Читать книгу Mémoires sur la campagne du corps d'armée des Pyrénées-Orientales en 1808 - Gabriel Laffaille - Страница 12

Première expédition de Gérone.

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DÈS que le général Duhesme fut instruit de la prise de Mataro, il se détermina à marcher sur Gérone, et à pousser même jusqu’au fort de Figuières, qu’il savait bloqué par les insurgés. Il ordonna au 3e régiment provisoire de cuirassiers, ainsi qu’aux bataillons du 37e et du 56e, de suivre la division italienne; et il partit lui-même de Barcelone dans la nuit pour aller rejoindre cette division à Mataro.

Arrivé le 18 au point du jour dans cette ville, il communiqua son dessein au général Léchi; mais il vit avec chagrin ce général s’y montrer tout-à-fait contraire, et s’efforcer de l’en détourner, par la crainte surtout de manquer de vivres et de munitions. Sacrifiant pour le rassurer une partie de son projet, il lui promit de ne pas aller plus loin que Gérone, et même si cette place n’ouvrait pas ses portes, de ne pas rester plus de vingt-quatre heures sous ses murs. Il donna des ordres pour faire arriver de Barcelone un renfort de munitions, et il fit partir sur-le-champ l’avant-garde pour Arens-de-Mar, afin d’y faire préparer des vivres pour toute la colonne .

Le reste de la division italienne se mit en mouvement peu d’heures après. Le régiment des cuirassiers et les bataillons du 37e et du 56e formaient l’arrière-garde.

Le passage de ces bataillons à travers Mataro donna lieu à une scène attendrissante. Ils avaient été en cantonnement dans cette ville, et ils s’y étaient fait aimer. En revoyant les soldats qui avaient logé chez eux, les habitants, les femmes surtout, qui étaient tristement assises à la porte de leurs maisons, s’élançaient dans leurs rangs et les embrassaient en fondant en larmes. Ils semblaient ainsi leur dire: «Ah! que n’êtes-vous entrés les

«premiers dans notre ville! nous n’aurions pas,

«dans ce moment, à gémir sur son pillage et sa

«dévastation.»

Toutes les troupes prirent pour deux jours de vivres à Arens-de-Mar, et le soir même, elles continuèrent leur marche sur Calella. Le général Duhesme sentait combien il importait d’arriver rapidement devant Gérone pour profiter de la première impression faite sur les esprits par la déroute de Mongat; mais avant la fin de la journée, il eut déjà lieu de reconnaître que cette déroute n’avait produit rien moins que de l’abattement.

La nouvelle en était à peine parvenue à Gérone, qu’on avait expédié des ordres pour faire lever en masse les habitants du pays que nous allions traverser; et deux officiers étaient partis en poste pour les diriger contre nous. Ils parvinrent à former un rassemblement nombreux, et ils le portèrent aux défilés de la route entre Saint-Pol et Calella. Ils commencèrent des coupures et des barricades; et ils employèrent pour les défendre les canons des batteries de la côte.

Ces travaux n’étaient qu’ébauchés, lorsque la tète de notre colonne parut. Elle prit les canons et força les défilés sans presque ralentir sa marche. Les insurgés se rallièrent devant Calella et revinrent à la charge; mais ils furent encore battus et dispersés. L’un des deux officiers envoyés de Gérone fut tué dans le premier combat; on trouva sur lui les ordres de la junte insurrectionnelle qui s’était organisée dans cette ville.

Nos troupes passèrent la nuit du 18 au 19 à Calella et à Pinéda. Le lendemain elles ne virent plus de grands rassemblements; mais elles essuyèrent souvent le feu des paysans embusqués dans les bois et dans les parties couvertes du terrain qui borde la route. Les habitants des villages avaient tous abandonné leurs maisons, et ils rôdaient continuellement autour de notre colonne. Ils faillirent, au milieu même de cette colonne, surprendre le général en chef: son escorte et son état-major furent obligés de les charger.

Le 19, l’avant-garde coucha à trois quarts de lieue de Gérone. Le 20 au matin, elle se présenta devant cette place, précédée par un officier envoyé en avant pour la sommer.

Toutes les troupes arrivèrent successivement, et s’étendirent à droite et à gauche de la route de Barcelone. Le général Léchi, avec le gros de sa division, prit position à droite sur les hauteurs de Palau. Les cuirassiers et les bataillons du 37e et du 56e campèrent dans la plaine à gauche, avec un bataillon napolitain. Le régiment de chasseurs de la même nation s’avança jusque sur le Ter.

Gérone est située sur la route de France à Barcelone, à 20 lieues de cette place et à dix de la frontière. Elle est divisée par la petite rivière de l’Ogna en deux parties, la ville proprement dite ou la ville haute, et le Mercadal ou la ville basse. La ville haute, qui borde la rive droite de l’Ogna jusqu’à son embouchure dans le Ter, n’était fermée que par une ancienne muraille flanquée de tours; mais l’approche en était défendue par plusieurs forts et redoutes, élevés à l’Est et au Nord sur les montagnes au pied desquelles elle est bâtie . Le Mercadal avait une enceinte terrassée et bastionnée, mais sans demi-lunes, chemin couvert, ni contrescarpe revêtue.

Le général Duhesme s’était flatté qu’à la vue de ses troupes, Gérone, encore hors d’état de défense, lui ouvrirait ses portes sans résistance, comme Tarragone avait fait au général Chabran. Il était persuadé que c’était le vœu des officiers du régiment irlandais d’Ultonia, qui formait la garnison de la place; et il avait emmené de Mataro un prêtre et un autre personnage marquant, pour qu’ils fissent aux habitants la peinture des maux qu’une imprudente résistance avait attirés sur leur ville, et que par la crainte des mêmes maux ils achevassent de les déterminer à se soumettre. Il avait été déjà désabusé en partie de ses espérances, en lisant les ordres trouvés sur l’officier espagnol tué en avant de Calella; mais il le fut encore mieux sous Gérone même, lorsqu’il vit une artillerie nombreuse et bien servie saluer la tête de l’avant-garde, et le poursuivre lui-même sur tous les points autour du Mercadal, dont il fit la reconnaissance sur-le-champ.

Le tocsin sonnait sans relâche dans toutes les églises. L’officier envoyé en parlementaire fut retenu prisonnier. Un habitant de Mataro, par les quel on avait cru devoir faire précéder et annoncer les deux députés, fut également arrêté ; et, de peur d’aventurer leur vie, on n’osa pas faire entrer dans la ville ces députés eux-mêmes.

A peine arrivé, on désespérait déjà du succès de l’expédition. «Que faut-il faire à présent, demandait le général Léchi, s’applaudissant tout bas de l’avoir désapprouvée?» Le général Duhesme lui propose de reconnaître la place avec lui. Mais voyant qu’il s’en défendait comme d’une chose inutile: «Eh bien! lui dit-il, qu’on fasse ramasser toutes les échelles que l’on pourra trouver dans les environs.»

J’offris de me charger de ce soin, que je regardais comme le plus important, si l’on voulait tenter une attaque, et qui me semblait devoir particulièrement concerner les officiers de mon arme. Mais au lieu d’accepter mon offre, le général Duhesme m’ordonna de me rendre sur le Ter; et par cet ordre, donné évidemment dans le seul but de m’éloigner, il me confirma dans l’idée où j’étais déjà, que ce n’était point par l’emploi réel de la force qu’il voulait essayer de réduire Gérone.

Cependant, presque au même instant, j’entendis le chef-d’escadron Ordonneau, qui paraissait avoir été le principal conseil et posséder seul le secret de son général dans cette entreprise, se proposer lui-même pour conduire une attaque contre la ville haute, ne demandant que deux compagnies d’élite, et point d’échelles. Je vis en même temps le général Duhesme accepter sans balancer la proposition de son aide-de-camp et chef d’état-major, se disposer à lui confier, non pas deux compagnies seulement, mais toutes les compagnies d’élite de la division Léchi, et donner sur-le-champ l’ordre de les réunir.

Trois obusiers furent placés sur les hauteurs de Palau pour seconder l’attaque de la ville haute; mais ils furent loin de produire un effet favorable. La plupart des obus éclatèrent en l’air avant d’arriver sur la ville; et les affûts, sortis de l’arsenal de Perpignan où ils étaient depuis la paix de 1794, se démontèrent d’eux-mêmes après quelques coups. Cette batterie fut ainsi bientôt réduite au silence et les défenseurs de Gérone crurent que c’était par l’effet de leur artillerie.

Le chef d’escadron Ordonneau ne s’en avança pas moins bravement avec ses compagnies d’élite le long de l’Ogna. Battu de front par la ville, et de flanc par les forts des Capucins et du Connétable, il ne put arriver jusqu’aux murailles. Il fit alors quelques mouvements qui semblaient.menacer ces forts mêmes; maris il ne put résister long-temps aux feux dirigés contre lui, et il ne fut bientôt plus occupé qu’à s’en couvrir à la faveur des ressauts du terrain et des sinuosités des bords de l’Ogna.

Cette attaque, si toutefois on peut lui donner ce nom, ne servit qu’à redoubler la confiance des Géronais. Leurs longs cris de joie vinrent jusqu’à nous sur le Ter, entre Salt et Sainte - Eugénie, et nous n’en devinâmes que trop la cause.

Le général Duhesme avait ordonné au colonel des chasseurs napolitains Zénardi de tenter le passage du Ter, n’ayant peut-être pas entièrement renoncé au projet d’aller débloquer le fort de Figuières. Ce colonel, qui n’avait point d’infanterie avec lui, essaya faiblement de passer devant un rassemblement de paysans postés sur les hauteurs de la rive opposée; et bientôt il y renonça tout-à-fait.

Rien ne me retenant sur la rive du Ter, je la quittai pour retourner auprès du général en chef. Je ne le trouvai plus sur les hauteurs de Palau: il s’en était éloigné pour se porter vers les bataillons français et napolitain, qui étaient postés dans la plaine, devant le Mercadal. M’étant dirigé du même côté, je rencontrai ces bataillons en marche dans un ravin qui les dérobait à la vue; et, loin devant eux, je trouvai, accompagné d’un seul domestique, le général Duhesme qui examinait attentivement la place. Le mauvais succès de son aide-de-camp lui avait causé un chagrin profond qui était empreint sur tous ses traits. Il voulait à tout prix effacer l’impression de ce mauvais succès; et déjà, par ses ordres, une nouvelle batterie de deux pièces avait été placée en avant de Sainte-Eugénie, et lançait des obus contre la ville, où ils endommagèrent plusieurs bâtiments.

A peine l’eus-je rejoint, qu’il m’annonça qu’il allait donner l’assaut. Ne croyant plus les objections de saison, je me bornai à lui répondre: «Attendez

«du moins qu’il soit nuit, et que j’aie fait

«apporter des échelles.» Il parut y consentir, et se dirigea d’abord avec moi vers Sainte-Eugénie; mais il me quitta bientôt pour retourner vers la ville.

D’après l’ordre que je l’avais entendu donner le matin, j’avais à tout événement fait ramasser, par les chasseurs napolitains, toutes les échelles des villages de Salt et de Sainte-Eugénie. J’en choisis dans le nombre douze à quinze des plus longues; et je doutais encore beaucoup qu’elles le fussent assez, excepté une cependant, qui était très-haute et presque assez large pour deux hommes de front, mais aussi fort lourde et fort incommode: c’était une espèce de grand brancard, dont les échelons, très-écartés, étaient fort difficiles à monter.

Au lieu de me donner pour le transport des échelles des hommes de son régiment, le colonel Zénardi ramassa dans le village des soldats français qui étaient venus chercher des vivres; et ce fut avec ces soldats, pris sans les ordres de leurs chefs, que je pus me mettre en mouvement, lorsque le jour touchait à sa fin.

Arrivé au lieu où je croyais retrouver le général en chef, je n’y revis plus un seul homme. Soit que les échelles fussent arrivées trop tard au gré de son impatience, soit que plutôt il n’eût jamais eu réellement l’intention de s’en servir, et qu’en me laissant les aller chercher, il n’eût encore songé qu’à m’écarter, parce que je prenais la chose trop au sérieux, ce général avait, sans les attendre, lancé lui-même les troupes contre la place.

Les voltigeurs français, arrivés à portée de fusil, avaient commencé à tirailler contre la place, comme ils font en rase campagne: ils avaient ainsi donné l’éveil aux batteries des remparts, qui avaient répondu en faisant pleuvoir la mitraille sur les assaillants. Le plus grand nombre s’étaient déjà cachés dans les replis du terrain ou dispersés dans la campagne; mais les plus braves s’étaient précipités dans les fossés, où ils couraient en vain de tous côtés pour trouver quelque moyen de pénétrer dans la place.

Résolu d’aller aussi tête baissée dans une entreprise que je regardais comme un coup de désespoir, je continue d’avancer avec mes échelles. Pour obliger les soldats qui les portaient à braver la mitraille, j’exhorte, je prie, je menace, je frappe même. Je parviens enfin à gagner le bord du fossé ; et, malgré l’obscurité de la nuit alors très-profonde, je vois accourir vers moi une partie de ceux qui s’y étaient jetés.

Gardant pour moi la grande échelle, que je n’avais jamais quittée, parce que c’était la seule sur laquelle j’osasse bien sûrement compter, je leur livre les autres plus faciles à manier. Je dresse la mienne contre le rempart; et pour mieux exciter par mon exemple, je réclame à haute voix l’honneur de monter le premier. Il m’est cédé par le sergent-major des voltigeurs du 37e, Deguercy, qui avait déjà le pied sur le premier échelon; mais je ne suis pas encore au haut, que l’échelle est renversée, et que je suis précipité avec elle dans une cunette d’eau bourbeuse qui régnait au pied du rempart.

Quoique trempé, froissé et meurtri par tout le corps, je ne sors pas de l’eau que je ne sois parvenu à faire redresser l’échelle; et je remonte encore le premier. Un soldat, qui monte après moi, est tué en touchant le parapet. Le brave Deguercy nous suit, mais il est blessé et forcé de descendre. Je reste seul, et ce n’est qu’après quelques instants qu’un voltigeur vient se placer à mon côté.

Le moment était décisif. L’artillerie de la place avait cessé son feu: les derniers coups de fusil avaient été tirés sur nous, au moment où nos têtes dépassaient le parapet, par des hommes qui avaient aussitôt disparu: les remparts étaient déserts. Mais de notre côté il ne monte plus personne, ni à mon échelle, ni à aucune autre: celles que j’avais remises à la troupe n’avaient pas même été dressées contre les murailles, excepté une seule, à laquelle il n’était monté que le jeune Pouilly, officier de cuirassiers attaché à l’état-major du général en chef. Il était parvenu à la hauteur d’une embrasure; le pied lui ayant manqué, il s’était laissé glisser jusqu’en bas, et il était revenu auprès de mon échelle, où s’étaient aussi ralliés les officiers et les soldats qui restaient encore dans le fossé.

Je ne conservais plus d’espoir de succès, et ne pouvais néanmoins me résoudre à descendre, lorsqu’on vint nous annoncer que deux parlementaires étaient sortis de la ville pour capituler, et que le général Duhesme avait ordonné qu’on se retirât. Cela me fut ainsi répété par le chef de bataillon napolitain Ambrosio, qui était du très-petit nombre d’officiers qui n’avaient pas quitté le fossé ; et je descendis enfin, avec le regret amer de voir manquer un coup de main, qui, contre ma propre opinion, eût très-bien pu réussir.

Nous n’étions plus que quelques hommes. Notre retraite se fit sans précipitation, et sans qu’elle fût troublée par un seul coup de fusil. Les deux échelles restèrent dressées contre les remparts, attestant aux habitants de Gérone le danger qu’ils avaient couru.

On ne peut nier que nos troupes, presque en entier composées de conscrits, n’étaient guère mûres pour un coup de vigueur tel que l’attaque de vive force d’une place de guerre, attaque qui, d’après tous les calculs, devrait même échouer faite par les plus vieux grenadiers. Mais si, comme on n’en peut guère douter, le général Duhesme n’eut d’autre dessein que de faire des démonstrations plus ou moins prononcées contre Gérone , celle qu’il dirigea sur le Mercadal fut, par mon opiniâtreté, poussée beaucoup plus loin qu’il ne pouvait espérer; et peu s’en fallut qu’indépendamment de ses chances directes de succès, son effet moral, le seul sur lequel il dût compter, ne fût réellement de nous donner la ville. Notre escalade jeta une telle frayeur parmi les habitants, que non-seulement ils ne retinrent point prisonnier, comme le premier, un second officier que le général Duhesme leur avait encore envoyé pour les sommer, mais qu’ils firent sortir eux-mêmes deux parlementaires, dont l’arrivée fit croire un instant à la reddition de la place.

L’un de ces parlementaires était le major du régiment d’Ultonia, et l’autre, un des membres de la junte. Ils assurèrent que les officiers, la junte elle-même et tous les principaux habitants ne demandaient pas mieux que de recevoir les Français dans la ville, mais qu’une populace en furie y faisait la loi, et qu’ils ne pouvaient répondre ni qu’elle respectât les usages ordinaires de la guerre, ni qu’elle eût aucun égard aux conditions qu’ils pourraient arrêter. Ils ajoutèrent que leur vie même ne serait pas en sûreté, s’ils rentraient à l’instant dans la place; et ils demandèrent qu’il leur fût permis de passer la nuit au milieu des Français; ce qu’on leur accorda sans difficulté.

Ils rentrèrent dans la ville au point du jour, après avoir promis de revenir avec une réponse positive à sept heures du matin. Mais on les attendit en vain jusqu’à dix. Désespérant alors de les voir reparaître, le général Duhesme mit ses troupes en mouvement pour retourner sur Barcelone.

Elles s’étaient à peine éloignées que les deux mêmes parlementaires revinrent; et ils furent très-étonnés de ne pas les retrouver. Quoique ce retour fût un peu tardif, quelques personnes en conclurent que la place se fût rendue, si nous étions restés seulement un jour de plus sous ses murs; mais dans le corps d’armée on ne partagea point cette opinion, qui cependant était peut-être bien fondée.

Telle fut la première attaque de Gérone, que j’ai cru devoir retracer avec quelque détail, parce qu’elle eut une grande influence sur les événements du reste de la campagne. Jusque-là, les insurgés avaient toujours été facilement battus: tout le monde a du courage contre un ennemi qui fuit. Mais, sous Gérone, la fortune ne fut pas pour nous, et l’on apprit à connaître quelques officiers. Le général Duhesme eut toujours dans la suite une prédilection marquée pour ceux qui s’étaient bien montrés dans cette occasion.

Le soir du 21, notre avant-garde coucha à Tordéra: les autres troupes bivouaquèrent entre les villages de la Granote et de Masanet. Nous y trouvâmes, en grande abondance, des vivres de toute espèce, que les habitants, surpris par notre retour imprévu, n’avaient pu emporter en s’enfuyant. Cette abondance rappela avec amertume au général Duhesme que c’était principalement la crainte de manquer de vivres, témoignée par le général Léchi à Mataro, qui l’avait engagé à ne faire, pour ainsi dire, que paraître devant Gérone. Il regarda cette précipitation comme la première cause de son mauvais succès, et il se promit dès-lors de retourner sur cette place avec un autre général.

Cependant les habitants de Gérone, avertis de notre départ par leurs parlementaires, parcouraient nos camps abandonnés et ne pouvaient croire encore à notre retraite. Ils la regardaient comme une ruse de guerre; et dans le milieu de la nuit, nous fumes réveillés par un grand feu d’artillerie et de mousqueterie, parti des remparts de leur ville, où, sur une fausse alerte, on s’était imaginé que nous renouvellions l’attaque de la veille .

Le 22, la colonne coucha à Pinéda et à Calella, et le 23 à Mataro, où le général Duhesme laissa pendant quelques jours la division italienne. Pour lui, il rentra, le jour même du 23, à Barcelone. Les troupes françaises qui avaient fait partie de l’expédition y rentrèrent le lendemain.

Dans notre retraite, nous ne fûmes point harcelés par les habitants; mais ils nous firent un autre genre de guerre plus dangereux. A Tordéra, vingt de nos soldats furent égorgés, pendant leur sommeil, dans un jardin où ils avaient bivouaqué. Plusieurs autres avaient eu le même sort dans des habitations isolées; on avait traîné leurs cadavres sur la route, et suspendu à des arbres leurs uniformes sanglants pour les étaler à nos yeux.

En général les Français qui avaient le malheur de rester en arrière ou de s’écarter de la colonne étaient presque tous massacrés; et ils l’étaient par les mêmes hommes qui avaient disparu de leurs maisons à l’approche de cette colonne. Ces hommes cruels ne se bornaient pas à leur ôter la vie. Le plus souvent ils commençaient par les mutiler de la manière la plus horrible. Quelquefois ils les brûlaient, et il y en eut même qu’ils enterrèrent vivants. Tout concourait ainsi à donner à cette guerre un caractère plus prononcé de fureur et de barbarie. Nos soldats indignés exerçaient de terribles représailles: ils mettaient le feu à toute maison d’où partait un coup de fusil: ils ne faisaient grâce de leur côté à aucun habitant pris les armes à la main; mais on ne les vit jamais imiter les raffinements de cruauté dont ils étaient si souvent les victimes ou les témoins.

Mémoires sur la campagne du corps d'armée des Pyrénées-Orientales en 1808

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