèbres. Guillaume Apollinaire se fût mis en route pour entendre Erasme de Rotterdam ou Ulric de Hutten. Curieux et salace, tel Poggio Bracciolini, il n’aurait manqué de s’arrêter aux bains de Bade, où les deux sexes paraissaient nus en public. Et, de retour en son pays, il eût échangé avec son hôte d’un jour une correspondance latine que la mort seule eût interrompue.

Comme il importe peu de mêler les époques, puisque ces voyages d’érudits trouvèrent des fervents jusqu’au dix-huitième siècle, je ne puis m’empêcher de songer encore au Président de Brosses. C’est sous les traits du facétieux Apollinaire que je m’imagine ce bonhomme charmant, quand, incommodé par le soleil d’Italie, il ne trouve d’autre moyen de se rafraîchir que d’exposer son gros derrière à la portière de la chaise de poste.

Je n’ai point l’intention de m’entretenir longtemps sur ce ton fantaisiste On se doute bien que ce qui m’incita à évoquer l’art villonesque, ce fut surtout la Chanson du Mal-aimé. Il n’y a pas là grande clairvoyance, j’en conviens. Cependant, il est peut-être malaisé à des gens prévenus contre le modernisme de retrouver ici la tradition dont je parle.

La poésie de Guillaume Apollinaire est rurale comme celle de l’escholier François. Les bars y remplacent les tavernes; les halls des gares, avec leurs filous et leurs émigrants misérables, les places sordides de l’ancien Paris. Les lieux communs poétiques chers à Deschamps, à Villon, à Marot, comme les amours de hasard, la destinée laborieuse, le regret de la jeunesse, la fuite du Temps, la paresse stérile, la Mort forment le meilleur de l’inspiration d’Alcools. Et je retrouve en Guillaume Apollinaire les sentiments contradictoires du grand poète français, qu’il serait impossible, même au plus appliqué des esprits livresques, de simuler durant deux cents pages. Comme Villon il rit en pleurs, il est roué et jobard, réaliste et raffiné, sceptique et crédule, viril et faible; il est le peuple de Paris, le Peuple même. Il est de ce peuple qui acclama Boulanger et le chassa sans regret de sa mémoire.

La langue poétique de Guillaume Apollinaire n’est point le vers-libre. La plupart de ses pièces sont composées de lignes de prose sans mesure, mais possédant chacune un sens complet, de telle sorte que chacune représente ce que j’appellerai l’armature spirituelle d’un vers. C’est avec cet instrument, imparfait à dessein, qu’il peut célébrer la vie moderne, informe et multiforme, excessive et médiocre, et nommer les choses les plus vulgaires sans offenser. Le poète a retenu le conseil de Mallarmé: il faut réserver le vers pour des cas rares et solennels.

Je voudrais donner un fragment de Zone en exemple aux Apollons de tramways, de locomotives, d’aéroplanes et de toute la machinerie. Ces messieurs belges ont jusqu’ici tellement vociféré qu’il est bon, sans doute, de leur montrer que, sans transpirer sang et eau, on peut mettre de l’imagination, de la fantaisie et de la simplicité d’expression dans un pareil sujet:

... Changé en oiseau, ce siècle comme Jésus monte

dans l’air.

Les diables, dans les abîmes, lèvent la tête pour le

regarder;

Ils disent qu’il imite Simon-Mage en Judée

Ils crient s’il sait voler qu’on l’appelle voleur.

Les Anges voltigent autour du joli voltigeur.

Icare, Enoch, Elie, Apollonius de Tyane

Flottent autour du premier aéroplane.

Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux que

transporte la Sainte-Eucharistie:

Ces prêtres qui montent éternellement en levant

l’hostie.

L’avion se pose enfin sans refermer ses ailes.

Le ciel s’emplit alors de milliers d’hirondelles.

A tire d’aile viennent les corbeaux, les faucons, les

hiboux:

D’Afrique arrivent les ibis, les flamands, les marabouts.

L’oiseau Roch, célébré par les conteurs et les poètes,

Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam, la

première tête.

L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri

Et d’Amérique vient le petit colibri.

De Chine sont venus les pihis longs et souples

Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples.

Puis voici la colombe, esprit immaculé,

Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé;

Le phénix, ce bûcher qui soi-même s’engendre,

Un instant voile tout de son ardente cendre;

Les Sirènes, laissant les périlleux détroits,

Arrivent en chantant bellement toutes trois,

Et tous, aigles, phénix et pihis de la Chine

Fraternisent avec la volante machine.

Je ne choisirai point cette belle occasion pour plaider la cause de l’ancienne prosodie, dont on peut en cette fin admirer les effets. Chaque âme a son secret, comme l’a dit un sot dans un sonnet trop célèbre, et je connais le secret de Guillaume Apollinaire. Je le livre afin de désespérer les écorcheurs d’alexandrins qui se félicitent de leur nouvelle et glorieuse recrue: Guillaume Apollinaire médite de revenir au vers régulier. C’est la grâce que je lui souhaite. La place me manque pour d’au tres réflexions, notamment en ce qui concerne l’obscurité que défend M. Jean Royère, lequel prêche sans doute pour son saint. J’aime dans Alcools de charmantes pénombres qui ne sont pas encore les ténèbres. Cependant, quand il m’arrive d’entrer dans la nuit, imitant prudemment M. Bergeret, je serre en silence la main de mon ami Guillaume Apollinaire, de peur d’offenser la Beauté inconnue...

La boîte à perruque

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