Читать книгу Trois jours en Savoie. Congrès des clubs alpins à Annecy (août 1876) - François Descostes - Страница 6
ОглавлениеAU MUSÉE
Annecy-ville offre à l’observateur une physionomie intéressante à plus d’un titre.
En y entrant, nous avons salué l’Eglise de la Visitation, qui contient la châsse vénérée où repose celui qui fut à la fois le plus aimable des saints, et l’une des gloires de la langue française, saint François de Sales ; près de la cathédrale, on nous a montré la maison où le grand écrivain composa son chef-d’œuvre de l’Introduction à la vie dévote, et, le long de la même rue, par un de ces contrastes si fréquents dans les villes riches en souvenirs, la maîtrise où Jean-Jacques, le philosophe aigri, passa les heureux jours dont il se plaît à évoquer la mémoire dans ces Confessions, où le génie de l’écrivain n’excuse pas les révélations de l’homme...
En descendant du bateau, nous nous sommes inclinés devant l’une des illustrations de la science moderne, le chimiste Berthollet, dont les traits de bronze contemplent les rives du pays natal.
Mais n’oublions pas que nous sommes ici, non point en voyageurs ordinaires, mais en alpinistes dignes de ce nom ou aspirant à le devenir!
A ce titre, nous devons une visite spéciale au musée d’Annecy: commencé il y a trente ans à peine, il a eu le bonheur d’être placé sous la direction intelligente de M. Louis Revon, un artiste doublé d’un érudit et d’un gracieux écrivain...
Chut!... Le conservateur de céans joint à toutes ces qualités, celle d’être modeste comme la violette... Or, le voici qui nous attend, souriant, sur le seuil et qui va nous faire lui-même la légende de ses domaines.
Le musée, la bibliothèque publique et celle de la Société Florimontane, occupent dix-huit salles contiguës au second étage de l’hôtel-de-ville.
Donnons tout d’abord un coup d’œil aux bibliothèques. Elles sont dotées de 12,000 volumes, de manuscrits précieux, de curieux autographes et d’une collection presque complète, fort utile à consulter pour un voyage d’études dans les Alpes, d’ouvrages relatifs à la topographie, à l’histoire et aux ressources des deux départements savoyards.
Dans la salle de lecture, sont appendues de nombreuses cartes dont quelques-unes dépassent trois mètres: nous y remarquons l’assemblage en 25 feuilles de la Suisse, par le général Dufour, et les 28 feuilles de la Savoie, par l’état-major sarde; la carte colossale du dépôt de la guerre, où l’on a juxtaposé les sections embrassant le cours du Rhône et les Alpes; des cartes topographiques, routières, géologiques et plusieurs reliefs.
Pénétrons maintenant dans le musée.
Voici, en premier lieu, la galerie consacrée à l’histoire naturelle de la Savoie. Les animaux qui peuplent nos lacs, nos marais, nos montagnes, empaillés avec goût, sont représentés dans toutes leurs variétés d’âge, de sexe et de saison. Curiosité sans pareille! voici, suivant le témoignage de Francis Wey , l’unique marmotte que l’on ait pu découvrir, et à grand peine, dans ce pays que les préjugés représentent comme si fécond en rongeurs de cette espèce...
L’architecture des oiseaux et des insectes, si poétiquement décrite par Michelet, occupe une vitrine spéciale. Les séries géologiques ont été étiquetées avec le plus grand soin par leur principal donateur, M. Gabriel de Mortillet, et par plusieurs savants étrangers. Les minéraux et les roches sont rangés dans les tablettes vitrées et occupent, en outre, plus de 150 tiroirs. Nous y retrouvons les marbres et les minerais du pays, les roches du massif du Mont-Blanc, en échantillons bruts et polis, et les magnifiques nuances des jaspes de Saint-Gervais.
Les murs sont couverts d’estampages en couleur, figurant les inscriptions antiques des deux départements; et dans les embrasures des fenêtres s’étagent les lithographies et les photographies représentant les sites les plus intéressants de nos contrées.
Découvrons-nous avec respect!.. Cette vitrine en forme de monument funéraire, contient les restes des victimes de la catastrophe tristement célèbre du 20 août 1820: un voyageur russe, le docteur Hamel, ayant accusé de lâcheté ses guides qui hésitaient à franchir un passage dangereux au sommet du glacier des Bossons, ceux-ci continuèrent à s’avancer; les trois premiers furent précipités dans une crevasse. Quarante ans plus tard, quand cette partie du glacier, dans sa lente progression, arriva au bas de la vallée, réalisant ainsi d’une façon presque mathématique la prédiction du docteur Forbes, on vit émerger les lambeaux de vêtements et les membres disloqués de Carrier, de Balmat et de Tairraz ... Ils sont là, réduits à l’état de momies, mais de momies qui proclament bien haut cette intrépidité et cet esprit de sacrifice particuliers aux guides chamoniards.
Le touriste désireux de connaître les noms trop souvent barbares imposés aux charmantes fleurs de nos montagnes trouve, à côté de l’herbier général, une collection distincte pour la région des Alpes.
Une salle voisine est consacrée à la zoologie et à la géologie étrangères, aux produits végétaux, à l’anatomie comparée et à l’anthropologie. Ici, nouveau sujet d’études locales: dans une vitrine sont groupés par ordre chronologique des crânes exhumés sur le sol savoyard; ils servent à reconstituer les types qui s’y sont succédé depuis les temps préhistoriques jusqu’à nos jours.
Parcourant d’un pas rapide les galeries où s’alignent les moulages des statues, les estampes, les collections d’ethnographie étrangère, qui n’ont rien à faire avec l’alpinisme, nous nous arrêtons devant quelques tableaux signés de noms Savoyards.
Hugard, le paysagiste dont les fresques provoquèrent, au Musée minéralogique de Paris, l’admiration du shah de Perse, Cabaud, Salabert et d’autres, ont fait revivre sur la toile les sites qui ont le privilége de retenir au milieu de nous les touristes: ici, c’est un coucher de soleil sur le glacier des Bois; là, les premières lueurs de l’aube éclairant les Alpes, vues du col des Aravis; plus loin, l’extrémité du lac d’Annecy, le promontoire de Duingt, la vallée du Giffre, le défilé de Dingy.
Un membre du Club Alpin de Marseille, M. Antony Régnier, a peint deux jeunes filles du Chablais et de la Tarentaise, revêtues de ces gracieux costumes nationaux qui tendent tous les jours à disparaître.
Plus loin, nous passons en revue les collections industrielles et agricoles, les antiquités, les objets de l’âge de la pierre trouvés dans les cavernes du Salève, les produits des sépultures préhistoriques, romaines et burgondes, les instruments et les poteries recueillis dans nos habitations lacustres.
Enfin, dans la galerie des machines, nous faisons une halte devant la vitrine consacrée à la percée des Alpes, cette œuvre qui a immortalisé un enfant de la Savoie, Germain Sommeiller : une des lourdes perforatrices qui ont creusé les trous des mines, y est installée au-dessous d’un modèle réduit qui en fait mieux comprendre le mécanisme; à côté s’aligne la série des roches rencontrées dans le tunnel, et la démonstration est complétée par des estampes figurant les divers travaux.
Nous voici au terme de notre visite, et l’impression qu’elle nous laisse, un alpiniste de qualité l’exprime fort heureusement au Conservateur, en lui disant sur le seuil:
«Mes compliments, monsieur, et ceux du Club Alpin tout entier!... Votre musée est chose peut-être unique dans son genre, que nous devons chercher à imiter — de loin — dans toutes nos sections: c’est un musée essentiellement alpin, où tout ce qui touche à la montagne, à ses mœurs, à ses curiosités, à ses productions, à ses splendeurs et à ses gloires, a été réuni avec amour...»