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Entrée des Français en Catalogne. — Occupation de Barcelone et du fort de Figuières.

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Les Français étaient maîtres du Portugal, et les généraux Dupont et Moncey, à la tête de deux corps d’armée partis de Bayonne, avaient déjà pénétré dans l’intérieur de l’Espagne, lorsque, au commencement de 1808, un nouveau corps d’environ sept mille hommes fut rassemblé à Perpignan, sous le nom de Division d’observation des Pyrénées-Orientales. Il était composé, en très-grande partie, de troupes des royaumes d’Italie et de Naples, et se trouvait sous les ordres du général de division italien Léchi. Avant de faire entrer ce corps en Catalogne, Napoléon envoya un général français pour en prendre le commandement en chef. Ce fut le général Duhesme, qui avait déjà commandé comme lieutenant - général dans la campagne de Marengo .

Ce général arriva le 4 février à Perpignan. Le 9, il entra dans la Catalogne, se dirigeant sur Barcelone. Il traversa sans obstacle Figuières et Gérone. A Figuières, on logea même sans défiance une partie de ses troupes dans le fort. Le comte de Santa-Clara, capitaine-général de la Catalogne, s’apprêtait, non-seulement à les recevoir dans Barcelone, mais encore à les loger également dans la citadelle et dans le fort Mont-Jouy, lorsqu’on vit arriver en toute hâte, pour le remplacer, le comte d’Ezpéléta, un des hommes qui possédaient au plus haut degré l’estime et la confiance des Espagnols.

Ce nouveau capitaine-général, qui était parti de Madrid au premier avis du mouvement de nos troupes, envoya successivement deux officiers au-devant du général Duhesme pour le sommer de rétrograder, ou de s’arrêter du moins jusqu’à ce qu’on eût reçu les ordres de la cour d’Espagne. Voyant que ce général n’en poursuivait pas moins sa marche, et devant, d’après ses instructions, éviter tout motif et même tout prétexte de rupture, il prit le parti de le laisser entrer sans opposition dans Barcelone; mais, moins confiant que son prédécesseur, il se garda bien d’envoyer nos soldats dans la citadelle et le fort Mont-Jouy: il y distribua au contraire la plus grande partie des troupes espagnoles qui formaient la garnison de la place, et leur fit évacuer les casernes de la ville pour y loger ces nouveaux hôtes, qu’on regardait déjà comme très-suspects. Néanmoins le général Duhesme obtint que ses troupes monteraient la garde en commun avec cette garnison aux portes de la ville, et même à celle de la citadelle. Il établit à cette dernière porte, où les Espagnols n’avaient que vingt hommes, le poste principal de police, connu sous le nom de poste de la place, qui fut toujours composé d’une compagnie de grenadiers ou de voltigeurs.

Barcelone est située sur le bord de la Méditerranée, à trente lieues de la frontière de France, et presque à une égale distance des autres frontières de la Catalogne, dont elle est la capitale. Renommée par son commerce et ses manufactures, elle n’est ni moins célèbre ni moins importante comme place de guerre. Couverte d’un côté par la mer, protégée sur deux autres par la citadelle et par le fort Mont-Jouy, elle n’est vulnérable que du côté de la campagne, où elle est défendue par une bonne enceinte bastionnée, des demi-lunes, un chemin couvert, et un ouvrage détaché qu’on appelle le fort Pio.

A douze cents mètres au sud-ouest de la ville, le fort Mont-Jouy couronne le sommet de la montagne de ce nom, élevé de deux cents mètres au-dessus de la mer. Ce fort présente une triple enceinte du seul côté où il soit susceptible d’être attaqué : il n’en existe peut-être pas de plus difficile à prendre par un siège en forme.

La citadelle est très-forte aussi, quoique moins imposante au premier coup-d’œil; c’est un pentagone régulier, construit suivant le premier système de Vauban. Elle est placée à l’est de la ville, et touche à la mer par une lunette avancée qu’on nomme le fort Saint-Charles.

Le port est situé au pied du Mont-Jouy. Il est défendu par ce fort, par la ville et par la citadelle, mais plus immédiatement encore par les batteries de la Lanterne, ainsi nommées d’un phare élevé à leur côté sur la pointe de la jetée qui le borde. L’entrée en est fermée par un banc qui n’en permet l’accès qu’à de petits bâtiments de guerre, la passe la plus profonde ayant à peine douze pieds d’eau.

Entre le port et la citadelle se trouve le faubourg ou plutôt la nouvelle ville de Barcelonette, dont la fondation ne remonte qu’au milieu du siècle dernier: son emplacement tout entier est une alluvion de la mer. Le fort Saint-Charles, les batteries de la Lanterne, et une autre batterie intermédiaire, croisent leurs feux en avant de Barcelonette.

Dans l’angle que l’enceinte de la ville forme au pied du Mont-Jouy en s’éloignant du port, on voit s’élever, sous le nom d’Atarazanas, de vastes bâtiments qui renfermaient autrefois l’arsenal et les chantiers de la marine, long-temps florissante, de Barcelone, et qui depuis sont devenus des casernes et un très-bel arsenal de terre. Pour mettre, en cas d’émeute, les Atarazanas à l’abri d’insulte, les entrées en ont été couvertes par deux demi-bastions, qui en font une espèce de réduit ou de seconde citadelle. Toutes les portes de la ville sont également retranchées du côté de l’intérieur.

Le souvenir de l’esprit remuant des Catalans, et des longues révoltes qu’il a excitées, n’avait pas encore cessé de donner de l’inquiétude au gouvernement espagnol: il devait, à plus forte raison, en inspirer au général français. Suivant les ordres qu’il avait reçus, ce général avait annoncé qu’il devait marcher sur Cadix, et qu’il ne s’arrêtait à Barcelone que pour attendre la décision de la cour d’Espagne à ce sujet. La prolongation de son séjour dans la capitale de la Catalogne faisait de plus en plus ombrage aux habitants. Il se trouvait avec une poignée d’hommes au milieu d’une population de cent soixante mille ames, qui, au premier mouvement, eût été secondée par la garnison espagnole, jalouse des troupes françaises et presque aussi nombreuse qu’elles ( elle comptait près de cinq mille hommes). Pour la sûreté seule de ses troupes, il sentait la nécessité d’occuper la citadelle et le fort Mont-Jouy; mais il n’avait rien tenté pour s’en emparer, lorsque, le matin du 28 février, un aide-de-camp du ministre de la guerre arriva dans Barcelone, et lui remit une dépêche où ce ministre lui mandait que l’empereur le supposait en possession de la citadelle et du fort Mont-Jouy.

Le général Duhesme reconnut qu’il avait eu le tort de ne pas deviner les intentions de Napoléon; mais il l’effaça par sa promptitude à le réparer; et, avant de se livrer au sommeil, il put annoncer, le jour même, que ces intentions étaient remplies.

En mettant une compagnie d’élite tout entière de garde à la porte, ce général avait déjà fait un premier et très-grand pas pour surprendre la citadelle. Il s’agissait de faire encore les derniers sans donner l’éveil aux autorités espagnoles, qui, plus inquiètes de jour en jour, venaient de demander qu’on retirât cette garde.

Aussitôt après l’arrivée de l’aide-de-camp du ministre, le général Duhesme appela chez lui, pour se concerter avec eux, le général Léchi et le chef de bataillon Latour, qu’il avait nommés, à son arrivée à Barcelone, le premier, commandant supérieur, et le second, commandant d’armes de la ville. Ce dernier était chef d’un bataillon du 16e régiment d’infanterie de ligne, le seul bataillon français qui fit alors partie du corps des Pyrénées-Orientales. C’était justement sa compagnie de voltigeurs qui était ce jour-là de garde à la porte de la citadelle. Le plan de surprise ayant été arrêté par le général en chef, le commandant Latour se transporta sur-le-champ à cette porte, comme pour faire sa visite ordinaire des postes, et il donna ses instructions au capitaine, sans cependant le mettre entièrement dans le secret.

Dans l’après-midi, à l’heure accoutumée des exercices, ce même commandant conduisit son bataillon sur l’esplanade et les glacis qui séparent la citadelle de la ville. Il lui fit exécuter plusieurs évolutions, qui attirèrent une foule de curieux, parmi lesquels on remarquait une partie des officiers et des soldats de la garnison même de la citadelle. Enfin il les mit en bataille sur la chaussée qui conduit dans son enceinte, en appuyant une des aîles à la barrière du chemin couvert.

Au moment où ce bataillon était ainsi prêt à gagner brusquement, par une marche de flanc, la porte principale, le général Léchi passe à cheval devant ses rangs, suivi par le bataillon italien des Vélites, qui venait de manœuvrer également sur la Muraille de mer. Le général s’avance sur les ponts des fossés de la citadelle, annonçant qu’il va rendre visite au gouverneur. L’une et l’autre garde se mettent sous les armes et battent aux champs pour lui rendre les honneurs. La garde espagnole, voyant avancer les Vélites, fait un mouvement pour s’y opposer; mais elle est contenue par les voltigeurs français. Les Vélites et le bataillon du 16e entrent à l’instant dans la citadelle, où ils sont bientôt suivis par deux autres bataillons.

La garnison, cernée dans ses casernes et complètement surprise, n’était nullement en mesure d’opposer de la résistance; la pensée ne lui en vint même pas. Elle était composée de deux bataillons dés gardes espagnoles et wallonnes. Les officiers: confus demandèrent comme une grace de ne rentrer en ville que la nuit, n’osant soutenir les regards des habitants. Le gouverneur, plus confus encore, s’arrachait les cheveux de honte et dei désespoir.

Le général Duhesme, pendant qu’il se rendait ainsi maître de la citadelle, avait également fait marcher des troupes vers le fort Mont-Joùy; mais il ne fut pas si facile de s’en emparer. Gomme il est situé à un quart de lieue de la ville, et qu’on m’avait trouvé ni motif ni prétexte pour mettre une.garde française à sa porte, on ne put en surprendre l’entrée. Le commandant (c’était le brigadier Alvarez, le même qui défendit Gérone l’année suivante), le commandant, dis-je, fit lever le pont à l’approche de nos troupes, et refusa de les laisser entrer sans un ordre très-précis du capitaine-général.

Le comte d’Ezpéléta hésitait à donner cet ordre: le gouverneur de la ville, auquel le commandant du Mont-Jouy était subordonné , n’en envoyait que d’ambigus qu’Alvarez refusait de reconnaître. Le général Duhesme avait fait cerner le fort et parlait d’escalade, mêlant les menaces aux exhortations. La nuit survint. Plusieurs heures s’écoulèrent encore, sans qu’il pût rien obtenir; mais enfin, vers minuit, les portes du fort Mont-Jouy lui furent ouvertes, et de cet instant seulement, il put se regarder comme maître de Barcelone.

La journée avait été extrêmement critique. L’indignation des Catalans était montée au plus haut degré , lorsqu’ils avaient vu la citadelle surprise et le fort Mont-Jouy menacé. Pendant qu’on parlementait devant le fort, des attroupements nombreux s’étaient formés sur plusieurs points de la ville. Un soulèvement eût été inévitable sans les efforts du comte d’Ezpéléta pour le prévenir, et nos troupes eussent couru le plus grand danger. La prise du Mont-Jouy fit succéder aux imprécations et aux menaces l’abattement et la consternation.

Les troupes espagnoles n’avaient évacué qu’en frémissant les forteresses confiées à leur garde. Le lendemain, elles parcoururent la ville en tumulte, et assassinèrent quelques-uns de nos soldats, On rétablit l’ordre en sévissant sur-le-champ contre les assassins; mais, pour qu’il ne fût plus troublé , on jugea nécessaire d’éloigner une partie de ces troupes, et l’on envoya dans des cantonnements le régiment d’Estramadoure, qui était sorti du fort Mont-Jouy, et qui, n’étant pas retenu par la honte de s’être laissé surprendre, donnait le plus libre essor aux sentiments de vengeance qui l’animaient. Les deux bataillons des gardes espagnoles et wallonnes restèrent dans la place, ainsi qu’environ six cents soldats d’artillerie et quelques dépôts de divers régiments: c’étaient encore plus de trois mille hommes.

Napoléon fut à peine informé de la prise de la citadelle et du fort Mont-Jouy, qu’il ordonna au général Marescot, premier inspecteur-général du génie, d’aller visiter, comme si elles eussent déjà fait partie de son empire, Barcelone et les autres forteresses de la Catalogne plus rapprochées de la France. Ce général sentit combien il était contraire aux principes de la guerre de n’occuper qu’une seule place, séparée par plus de trente lieues de notre frontière . Il conseilla au général Duhesme de profiter de l’arrivée d’une seconde division qui lui était annoncée, pour mettre des garnisons dans le fort de Figuières et dans les places de Roses, Gérone et Hostalrich, qui n’étaient, pour ainsi dire, que les avant-postes de Barcelone du côté de la France.

Le général Duhesme avait déjà songé à se saisir du fort de Figuières: il avait même fait approuver son projet par le prince Murat, lieutenant-général de l’empereur en Espagne, qui lui avait envoyé l’ordre de l’exécuter; mais Napoléon avait, en toute hâte, contremandé cet ordre, qui était contraire à ses intentions; et il avait expressément ordonné de ne pas compromettre les troupes en les disséminant, et de les tenir toutes concentrées dans Barcelone.

Cependant, le général Marescot ayant particulièrement insisté sur l’importance du fort de Figuières, qu’il comparait à un fort de diamant, le général Duhesme se décida à le faire occuper; et, dans les premiers jours d’avril, lors de l’arrivée de la nouvelle division, il en fit surprendre l’entrée par un de ses bataillons, à peu près comme on avait surpris la citadelle de Barcelone. Mais, malgré toute sa déférence pour le premier inspecteur-général du génie, son ancien compagnon d’armes et son ami, il n’osa prendre sur lui de suivre également ses conseils pour Gérone, Roses et Hostalrich. Craignant même d’avoir trop fait en occupant le fort de Figuières, il pria ce général de rendre compte lui-même à l’empereur de cette occupation, et de provoquer en même temps celle des autres places.

Napoléon était à Bayonne, lorsque le général Marescot le rejoignit. Il venait d’attirer dans cette ville Ferdinand et toute la famille royale d’Espagne. Regardant comme assurée la possession de la Péninsule, il étendait déjà ses regards au loin sur l’Afrique; et, tout près de lui, aux portes mêmes de la France, il dédaigna de les abaisser sur des places fortes qu’on pouvait alors prendre sans coup férir, et qui devaient plus tard nous coûter tant de sang

Napoléon ne loua ni ne blâma le général Duhesme de s’être emparé du fort de Figuières; mais loin de lui donner l’ordre de s’emparer de Roses, Gérone et Hostalrich, ce général ayant représenté, quelque temps après, la nécessité d’envoyer du monde dans le fort de Roses pour le mettre à l’abri des entreprises des Anglais, il lui prescrivit de nouveau de tenir toutes ses troupes réunies dans Barcelone, et lui fit un reproche d’en avoir cantonné une partie à Mataro et dans les environs. Il ne semblait attacher alors, en Catalogne, d’importance qu’à Barcelone, et ne demandait au général Duhesme que de lui répondre de cette place et des troupes qu’il y commandait.

Mémoires sur la campagne du corps d'armée des Pyrénées-Orientales en 1808

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