Читать книгу Amélie Gex: un poète savoyard - François Vermale - Страница 4
PRÉFACE
ОглавлениеChambéry jouit d’un privilège admirable: la campagne, la vraie campagne, la nature agreste s’étend jusqu’à ses portes, l’absence de grande industrie et de banlieue ouvrière lui laisse toute place. A cent pas de la ville, en tous sens, par les plaines ou les coteaux, des chemins rustiques vous offrent le charme du frais ombrage des arbres drus qui les bordent. Ils se déroulent avec lenteur, généralement, mais parfois escaladent vivement les monts et les ravins, côtoyant prairies et pâturages, labours et cours de ferme. Et sur les plateaux, auprès des vieux châtaigniers qui laissent apercevoir sous leurs branches sombres la ville grise et bleue, et au loin le lac élincelant, les travaux des champs se succèdent, dans l’air limpide, avec leur poésie éternelle de gestes simples et familiers.
C’est avril. Au versant du coleau, les bœufs roux brillent au soleil, ils avancent à pas lents et le soc de la charrue retourne la terre grasse et rougeâtre; le cri du bouvier sollicite leur marche lourde et rompt le silence. — C’est juin, les faucheurs, d’un mouvement égal, couchent en andains l’herbe fleurie. C’est plus lard la moisson et les filles affairées qui lient les javelles. C’est octobre et les chants joyeux des vendangeurs...
De ces spectacles, qui se répètent en tous pays, mais auxquels la Savoie prête un cadre incomparable de charme et de grandeur; de ces spectacles qui vont au cœur de tous, à cause de nos vieilles attaches paysannes, mais qu’elle sentait plus profondément encore pour les avoir vécus, elle-même, auprès de la maison paternelle, Amélie Gex a su dégager, d’un trait alerte et sûr, toute la force émotive. Elle a chanté, avec un vrai tempérament de poète et un amour passionné de notre sol, la gaîté des travaux champêtres, la grâce naïve des idylles villageoises. Elle a su mettre en scène avec un merveilleux talent de conteur, avec une saveur rustique pleine de finesse et de vivacité, le paysan de chez nous. Toute son œuvre n’est pas ld, mais le meilleur, l’excellent de son œuvre est là.
De ce que elle peint la terre de Savoie, ses travaux, le caractère profond de la race, Amélie Gex est le poète le plus vraiment, le plus foncièrement savoyard. De ce que cette peinture possède, au plus haut degré, du naturel, de la grâce et de la vie, elle se situe au premier rang, à côté de Marc-Claude de Bullet, à côté de Jean-Pierre Veyrat.
Dans notre Parnasse savoyard, car grâce au régionalisme nous avons notre petit Parnasse, elle personnifie l’âme paysanne, comme Veyrat représente parmi nous l’instant et le cri romantique, de Bullet restant la fleur de noblesse, le poète savant, élégant, qui marque la place de notre province dès la Renaissance.
En dehors de sa valeur poétique, la figure d’Amélie Gex reste singulièrement attachante, et il serait regrettable que sa position dans les luttes politiques fît mal juger son caractère.
Avant tout, c’est une âme sincère, droite, loyale, une nature ardente et généreuse que les tristesses de la vie n’ont pas ménagée et qui réagit vigoureusement, gaiement même. Elle doit lutter à la fois contre la souffrance physique, la souffrance morale ou les soucis matériels, el elle ne sombre pas dans le pessimisme. Ce miracle est dû à un sang généreux et à une tête solide.
La maladie l’a visitée de bonne heure el ne l’a plus abandonnée; à onze ans, en 1846, elle est considérée comme tuberculeuse et se remet par une existence libre, en plein air. Jusqu’à quel point, on ne le sait, car son père le Dr Gex ne semble pas avoir grande confiance en sa santé. Plus tard (1857), elle fait un séjour à Divonne; en 1861, on peut lire dans une de ses lettres: «D’abord, mon amie, je souffre. Ceci, c’est habituel.» On pourra lire encore, en 1873: «Le médecin, le 15e ou le 16e que je consultai, me dit ne pouvoir me sauver si je ne me créais pas une occupation quelconque.»
C’est alors qu’Amélie Gex fait un voyage à Milan, pour étudier la photographie, puis, de retour à Chambéry, ouvre, rue de la Gare, un atelier au titre de «Photographie italienne». La pauvre enseigne pouvait s’apercevoir encore, jusqu’à ces toutes dernières années, de la place de la Gare, sur les toits de la première maison. Souvenir lamentable d’une incertaine profession qu’Amélie Gex dut abandonner au bout de quelques mois, n’y ayant gagné qu’une aggravation de ses maux, sous forme de rhumatisme déformant des mains.
Les soucis matériels, tout comme les chagrins et contrariétés domestiques, ne l’épargnèrent pas. M. Vermale, qui a rendu aux lettrés savoyards et à tous les amis de notre terre le grand service d’écrire la vie de notre poète, en rassemblant avec bonheur les documents les plus variés et les plus intéressants, a marqué avec discrélion plusieurs de ces points.
Lorsque, sur l’avis du médecin, Amélie Gex doit chercher une occupation la distrayant de ses souffrances, — et ce sera la carrière littéraire, — nous sommes en 1873, elle a 38 ans, il ne lui reste plus que dix ans à vivre et elle n’a pas encore écrit, pour le public, une seule ligne de ces œuvres qui doivent consacrer son nom. Mais elle a vécu, elle a réfléchi, elle a beaucoup observé. Elle ignore la prosodie et les règles poétiques; mais elle a le don de la poésie, une imagination souple et riche, et elle le sait. Sans le don, à quoi peuvent servir les règles les mieux suivies. Ingres disait aux peintres: «Celui qui s’appuie sur un compas s’appuie sur un fantôme.» C’est vérité pure, et le dictionnaire de rimes, à lui seul, ne peut donner plus de certitude au poète, que n’en donne le compas à l’artiste, quant à l’illusion de la vie. La vie est mouvement; pour la rendre, il faut répondre à un feu intérieur, qui est proprement le lyrisme, le don de compréhension poétique de l’objet.
Si Amélie Gex a rendu vraiment la vie paysanne, c’est qu’elle a participé vraiment et intimement à la vie paysanne et qu’elle en a compris la poésie. Pendant vingt ans, de 1853 à 1873, elle a vécu aux champs, à La Chapelle-Blanche, dirigeant elle-même l’exploitation agricole des propriétés paternelles, conduisant les travaux, mettant souvent la main à l’ouvrage, directement, par goût et avec entrain, se reposant dans les causeries au coin du verger, se distrayant l’hiver aux chants des veillées et aux propos pittoresques des conteurs villageois.
Ces vingt ans ont joué un très grand rôle, non seulement dans sa formation poétique, mais encore dans sa formation morale. Alliant une humeur vive à beaucoup de sensibilité, cette vie libre, au simple contact de la nature, et loin de la société, devait fatalement incliner son intelligence à l’indépendance du jugement et à l’observation critique. Aussi se tient-elle légèrement en marge du monde, qu’elle goûte peu, et de la religion qu’elle façonne à sa guise, tout en ayant l’âme religieuse. Il n’y a pas à s’étonner outre mesure, elle porte bien l’empreinte de son époque, de ses lectures et de son milieu, en sacrifiant à la mystique déiste et humanitaire de 1848.
Mais elle va d ces idées en toute bonne foi, sans arrière-pensée; sa correspondance en témoigne. Elle s’examine avec sincérité : «Je sais à peu près ce que je pèse...» «C’est dommage, j’étais une bonne nature, j’aurais pu aller loin peut-être, dans la voie des connaissances humaines; mais par la faute des circonstances d’abord, plus tard par celle des hommes, ensuite par la mienne, je n’ai point profilé des dons que Dieu m’avait confiés.» Il faut se rendre à cet accent, qui a le son clair de la vérité... et de la modestie.
Au reste, ce n’est pas la moindre des surprises qui attend le lecteur, de rencontrer à la fois chez Amélie Gex, au point de vue religieux, un esprit d’indépendance qui la situe au seuil de l’Eglise et une crainte panique de l’orgueil. Dans une prière remarquable, tant par la forme que par l’esprit de soumission et de recherche confiante de la vérité, prière qui nous a été conservée, nous la voyons s’adresser, ainsi, à Dieu: «... Faites que mon esprit ne s’égare pas dans la recherche de la Vérité. Ce que je vous demande surtout, c’est l’humilité. Oh! que jamais l’orgueil ne pénètre en moi, étouffez-en le germe dans mon âme.» C’est dire la qualité très rare de cet esprit d’une bonne volonté évidente.
L’impression profonde de sa longue prière est à retenir, nous semble-t-il, au regard de quelques pointes regrettables qu’elle a pu décocher au Clergé, et pour situer exactement son Credo, bien connu, Credo de paysan savoyard désinvolte et goguenard:
De craye u bon Dio que fa luire
Son soluai chu noutron pollié.
Du reste, elle termina ses jours par une fin religieuse, gagnant toute l’estime et la sympathie du Chanoine Varet.
La politique l’avait mise en évidence, par la publication de ses chansons patoises, sous le pseudonyme de Dian de la Jeânna, dans «le Père André » ; feuille des paysans de Savoie, dit le sous-titre.
C’était en 1878, au temps des Blancs et des Rouges. Par sa famille, par ses relations, par ses idées, elle était du camp rouge, avec une ardeur nourrie de généreuses illusions qui semblent attiédies dans la suite. Pour appartenir au parti opposé, on n’en doit pas moins reconnaître l’entrain, l’accent, la verve de ces couplets qui furent populaires, tels ceux des «Deux Poulets», une de ses premières chansons politiques. Le triomphe du poulet rouge fut assuré par celui des 363, et il put chanter à son aise.
Au fond, les coups de bec d’Amélie Gex ne sont pas très méchants; après plus de 40 ans, les blessures qu’ils ont pu faire sont bien cicatrisées; on peut les oublier et ne garder le souvenir que des coups d’aile et du regard clair; d’autant que, depuis, ce pauvre poulet rouge «qui n’avait à manger que l’herbe du chemin», et s’en plaignait, a dû trouver meilleure nourriture.
C’est dans le même Père André que parurent la plupart de ses poésies patoises, réunies plus lard en recueil sous le titre «Le long de l’An». On sent que, par ces poésies, elle veut maintenir le caractère de la race, lui montrer ses ressorts intimes, la bonhomie et la cordialité de ses rapports, l’indépendance et la noblesse du travail de la terre, le trésor des coutumes et des traditions. Par là elle sert puissamment le régionalisme.
Somme toute, qu’on enlève à ses œuvres, de loin en loin, quelques traits de lutte sociale visant un certain ordre religieux ou politique, qui peuvent heurter à un premier contact, il ne reste partout qu’une vue poétique et cordiale de la vie. Et ces traits, les dirons-nous perfides? Je ne le crois pas, car ils ont toute la candeur et la marque d’une manœuvre électorale conduite avec entrain; ils rejoignent ce sentiment du paysan savoyard, ou du paysan tout court, qui aime, certain jour, critiquer le Dieu qu’il révère, les principes qu’il observe, et les maîtres qu’il sert, pour se prouver, un instant, son indépendance, et ce, sans conviction intime, loin de là. Inconséquence, dira-t-on; mais sans ouvrir Montaigne pour s’appuyer d’une citation, l’homme n’est-il pas qu’inconséquence, et quelque soit son niveau social.
La vie, les opinions, la vocation tardive d’Amélie Gex, ont de l’étrange; son aspect physique n’en comportait pas moins.
Sa figure était largement modelée, avec une structure lourde, épaisse, massive de la région du menton, qui donnait à toute la face une expression puissante de force au repos, tempérée toutefois par la douceur du regard. La main potelée n’était pas non plus très féminine. Au total, elle était un peu hommasse. Et son accoutrement parfois bizarre, son port de chapeau et son allure garçonnière soulignaient cette première impression. Dans son enfance libre, aux champs, elle avait vécu un certain temps habillée en garçon, d’où une liberté de façons et d’allure qui, si elle enlevait beaucoup du charme féminin qu’elle pouvait encore posséder, restituait, grâce au don d’une intelligence vive, tout l’agrément profond d’une franche camaraderie. Une excellente camarade, telle est l’impression qu’elle laissa, non seulement à ses compagnes de jeux d’enfance, mais encore à ses amis ei confrères du journalisme. C’est le seul témoignage net, que j’aie pu obtenir, autrefois, de quelqu’un qui goûtait son talent et l’avait beaucoup fréquentée.
Il faut lire et il faut relire les œuvres d’Amélie Gex et entre toutes le recueil de nouvelles intitulées «Histoire de ma rue et de mon village», où elle déploie un admirable talent de conteur, el ses «Poésies en patois savoyard».
Certes, ses «poésies françaises» ont de l’intérêt et il suffit de citer quelques vers, tels que:
Lorsque mai s’est tressé sa couronne fleurie
Qu’au verger le soleil mûrit le bigarreau...
ou dans «Vilanelle» :
L’été rieur arrive les mains pleines,
pour faire sentir la flamme de la bonne poésie qui courait dans ses yeux et dans son cœur. Dans «Cris dans l’ombre», elle a des accents qui rappellent J.-P. Veyral:
Depuis le jour fatal où tu devins féconde
O terre, que fais-tu des pleurs que tu reçois?
Mais à côté des parties excellentes, il faut constater des faiblesses. On sent qu’elle s’est donné des modèles, qu’elle vise parfois un style convenu, bref, elle n’est pas pleinement elle-même, au point de vue poétique. Par contre, on a l’avantage d’y trouver des lumières précieuses sur ses sentiments, son caractère, sa formation morale.
Les poésies patoises, elles, sont une réussite permanente, un accord complet de la réalité et de la poésie, animé d’une jeunesse éternelle, celle de la vérité. Elle y révèle, tout entier, le paysan de Savoie, le suit dans ses travaux, et au foyer, et à l’étable, dans les veillées et aux fêtes villageoises. Amélie Gex ne fait pas que décrire. Elle excelle à mettre en scène ses personnages, qui, tout comme au théâtre, se définissent par le tour et la nuance de leurs paroles. C’est par là qu’elle amène au jour et fait affleurer sur de cordiales figures le fond expressif du tempérament savoyard. Peu de poésies donnent autant l’impression de contact direct avec la nature, car, hors le choix judicieux des éléments du tableau, Amélie Gex n’intervient pas, ni par réflexion digressive, ni par appréciation sur ces éléments; jamais elle ne s’interpose entre la nature et le lecteur. C’est pourquoi ses poésies nous semblent ne pouvoir vieillir.
Son recueil est comme un miroir qu’elle tend au paysan de Savoie et dans lequel il peut se reconnaître, jusqu’en ses nuances les plus profondes. Le geste est féminin et discret. Il a été suivi. El le paysan savoyard, charmé de voir son caractère et son amour du sot si bien compris, avec tant de finesse, de vérité et de mesure, s’est mis à répéter et à chanter à ses enfants ces œuvres expressives, écrites en sa langue. Que de banquets de conscrits et de veillées d’hiver ont relenti de ces strophes, qui définissent et aident à maintenir le caractère de la race.
Une cordiale bonhomie, se nuançant parfois de réserve discrète, forme l’enveloppe du fonds solide du paysan de Savoie, qui est tout de loyauté et de bon sens robuste. Il aime sa terre avec passion, mais la conquête et la satisfaction du bien-être présente le terme d’une ambition qui ne le ronge pas. Aussi, le paysan savoyard, bien qu’intéressé, comme tout paysan, l’est-il généralement, sans hâte, sans aigreur, sans rapacité ; son but est l’aisance tranquille; mais s’il désire l’aisance, il chérit la tranquillité. Tout en découle: la facilité des rapports, le contentement du sort, la liberté d’esprit.
Une ironie fine et une verve blagueuse dont il use tour à tour, montre la souplesse de son esprit alerte que le patois anime encore d’une flamme toute particulière d’humour.
Ce patois, fait à l’image du sol, en suit toutes les modulations: doux, gras, un tantinet traînard et chantant dans la plaine, il passe dans la montagne à la rudesse; tantôt guttural, tantôt vif et sifflant en claquement de fouet. Il a un parfum tout spécial, chargé de saveur rustique et familière, comme un bon plat de pays. Aussi, est-il à proprement parler intraduisible, il faut le goûter en lui-même, pour sa force, sa justesse, son expression, sa sonorité et aussi sa caresse maternelle. Profondément rattaché au sol, issu de ce sol, il a une vertu de convenance et de simplicité inégalable, il exprime, en dehors de tout mouvement de mode, l’essentiel permanent.
La poésie d’Amélie Gex reçoit les bienfaits de cette discipline. Qu’on songe que telles expressions faibles et vieillies qu’on rencontre dans ses vers français: «Zéphir mutin» par exemple, n’ont pas, ne peuvent avoir de traduction patoise littérale, ce qui n’est point une perte, et que toute locution paloise approchée sera sûrement douée d’une force expressive supérieure. En fait, une foule de mots patois n’ont pas d’équivalents français.
Amélie Gex a usé de ce langage, supérieurement, avec un tour d’esprit franchement savoyard et selon les rythmes les plus variés. Il faudrait citer; mais on n’ose choisir, elle comporte tant de nuances dans son naturel parfait.
Essayons cependant, voici un «fredon» d’avril :
L’hiver s’ein va tot einzovri
L’herba rebiolle
On vai sondre le na d’avri
Darnié le niolle.
Mie, demaize, si te vou
Cori n’a vouere
On s’einverra rien que no dou
Vé la Ravouère;
Y est le teim que l’amandrollié
Florai sa brance
Allin lu fare degrollié
Sa roba blance.
Mai et la joie du printemps:
Mai novellet vardai le size,
L’arbépin blançai le boesson;
U printein le çansons s’einvoulent
Comme un tropet de pinzons blancs .
En opposition, voilà un extrait de «la Complainte du Conscrit», qui est une pièce d’un accent poignant par la vérité simple du détail, dénué de toute déclamation:
Fedra copa le pan pe mince
I fadra felo u crueju,
Mare, pe payé u Monchu
A la Saint André voutre ceinse:
Vo saré tozor ein retard
Iora que me vaica seudart .
La vision nette des champs et de la maison abandonnés, des travaux qui souffrent de son absence, fait tomber lamentablement en fin de plusieurs strophes ce malheureux: «lora que me vaica seudart. » — Le même accent, d’émotion contenue, se rencontre aussi dans: «Le tour qui tourne» et «Ce que m’a chanté l’alouette.»
Ma vegne et mon sartot (ma vigne et mon cellier) exprime tout l’attachement du Savoyard pour ce petit lopin de terre et ce modeste abri construit au prix de tant de fatigues et de sueurs. Après une description piquante qu’en fait le vigneron, il se redresse avec contentement:
On me baret le çatiau de la Motta,
Cho d’ Caramagne, ou bin tot Chambéry;
On me baret ce qu’a coutâ la rotta
Que va de Laissa u platiau de Thuéry;
Y me vindront menaché de no pèindre
No dou ma fenna et noutron Pierre étot
Qu’u grand jamais ne vodri lo-s’y veindre
Ma p’tiouta végne et mon petiou sartot .
Il faudrait donner là : «les Contes de la Veillée». Peinture chaude, colorée d’une veillée d’hiver dans les écuries. Tout y est: le froid du dehors, la moiteur de l’étable, la joie des enfants, les agaceries entre filles et garçons, et les contes surprenants, les rencontres de revenants, la stupeur, les rires, les interjections des assislanls, et enfin éclate dans l’enthousiasme la chanson du «p’tiou bossu». Il est malheureusement impossible de faire de courts extraits de celle pièce remarquable.
Les Rogations forment un tableau très vif et complet:
Hardi la gua! copa le size!
Y est rogachon deman matin... .
Après l’entrain du début, les réflexions graves sur la vieille croix, à fleurir pour la fête:
La villie croai que no z’agarde
Quand on revin solet la né
La pourra croai que tozor garde
Le recorte que sont sené... .
Enfin la dernière strophe avec sa pointe finale du plus pur accent de terroir:
Fleurs de savû et roûse ein sâva
Sont mai que robans de satin;
Noutra croai sara la pe brâva
Qu’i vont beni deman matin!...
Quand l’eincorâ, zo se bannières
Quand le portuze de lomières
Bram’ront: Propitius esto!
Dien lo z’airs qu’on varrâ traluire
On einteindra le bon Dio dire:
«Si forcha d’eimpli leu sartot!» .
N’est-il pas vrai qu’il faut lire et relire Amélie Gex?
F. GRANGE.