Читать книгу Souvenirs de la persécution soufferte par le clergé du diocèse de Maurienne - Francois Molin - Страница 6
CHAPITRE II
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Départ pour Turin. — Séjour à Carmagnole. — Départ pour le Mont-Cenis. — Mouvements des troupes françaises et piémontaises en Maurienne. — Retour à Epierre. — Deuxième fuite en Piémont.
Le 15 avril, nous partîmes de Suse en voilure et nous nous rendîmes le même jour à Turin, où nous sommes allés nous consigner au gouvernement et où j’ai laissé mon passeport. Nous avons séjourné quinze jours dans cette capitale, séjour des souverains, qui, quoique peu grande, est une des plus belles villes pour la régularité des rues et la symétrie des édifices.
Nous avons visité les somptueuses et vastes églises; nous avons aussi été voir la superbe église de Soperga, située au sommet de la montagne de ce nom, où sont inhumés les rois et les princes de la maison de Savoie, et distante d’environ cinq milles de Turin.
Après avoir satisfait notre curiosité, observant que nos ressources ne nous permettaient pas de vivre à l’auberge, nous résolûmes de nous éloigner de la capitale et de nous fixer dans un autre endroit, pour y vivre plus économiquement.
Le 29 même mois, nous allâmes à Carmagnole, ancienne petite ville du Piémont, à dix milles de Turin, dans le diocèse de Saluces. Là, nous avons vécu pendant un mois et quelques semaines en pension. Les prêtres de la congrégation de l’Oratoire, appelés Philippins, nous donnèrent charitablement un logement, et une confrérie nous prêta des lits, des tables et des chaises. Après ce temps, nous avons loué une maison et avons monté ménage au nombre de six, savoir: les deux chanoines Personnaz, le chanoine Galice et nous trois frères Malin. La servante de MM. Personnaz faisait la cuisine.
Nous y souffrîmes beaucoup des chaleurs excessives qui s’y firent sentir, surtout dans le pays de plaine où est située la ville de Carmagnole, et à cause du contraste de ce climat avec celui de notre pays natal. Je me déterminai donc, avec mon frère, curé de Saint-Rémy, à venir respirer l’air vif du Mont-Cenis, que les troupes piémon taises occupaient.
Le 6 juillet, nous sommes partis de Carmagnole à l’aube du jour; mais nous n’avons pu faire qu’un très petit trajet avant de sentir la chaleur. Nous passâmes par Villeneuve, par Stupinis, où le roi a un château de plaisance, et nous vînmes dîner à Rivoli sans passer par Turin, que nous avons laissé à droite. Jamais je n’ai tant souffert de la chaleur que ce jour-là. Les personnes que nous trouvions sur notre route étaient touchées de compassion de nous voir ainsi. Une charitable dame, entre autres, nous fit rafraîchir dans une maison de campagne. Après midi, dès que nous fûmes au-dessus de Rivoli, nous commençâmes à respirer un tout tautre air qui vient du Mont-Cenis, en passant par la Combe de Suse. Nous fûmes coucher à Avigliana.
Le lendemain, qui était un dimanche, nous avons dit la messe à Saint-Ambroise et avons été coucher à Suse. De là, nous partons le lendemain pour le Mont-Cenis, après avoir obtenu un passeport du général, le marquis de Cordon. Nous fûmes voir le Révérend curé de la Ferrière, chez qui nous avons couché.
Le 9 juillet, nous arrivâmes à la Grand’Croix, sur le Mont-Cenis, où nous avons trouvé M. Roche, curé de Lanslebourg.
Nous avons vécu en pension pendant tout le temps de notre séjour sur cette montagne. Quelques-uns de nos confrères se sont joints à nous, et nous nous sommes trouvés jusqu’au nombre de dix à la même table. Nous disions la messe dans la chapelle de Notre-Dame des Neiges. La chaleur ayant diminué, même dans les plaines du Piémont, par un vent qui venait du nord, nous nous sommes vus dans la nécessité de nous tenir retirés dans les maisons et même de nous chauffer. Ce prompt changement d’air et de climat m’occasionna une violente dyssenterie qui dura près de trois semaines.
Nous fîmes avertir nos parents, à Lanslehourg, de notre arrivée sur le Mont-Cenis. Nos deux frères vinrent nous y voir et nous apportèrent ce que nous leur avions fait demander. Les troupes piémontaises nous faisaient espérer de jour en jour une descente pour repousser les Français, qui étaient à Lanslebourg; ce que nous écrivions par presque tous les ordinaires (courriers) à Carmagnole, et ce qu’elles effectuèrent enfin avant le milieu du mois d’août.
Nous descendons à Lanslebourg.
Le 15 août, jour de l’Assomption, nous avons solennisé cette fête dans les transports d’une sainte joie, accompagnée cependant d’une certaine crainte des malheurs qui nous sont arrivés dans la suite. Néanmoins, on se flattait d’être débarrassé des Français, et personne n’aurait jamais cru alors qu’il arriverait à la Savoie, et surtout à Lanslebourg, les maux que nous avons soufferts et que nous souffrons encore.
Dans l’impatience de rentrer dans nos paroisses et de revoir notre peuple abandonné depuis environ cinq mois, je vins avec mon frère jusqu’à Orelle; mais nous ne pûmes percer plus loin, parce que les Français, s’étant réfugiés à Valloire, faisaient craindre aux Piémontais d’être pris par derrière, s’ils avançaient plus bas. Cependant ces derniers recevaient des députés de presque toutes les communes, pour les prier de descendre. Ils se rendent à ces vœux, pour le malheur temporel des populations; je dis temporel, parce que celte descente fut cause que bien des familles ont été pillées et que beaucoup de personnes, par crainte, ont quitté leurs foyers et ont ainsi passé pour émigrées. Mais il en est résulté un bien spirituel, parce que le petit nombre de prêtres qui avaient eu la faiblesse de prêter le serment civique, effrayés de l’interdit que notre évêque avait lancé contre eux, se sont rétractés et ont passé comme nous en Piémont.
Le 9 septembre, j’arrive à Epierre et j’y dis la messe. Les troupes du roi de Sardaigne étaient déjà arrivées la veille. On rapporte que les Français, qui avaient abattu le pont d’Argentine, travaillaient à le reconstruire, et que, ayant reçu des renforts, ils se déterminaient à repousser les Piémontais.
En effet, le 11, l’armée piémontaise, ayant été jusque près dudit pont, essuya des coups de canon de l’ennemi, qui avait placé ses batteries au delà du pont, sur le roc dit de la Christine. Un cheval eut la tête emportée par un boulet; trois hommes furent frappés d’un autre. Un de ces blessés mourut à Argentine, le second à Epierre, le troisième fut conduit à l’hôpital.
Le 13, l’armée piémontaise se retira vers le mont d’Epierre, et le 15, dimanche, elle plaça ses batteries au-dessus du pont d’Epierre. On tira plusieurs heures sans discontinuer. Je fis chanter la messe pour n’être pas troublé pendant la célébration des saints mystères; je suppléai les cérémonies du baptême aux enfants qui avaient été ondoyés pendant mon absence. Nous passâmes ce jour dans la crainte, en nous flattant toutefois que les Piémontais ne reculeraient-pas.
Le 16 septembre, une heure ou deux avant jour, étant couché chez M. Favergeat, avec M. Cot, curé de Villarléger, ma sœur me fait avertir de me lever aussitôt. L’exprès, que j’interroge, me dit que le village d’Epierre, situé sur le grand chemin, était plein de troupes. Nous nous levons promptement. Je vais à l’église; j’entrepose les espèces sacramentelles dans la pyxide dont je me servais pour porter le Saint-Viatique, sans penser à m’en communier. remporte les vases sacrés de mon église, je remets ceux d’Argentine à l’individu qui me les avait confiés, et nous partons.
Arrivés au grand chemin, encore avant le jour, nous eûmes peine à passer à traversées troupes, qui y étaient sur leur départ Je vais chez mon beau-frère, Je n’y trouve que les servantes, qui me disent que leur maître et leur maîtresse étaient partis, ainsi que les familles Noraz et Mamy: nous les suivons. A La Chapelle, nous trouvons le curé qui disait la messe, pour consommer les saintes espèces. Je confie quelques objets à une personne et je pars. Au-dessus du pont de la Madeleine, je rejoins mon frère, qui venait de Saint-Rémy; nous dînons à Saint-Jean; j’y trouve et laisse ma sœur malade de la maladie dont elle est morte. Je me suis toujours repenti de ne l’avoir pas engagée à aller à Lanslebourg. Elle retourne de là à Epierre, où elle meurt le 19 octobre.
Nous allons souper à Saint-Michel et coucher dans une grange, avec M. le doyen de La Chambre, M. Mamy et ses fils, heureux d’avoir pu trouver cet endroit pour nous reposer.
Le lendemain, nous rejoignons, à Francoz, la famille Tognet, de La Chambre, et celle de M. Noraz. Nous faisons route ensemble jusqu’à Sollières, où j’ai couché avec mon frère; les autres s’en vont à Termignon. Enfin, nous nous retirons à Lanslebourg, dans notre maison paternelle et y demeurons jusqu’au 6 octobre.