Читать книгу Mémoires sur la campagne du corps d'armée des Pyrénées-Orientales en 1808 - Gabriel Laffaille - Страница 8

Composition du corps d’armée des Pyrénées-Orientales. — État de la Catalogne. — Émeute à Barcelone.

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La division qui vint renforcer le général Duhesme était moins nombreuse que celle qu’il avait déjà sous ses ordres; mais elle était composée tout entière de Français, et l’organisation définitive du corps d’armée fit passer de son côté la supériorité du nombre, en incorporant dans ses rangs le bataillon du 16e, le 3e régiment provisoire de cuirassiers, et un bataillon suisse, qui étaient entrés dès le principe en Catalogne. L’autre division ne se trouva plus ainsi formée que d’Italiens et de Napolitains.

Voici quelle était, en troupes de toutes armes, la composition du corps d’armée:

INFANTERIE.


CAVALERIE.

Le 3e régiment provisoire de cuirassiers.

Le 3e» de chasseurs.

Le régiment de chasseurs du Prince, italien.

Le 2e régiment de chasseurs napolitains.

ARTILLERIE.

Une compagnie d’artillerie légère.

Une compagnie du 6e bataillon (bis) du train.

Une» d’artillerie à pied, italienne.

Un détachement du train de la garde»

Il n’y avait pas de troupes du génie dans le corps d’armée; mais on forma dans chaque division, pour faire le service de ces troupes, un détachement d’hommes tirés des différents corps d’infanterie, à qui l’on donna le nom de sapeurs provisoires.

L’effectif du corps des Pyrénées-Orientales était de douze à treize mille hommes; mais le bataillon du 2e, qui avait surpris le fort de Figuières, en resta toujours détaché, et ne vint jamais jusqu’à Barcelone.

Le bataillon des Vélites avait frappé les Espagnols par sa beauté : il continua de se faire remarquer autant par son excellente conduite que par sa brillante tenue.

La 1re division était commandée par le général Chabran, ayant sous ses ordres les généraux de brigade Goullus, Nicolas et Bessières: ce dernier, frère du maréchal du même nom, commandait la cavalerie.

Le général Léchi, qui était à la tête de la 2e division, était le plus ancien des généraux et le chef d’une famille très-puissante dans le royaume d’Italie. Lors des premières campagnes de Bonaparte, il avait joué un grand rôle dans la révolution de son pays, et il avait conservé depuis cette époque des relations intimes avec les généraux Murat et Berthier. Il n’y avait qu’un seul général de brigade pour l’infanterie de cette division: c’était le général Milossevitz, qui était Dalmate de nation, et qui sortait du service autrichien.

La cavalerie italienne et napolitaine était sous les ordres du général Schwartz, ancien colonel de hussards, né , comme l’indique son nom, dans les provinces allemandes.

Les chefs d’état-major des deux divisions étaient les adjudants-commandants Devaux et Léchi.

Le colonel Fabre, officier déjà avancé en âge, et depuis long-temps directeur des forges dans l’intérieur de la France, commandait l’artillerie du corps d’armée.

Il n’y avait point d’officier supérieur du génie, mais seulement quatre capitaines français et quatre lieutenants italiens. Le plus ancien de nous, le capitaine Ménard, fut le commandant de notre arme. Le général en chef, sur la recommandation du général Marescot, m’attacha à son état-major particulier, voulant que je n’eusse d’ordres à recevoir que de lui. Les capitaines Fleury et Lepoitevin furent attachés à la division Chabran; le lieutenant Grassi à la division Léchi, et les trois lieutenants Vincenzi, Vacani et Guaragnoni à la place de Barcelone, sous la direction immédiate du capitaine Ménard.

Le corps d’armée des Pyrénées-Orientales, comme presque tous ceux qui entrèrent en Espagne, en 1808, était composé de troupes de nouvelle formation, de régiments provisoires et de bataillons de dépôt. On y comptait beaucoup d’anciens officiers, mais peu de soldats qui eussent vu le feu. Il était d’ailleurs, comme on a déjà pu le juger, formé d’éléments assez hétérogènes, rassemblés de divers points de l’Europe. Les généraux avaient été pris, la plupart, dans les commandements de l’intérieur, où l’on ne voyait guère à cette époque que ceux que des blessures, des disgraces ou d’autres causes plus ou moins honorables avaient éloignés des armées actives. Les officiers généraux et particuliers étaient presque tous inconnus les uns aux autres: ils s’observaient d’un œil curieux en attendant le moment de l’épreuve. Ce moment n’était pas éloigné ; et plus d’un devait alors détruire par ses actions la réputation qu’il se faisait par ses discours.

Sentant le besoin d’instruire ses troupes, le général Duhesme les faisait exercer deux fois par jour. Il présidait aux manoeuvres et les commandait souvent lui-même. Il excitait ainsi l’étonnement et l’admiration des Espagnols, qui n’avaient jamais rien vu de semblable chez leurs généraux. Il ne veillait pas avec moins de soin au maintien de la discipline, et elle fut toujours rigoureusement observée dans Barcelone.

Loin de voir nos soldats se porter à des excès, on eut souvent occasion d’admirer leur patience et leur longanimité contre les provocations et les injures: assurément leur conduite ne contribua pour rien à faire naître l’insurrection en Catalogne. Cette insurrection tenait dans toute l’Espagne à des causes plus élevées: nos chefs et nos soldats s’y fussent-ils comportés partout de la manière la plus irréprochable, ils n’eussent pu la prévenir.

Avant de montrer comment elle vint à éclater en Catalogne, je crois devoir donner une idée sommaire de cette province. Le général Duhesme ne négligeait aucun moyen de la bien connaître. Il s’attachait avec le plus grand soin à recueillir des renseignements sur la nature et les ressources du pays, la situation des routes et des chemins, l’état des places fortes, l’esprit des habitants, enfin sur tout ce qu’il importe de savoir dans les contrées qui peuvent devenir d’un moment à l’autre le théâtre de la guerre.

La Catalogne est presque entièrement couverte de montagnes: à chaque pas elle présente des défilés. Ses rivières, l’Èbre excepté, sont en général de la nature des torrents, habituellement guéables, mais sujettes à s’enfler par des crues presque subites.

Elle compte un grand nombre de places fortes, et elle n’offre que très-peu de chemins praticables à l’artillerie. Elle n’est traversée que par trois grandes routes, qui partent de Perpignan, de Saragosse et de Valence pour aboutir toutes les trois à la capitale. La première, après avoir dépassé Gérone, se divise en deux, qui ne se rejoignent plus qu’à la porte de Barcelone: l’une, dite la Vieille-Route, passe sous le fort d’Hostalrich et dans Granollers, Moncade et Saint-André : l’autre, appelée la Nouvelle-Route ou la route de la Marine, joint le bord de la mer à Calella, et traverse ensuite Mataro, Mongat et Badalone. Les routes de Saragosse et de Valence se réunissent, à trois grandes lieues de Barcelone, au pont de Molins-de-Rey sur le Llobrégat. La première passe à Lérida, Igualada et Martorell: la seconde à Tortose, Tarragone et Villa-Franca.

Chaque grande route est fermée par une ou plusieurs places; celle de Perpignan par Figuières, Gérone et Hostalrich; celle de Saragosse par Lérida; celle de Valence par Tortose, le fort du Col de Balaguer et Tarragone; et toutes les trois par Barcelone, où se trouve leur point de concours.

Ce ne sont pas là toutes les places fortes de la Catalogne. Il y à de plus Roses, qui défend, près de l’extrême frontière, un mouillage utile pour l’attaque comme pour la défense; la Seu d’Urgel, qui intercepte le chemin de la vallée du Ségre, le plus direct pour marcher des Pyrénées-Orientales vers le cœur de l’Espagne; et Cardone enfin, qui, placée au milieu des montagnes et ne gardant ni passage ni point militaire d’une grande importance, semble être un refuge ménagé pour les temps de malheur.

La Catalogne a près d’un million d’habitants. Elle ne produit ni la quantité de grain ni la quantité de bétail nécessaire à leur subsistance: elle est obligée d’en tirer la plus grande partie du dehors. L’Aragon, la France et la mer la lui fournissent.

On ne peut reprocher aux Catalans la paresse dont on accuse trop généralement les Espagnols. Actifs et laborieux, ils suppléent par leur industrie et leur travail à la fertilité qui manque à leur sol. Leurs manufactures sont plus considérables que celles de tout le reste de l’Espagne. Le commerce leur a procuré de grandes richesses, et l’on s’en aperçoit principalement le long des côtes: il n’est peut-être pas de pays qui offre une suite d’aussi beaux villages que ceux qu’on trouve de Barcelone à Calella.

Le costume des paysans catalans annonce l’aisance: nulle part on n’en voit de mieux vêtus. On en trouverait difficilement aussi qui fussent plus endurcis à la fatigue, à l’intempérie des saisons, et surtout à la marche. Ils sont remarquables par leur force et leur agilité. Ils le sont peut-être encore plus par beaucoup d’esprit naturel, et par une fierté de caractère qui les éloigne des bassesses et des supplications. Cette fierté se peint sur leur figure, ainsi que dans leur démarche; et, suivant l’expression d’un de nos historiens, on les prendrait, à les voir, pour des grenadiers déserteurs.

La population dans les villes n’est pas, à beaucoup près, aussi belle que dans les campagnes. Elle paraît avoir été abâtardie par le luxe et la corruption, particulièrement dans les classes les plus élevées. Et ce n’est pas dans la Catalogne seule qu’on fait cette remarque: on la fait également dans les autres parties de la Péninsule, et surtout parmi les grands d’Espagne.

Pour l’administration, la Catalogne est divisée en douze corrégiments qui sont en général plus petits que nos départements, mais plus grands que nos districts ou arrondissements de sous-préfecture. Ils ressortissent tous, pour la justice, d’une audience, qui siège à Barcelone, et qui, sous plusieurs rapports, est semblable à nos anciens parlements Il y a pour toute la province, sous le titre de capitaine-général un commandant supérieur, dont l’autorité s’étend sur le civil comme sur le militaire.

L’esprit d’indépendance, ou si l’on veut, de révolte des Catalans, était passé en proverbe. Le gouvernement espagnol était loin de le croire entièrement éteint. Les soins qu’il prenait encore pour le comprimer entretenaient l’ancienne animosité des Catalans contre les Castillans; mais cette animosité n’était rien, comparée à leur haine pour les Français; haine qu’ils avaient sucée avec le lait, et dont l’origine remonte aux guerres de Louis XIV, ou peut-être plus haut encore .

Quoi qu’il en soit, on pouvait aisément prévoir que, si les hostilités commençaient en Catalogne, les montagnes, les défilés, les places fortes, le défaut de chemins et la difficulté des subsistances opposeraient de grands obstacles aux Français; mais ils devaient en attendre de plus grands encore du caractère bien connu des habitants.

Dans la Catalogne, comme dans tout le reste de l’Espagne, on avait applaudi avec des transports de joie immodérés à la chute du prince de la Paix. On l’attribua d’abord aux Français. La haine dont ils étaient l’objet en fut pendant quelque temps assoupie; mais elle se réveilla avec plus de fureur lorsqu’on fut détrompé, et qu’on vit chaque jour se déchirer quelques parties du voile qui couvrait les desseins de Napoléon.

D’autres causes augmentaient encore le mécontentement à Barcelone. Quoique l’Espagne et l’Angleterre fussent en guerre, cette ville avait conservé une grande partie de son commerce maritime. L’arrivée des Français avait entièrement arrêté ce commerce, et elle avait ainsi entraîné l’interruption du travail des manufactures, qui occupait auparavant la plus grande partie de la population. L’oisiveté et la misère pouvaient la pousser à tous les excès. Les habitants riches, qui redoutaient ces excès pour eux-mêmes, vinrent au secours des ouvriers sans travail par des offrandes volontaires. Les troupes françaises suivirent elles-mêmes cet exemple, et firent en leur faveur le sacrifice de quelques jours de solde; mais la fermentation n’en allait pas moins croissant: elle semblait à tout moment prête à produire une explosion terrible.

Les événements du 2 mai, à Madrid, frappèrent les provinces de stupeur; mais ils ne comprimèrent le feu de l’insurrection que pour le faire éclater avec plus de violence quelque temps après. Ce fut dans ces circonstances qu’on vit paraître en Catalogne un décret du prince Murat, lieutenant-général du royaume d’Espagne au nom de Charles IV, qui, dans l’espoir chimérique de gagner les Catalans, leur rendait le droit de port d’armes, dont ils avaient été privés, ainsi que de leurs autres priviléges, après la guerre de la succession. Ils s’empressèrent de profiter de ce droit, sans même cacher le dessein de tourner leurs armes contre nous. En les achetant, non plus avec mystère, mais avec une sorte d’ostentation, ils semblaient nous annoncer qu’ils nous apprendraient bientôt l’usage qu’ils savaient en faire.

A la vieille haine nationale et aux nouveaux motifs qui animaient le peuple contre nous, il faut ajouter l’influence des prêtres et surtout celle des moines: craignant pour leur existence future, si nous étions maîtres en Espagne, ils nous représentaient comme des ennemis déclarés de la religion. Les miracles, les prophéties, les apparitions, les calomnies les plus atroces, les nouvelles les plus absurdes, tous les moyens enfin étaient mis en œuvre, et ils l’étaient avec le plus grand succès, pour irriter de plus en plus contre nous les hommes ignorants et superstitieux de ces contrées. L’exaspération des Catalans était portée à son comble; et ils eussent probablement donné au reste de l’Espagne l’exemple de l’insurrection, s’ils n’avaient été contenus par la présence de nos troupes au sein de leur capitale, et par l’harmonie qui paraissait régner entre le général français et le capitaine-général espagnol. Cependant des mouvements populaires eurent lieu dans plusieurs villes de la Catalogne; à Barcelone même il y eut, le 28 mai, une émeute assez considérable.

Une populace nombreuse, à laquelle se joignirent plusieurs canonniers espagnols, assaillit à coups de pierres et de poignards les soldats français sans armes qui, à l’heure de la retraite, traversaient pour se rendre à leurs casernes la promenade de la Ramble. Les officiers qui se trouvaient sur cette promenade fondirent l’épée à la main sur les assaillants, et assurèrent la retraite des soldats; mais ils étaient repoussés à leur tour, lorsque le chef d’escadron Ordonneau, premier aide-de-camp et chef d’état-major du général Duhesme, accourut avec un fort piquet, et dispersa la foule sans tirer un coup de fusil. Le comte d’Ezpéléta, à la tête des principales autorités de la ville, s’empressa de se porter lui-même sur la Ramble, et acheva de rétablir la tranquillité. Il y eut deux ou trois Espagnols de tués: trois ou quatre de nos soldats avaient été assassinés à coups de poignards.

Si les instructions du prince Murat eussent été suivies à la lettre, cette émeute eût pu coûter cher aux habitants de Barcelone; car ce prince avait recommandé au général Duhesme, s’ils faisaient le moindre mouvement, de leur donner une forte leçon, semblable à celle qu’il avait donnée lui-même, le 2 mai, aux habitants de Madrid. Mais, sans renouveler des scènes sanglantes, nos troupes, par leur seule contenance fière et menaçante, produisirent un effet beaucoup plus salutaire. Elles étaient constamment sur le qui vive. Dès le premier avis du mouvement de la Ramble, elles avaient couru aux armes; et dans un instant toutes étaient à leurs postes, prêtes à foudroyer ce qui ne serait point rentré dans l’ordre. Jusqu’à ce jour, les Catalans, pleins de jactance, avaient pris pour de la faiblesse notre soin scrupuleux pour le maintien de l’ordre et de la discipline. Ils ne parlaient que de renouveler sur nous, au premier signal, les Vêpres siciliennes; et, nous regardant comme une proie facile à dévorer, ils croyaient presque nous faire grace en nous épargnant. L’appareil qu’ils nous virent déployer en cette occasion les fit tomber dans un excès opposé. D’une confiance aveugle ils passèrent à une frayeur plus aveugle encore; et les hommes les plus exaltés s’empressèrent de quitter la ville pour aller prêcher le soulèvement au-dehors, ou pour se rendre à Valence, où l’on avait déjà levé l’étendard de l’insurrection.

Cette première émigration contribua puissamment à assurer la tranquillité de Barcelone. Les habitants se bornèrent à exciter ou à favoriser la désertion parmi nos soldats et parmi les soldats espagnols. Ils réussirent complètement auprès de ces derniers, qui désertaient en foule et en plein jour, sans que leurs officiers pussent les retenir. Quelques Italiens et beaucoup plus de Suisses et de Napolitains suivirent leur exemple, attirés par la forte paie qu’on leur promettait chez les insurgés. Mais les soldats français dénoncèrent eux-mêmes les hommes qui tentaient leur fidélité. On en arrêta ainsi deux ou trois qui furent jugés, et subirent la peine portée contre les embaucheurs par les lois de tous les pays.

De tous les corps que nous avions trouvés et qui étaient restés à Barcelone, le bataillon des gardes espagnoles était celui qui laissait le plus hautement éclater sa haine contre nous. Cette haine s’était déjà signalée par une rixe sanglante entre un piquet de ces gardes et un piquet du bataillon des Vélites, qui, suivant l’usage établi depuis notre entrée dans la place, occupaient en commun le poste de la Porte-de-Mer. Ils en étaient venus aux mains avec tant d’acharnement, que trois hommes avaient été tués, les deux officiers et plusieurs soldats blessés. Il avait fallu la présence du général en chef et celle du comte d’Ezpéléta pour faire cesser ce combat, qui pouvait exciter une commotion générale. C’était aussi parmi les gardes espagnoles que la désertion était la plus forte. Leurs officiers, craignant de se trouver sans soldats, demandèrent qu’on fît sortir le bataillon de la ville. Il eût été peut-être aussi dangereux que difficile de le retenir: on l’envoya à Villa-Franca, à dix lieues de Barcelone.

Les canonniers et les hommes des dépôts de divers régiments qui étaient dans la place à notre arrivée avaient déjà presque tous disparu. Il ne resta que le bataillon des gardes wallonnes, dont les officiers étaient Français la plupart, et dont les soldats les plus mutins avaient déjà passé aux insurgés.

Tel était l’état des choses en Catalogne dans les premiers jours de juin, lorsque le général Duhesme reçut, par un courrier expédié de Bayonne, l’ordre de faire marcher sur Valence la division Chabran.

Mémoires sur la campagne du corps d'armée des Pyrénées-Orientales en 1808

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