Читать книгу Mémoires sur la campagne du corps d'armée des Pyrénées-Orientales en 1808 - Gabriel Laffaille - Страница 14
Deuxième affaire du Llobrégat. Prise de Martorell. Préparatifs du siège de Gérone. Ravitaillement du fort de Figuières. Marche sur Gérone.
ОглавлениеPendant notre expédition de Gérone, les insurgés avaient de nouveau réuni des forces considérables sur le Llobrégat. Le régiment suisse de Wimpfen s’était joint à eux, malgré la parole donnée par les officiers au général Chabran; mais ils n’osaient encore s’y fier, et ils l’avaient distribué par détachements sur toute la ligne, sans lui confier un seul poste où il ne fût mêlé avec eux.
Cette ligne s’étendait de la mer à Molins-de-Rey. Ils avaient élevé des retranchements devant Saint-Boy et vis-à-vis du gué de Saint-Jean: ils avaient établi une batterie de trois canons sur les hauteurs en face du pont de Molins-de-Rey; et ils tenaient en réserve une batterie de deux pièces bien attelées, pour la porter, au moment du besoin, sur les points le plus menacés.
Le général Duhesme avait résolu de les attaquer le 27 juin, et il avait en conséquence rappelé de Mataro la division Léchi. Il voulait, comme la première fois, percer leur centre, en passant le Llobrégat devant Saint-Jean; mais une crue imprévue rendit le gué impraticable; et la hauteur des eaux n’ayant pas même permis d’établir un pont dans la nuit, comme il l’avait ordonné, il fut forcé de différer l’attaque.
Je lui proposai alors de passer le Llobrégat sur des barques à son embouchure, sous la protection des bâtiments de guerre français que nous avions dans le port de Barcelone (il y avait une goélette et un brigantin). La nuit suivante, j’allai reconnaître cette embouchure, par son ordre, avec un officier de marine; et nous découvrîmes, en la remontant, un gué qui nous était inconnu, et dont il fut décidé qu’on se servirait pour le passage projeté.
L’attaque fut de nouveau fixée au 30 juin. Les journées du 28 et du 29 furent employées en reconnaissances, dans l’une desquelles le général Duhesme fut atteint à la cuisse par une balle morte.
Le 30, la majeure partie de la division française, commandée par les généraux Goullus et Bessières, était rendue avant le jour au nouveau gué. Des chaloupes armées et plusieurs barques, conduites par l’enseigne de vaisseau Laugier, commandant de notre station maritime, étaient déjà à l’embouchure du Llobrégat pour protéger le passage ou donner les moyens de l’opérer, si une nouvelle crue rendait le gué impraticable ou trop difficile. Leur secours ne fut pas nécessaire: quoique la rivière fût encore assez haute, nos troupes la passèrent rapidement. Elles attaquèrent sur-le-champ les postes ennemis, les mirent en fuite, et firent quelques prisonniers.
Elles remontèrent ensuite la rive droite du Llobrégat, prenant à revers les positions des insurgés, et chassant successivement tout ce qui se trouvait devant elles. Le major Hambourg qui, avec les chasseurs du Prince, faisait une fausse attaque devant Saint-Jean, voyant les ennemis abandonner leurs retranchements, passa la rivière qui était redevenue guéable sur ce point, les chargea, et leur fit une soixantaine de prisonniers.
Cependant le général Léchi se portait avec sa division sur Molins-de-Rey. Un bataillon napolitain, commandé par Ambrosio, passa la rivière à un gué au-dessus du pont, tandis que le bataillon des Vélites s’avançait avec intrépidité sur le pont même. Les insurgés furent mis dans une déroute complète. Ils voulurent sauver leur batterie volante par la route de Villafranca; mais le colonel Zénardi la poursuivit avec les chasseurs napolitains, et parvint à s’en emparer.
Le résultat de cette affaire fut la dispersion des forces ennemies rassemblées sur le Llobrégat, la prise de leurs cinq canons, et plus de deux cents prisonniers, presque tous suisses. Ce résultat eût encore été plus brillant, si le général Goullus n’eût pas fait une halte et fût arrivé à temps, suivant le plan du général en chef, pour couper aux insurgés la retraite sur Villafranca.
Le général Duhesme avait suivi de la rive gauche du Llobrégat la marche des différentes colonnes. Après le temps nécessaire au repos des troupes, il ordonna au général Léchi de marcher sur Martorell, où se trouvait avant l’attaque le quartier-général des insurgés. Cette ville est dans un défilé au milieu des montagnes, au confluent de la Noya et du Llobrégat. Vers le milieu de sa longueur, on tourne à droite pour traverser le Llobrégat sur un pont en pierre d’une seule arche fort élevée, où les voitures ne peuvent passer; sur la rive opposée, on remarque à la tète de ce pont un arc de triomphe antique, qui, suivant une tradition peu vraisemblable, aurait été élevé par Annibal à la mémoire de son père. A la sortie de la ville, on passe la Noya sur un pont en bois, qui fait partie de la grande route de Barcelone à Sarragosse.
En allant, vers la fin du mois de mai, reconnaître Lérida et son château, j’avais aussi reconnu Martorell en passant. Le général Léchi demanda de m’avoir avec lui; et il me confia le commandement de son avant-garde, à laquelle le général en chef me permit de joindre les sapeurs provisoires de la division Chabran. Le capitaine Fleury, chef du génie à cette division, voulut marcher lui-même à la tête des sapeurs.
De Molins-de-Rey à Martorell, la route n’est qu’un long défilé, facile à défendre des deux rives du Llobrégat. Nous nous attendions à de grands obstacles; mais nous ne trouvâmes de résistance qu’à Martorell même. L’entrée en fut défendue par une fusillade assez vive, qui partait du pont du Llobrégat et des environs de l’arc de triomphe. Nos troupes hésitaient à se jeter dans la ville: j’y entrai le premier, et marchai sur-le-champ au pont du Llobrégat. L’ennemi n’y tint point: il y était déjà battu par l’artillerie du général Léchi, qui nous soutenait de très-près.
Nous étions maîtres de la ville; mais la tête de l’avant-garde se trouvait de nouveau arrêtée à la porte sur la Noya. Postés sur les hauteurs de la rive opposée, les insurgés battaient le pont dans toute sa longueur, enfilaient la porte et une partie de la rue qui y conduit. Je m’y portai rapidement; et, le premier encore, je m’élançai sur le pont, sans tenir compte de leur feu. Nos troupes aussitôt me suivirent en courant; et dans quelques minutes, nous n’eûmes plus d’ennemis devant nous.
Le capitaine Fleury, qui en fait d’intrépidité ne le cédait jamais à personne, s’était précipité avec moi sur le pont de la Noya, ainsi que dans la ville, et il m’avait dépassé sur le pont du Llobrégat. On nous accusa de témérité tous les deux; mais cette témérité était plus apparente que réelle; car il avait été facile de remarquer que les insurgés ne tenaient jamais lorsqu’on les abordait franchement, tandis qu’ils résistaient long-temps, et nous tuaient toujours plus ou moins de monde, lorsqu’on tâtonnait devant eux.
Rentré dans Martorell, j’y trouvai le général Léchi, qui m’annonça l’intention de brûler cette malheureuse ville, où il n’était pas resté un seul habitant. J’intercédai en sa faveur; mais ce fut sans succès. Le lendemain matin, les troupes y mirent le feu avec beaucoup d’ordre et de loisir. Les flammes s’élevaient déjà de tous côtés dans les airs, lorsque nous repartîmes pour Barcelone .
C’était le premier incendie que j’eusse vu exécuter de sang-froid long-temps après le combat. Ce fut aussi le dernier dans cette campagne. On sentit que de pareils moyens ne faisaient qu’exaspérer de plus en plus les habitants, et finissaient toujours par tourner contre nous.
Un mois ne s’était pas encore écoulé depuis le commencement des hostilités, et déjà le corps d’armée des Pyrénées-Orientales avait livré quinze combats, pris cinquante canons et dispersé dans trois grandes affaires les masses des insurgés, qui prétendaient le bloquer dans Barcelone. Battus dans toutes les occasions aux environs de cette place, ils parurent, pendant quelque temps, renoncer à ce dessein. Le général Duhesme ne voyait ainsi plus rien qui l’empêchât de parcourir la Catalogne dans tous les sens: il eût pu même espérer de la soumettre entièrement, si elle n’avait pas eu de places fortes; mais ces places lui opposaient des obstacles qu’il n’était pas en son pouvoir de surmonter.
Il sentait chaque jour de plus en plus toute l’étendue de la faute qu’on avait faite en n’occupant point Gérone. Il brûlait du désir de la réparer. Sa première tentative, où il s’était trop légèrement flatté que la célérité et l’audace pourraient tenir lieu de préparatifs et de forces, n’avait fait qu’irriter davantage ce désir.
Dans l’état de la guerre à cette époque, toutes ses troupes n’étaient pas nécessaires pour garder Barcelone. A peine de retour dans cette place, il s’était empressé d’écrire au major-général de Napoléon, pour proposer le siége de Gérone, offrant de l’entreprendre lui-même ou d’y concourir avec la plus grande partie de son corps d’armée; et il s’était occupé sans retard à tout préparer pour être en mesure de le faire ainsi.
Par ses ordres, le colonel Fabre dut former un parc de siège. L’arsenal de Barcelone renfermait en pièces d’artillerie et en approvisionnements de tout genre ce qui était nécessaire et au-delà ; mais les moyens de transport manquaient. C’est ce qui fit sans doute que le parc ne fut composé que de deux canons de seize, quatre mortiers et trois obusiers de gros calibre, deux à trois cents bombes et d’autres projectiles et munitions en proportion. On y ajouta un approvisionnement d’outils de sapeurs, et un grand nombre d’échelles, fortes, légères, s’ajoutant les unes au bout des autres, excellentes enfin pour un assaut.
Ces préparatifs eussent probablement fait réussir notre premier coup de main sur Gérone; mais ils étaient tout-à-fait insuffisants pour en faire le siège en règle; et le nombre de troupes qu’on pouvait emmener ne l’était pas moins. Je crus devoir le dire et le répéter au général Duhesme avec une entière franchise; mais, à moins d’être arrêté par un ordre supérieur, il était irrévocablement décidé à tenter de nouveau sa fortune contre Gérone.
Tout semblait d’ailleurs conspirer autour de lui pour l’affermir dans sa résolution. Parmi les officiers du génie même, j’étais le seul qui élevât une voix importune pour la combattre: ceux qui auraient pu me seconder ne voulaient voir dans un siège qu’une occasion de se signaler. Le colonel Fabre, dont l’opinion devait être du plus grand poids, ne semblait pas douter que son artillerie ne réduisît Gérone. Quant aux officiers des troupes, le général en chef avait su faire passer dans leurs ames l’ardeur qui l’animait lui-même. Ces officiers soupiraient après le moment du départ, et se donnaient rendez-vous sous Gérone, comme s’il se fût agi d’un tournoi, ou qu’ils eussent eu chacun un affront à venger sous ses murs.
Cependant, avant de s’engager définitivement dans une telle entreprise, le général Duhesme désirait avoir l’assentiment, au moins tacite, de Napoléon. Il attendait avec une vive impatience la réponse du major-général, lorsqu’il en reçut des dépêches par un bateau de poste, qui entra dans le port de Barcelone malgré la croisière des Anglais.
Le major-général lui mandait que le général Reille, aide-de-camp de l’empereur, était parti pour aller réunir à Bellegarde une division de trois à quatre mille hommes. «Il est nécessaire,
«ajoutait-il, qu’aussitôt que vous aurez soumis les
«environs de Barcelone, vous vous mettiez en
«marche sur Gérone pour rétablir les communications
«entre Barcelone et le général Reille, qui
«incessamment va marcher sur Figuières.» Le bateau de poste avait aussi apporté une lettre de ce général, où il annonçait qu’il avait ravitaillé le fort de Figuières, et que, aussitôt qu’il aurait réuni toute sa division, il marcherait sur Gérone.
La dépêche du major-général ne parlait pas du siège de cette place. Mais dire de rétablir les communications de Barcelone avec Figuières, n’était-ce pas dire de prendre Gérone, sans laquelle certainement ces communications ne pouvaient être rétablies? Le général Duhesme put donc croire que Napoléon ne désapprouvait pas le projet de siège, et qu’il avait même autorisé son aide-de-camp à coopérer à l’exécution. Il se hâta de répondre au général Reille qu’il serait du 20 au 23 juillet sous Gérone, avec tout ce qu’il pourrait emmener de Barcelone en moyens de siège; et il l’engagea à s’y trouver de son côté à la même époque, avec tous ceux qu’il pourrait tirer de Figuières et de Perpignan.
Dès le commencement des hostilités, le fort de Figuières avait été bloqué par les insurgés. Il était gardé par un bataillon français d’environ six cents hommes, commandé par le colonel Piat. Il n’avait rien à craindre d’une attaque; mais il ne renfermait pour toutes provisions de bouche que quinze mille rations de biscuit, qu’heureusement le général Duhesme y avait fait jeter quinze jours avant l’insurrection. La ville de Figuières avait mieux aimé se laisser écraser par les bombes du fort que de fournir des vivres à la garnison. L’empereur avait envoyé au général Duhesme l’ordre de faire partir le général Léchi de Barcelone, pour organiser un corps sur les hauteurs de Bellegarde; mais, lorsque cet ordre parvint, les communications par terre étaient interceptées, et le général Léchi ne voulut pas s’exposer aux dangers de la traversée par mer. Napoléon prit alors le parti de le remplacer par le général Reille. Ce général, à peine arrivé sur la frontière, marcha, sans perdre un instant, sur Figuières, à la tête des premières troupes qu’il trouva sous sa main. Il mit en fuite les insurgés, ( 3 juillet ) débloqua le fort, et y fit entrer un convoi de vivres. Il retourna ensuite sur Bellegarde, pour y attendre le reste des troupes qui devaient composer sa division. C’est de là qu’il avait écrit pour annoncer son premier succès et ses projets ultérieurs.
Au premier avis de l’insurrection de la Catalogne, Napoléon avait prescrit au général Duhesme de désarmer la ville de Barcelone, de manière à n’y pas laisser un seul fusil; d’approvisionner de vivres la citadelle et le fort Mont-Jouy; de prendre des otages; de les envoyer dans ce fort au moindre événement; et d’employer enfin, s’il le fallait, les moyens les plus violents pour garantir la sûreté et la subsistance de ses troupes: «la guerre, disait-il,
«justifie tout.» L’exécution des deux premières mesures était indispensable pour qu’on pût, sans imprudence, s’éloigner de Barcelone avec la plus grande partie des troupes; mais le désarmement de cette ville était une opération dangereuse et très-difficile. Le capitaine-général espagnol faisait craindre un soulèvement, si l’on ne la tentait avec tous les ménagements que rendaient nécessaires et l’esprit et la masse de la population. Il offrit de l’exécuter lui-même par des voies de douceur; mais ces voies de douceur n’ayant fait livrer que trois à quatre cents mauvais fusils, le général Duhesme vit bien qu’elles ne pouvaient suffire et qu’il fallait recourir à d’autres. Après avoir mis toutes ses troupes sous les armes, il fit faire des perquisitions dans les maisons particulières et surtout dans les couvents. Il parvint ainsi à trouver plus de quatre mille fusils, indépendamment d’un grand nombre de sabres et de poignards.
Il prit aussi diverses mesures pour approvisionner de vivres la citadelle et le fort Mont-Jouy, ainsi que pour assurer la subsistance journalière des troupes qu’il devait laisser dans Barcelone, sous les ordres du général Léchi. Le désarmement des habitants, et mieux encore l’entière dispersion des insurgés dans les environs, empêchaient de craindre alors pour la sûreté de ces troupes. Elles avaient d’ailleurs, en cas de danger pressant, une retraite assurée dans la citadelle et le fort Mont-Jouy, qui avaient été armés et mis en état de défense au moment de leur occupation.
Tranquille ainsi sur Barcelone, le général Duhesme ne songea plus qu’à sa nouvelle expédition. La division Chabran devait y marcher tout entière. Elle avait été envoyée dans le Vallés après la journée du 30 juin, et le 4 juillet elle était entrée à Granollers. Le 5, elle s’était présentée à l’entrée des défilés du Congost, qu’il faut traverser pour aller à Vique. Les insurgés, postés sur les montagnes voisines, s’étaient imaginé qu’ils l’avaient empêchée par leur présence de s’engager dans ces défilés. En ayant conçu de l’audace, ils étaient descendus de leurs montagnes, pour harceler notre avant-garde. Le général Bessières, qui la commandait, feignit de battre en retraite, pour les attirer dans la plaine. Ils donnèrent dans le piége et se précipitèrent à sa poursuite; mais ils se virent tout-à-coup enveloppés par nos chasseurs et par nos voltigeurs, et un grand nombre d’entre eux furent tués ou blessés.
Aussitôt après avoir reçu la lettre du général Reille, le général Duhesme ordonna au général Chabran de redescendre sur Mataro, de porter ensuite une partie de ses troupes à Arens-de-Mar, et de pousser des reconnaissances jusqu’à Calella; mais le général Chabran, écoutant trop, comme sous le Mont-Serrat, des bruits exagérés à dessein par les Espagnols, lui répondit que la route, qui de Mataro à Calella longe le bord de la mer, était presque partout coupée ou minée; qu’une flottille, composée d’une frégate anglaise, d’une demi-galère et d’un grand nombre de chaloupes canonnières, empêchait d’en approcher; qu’il était impossible enfin de s’avancer par cette route.
Le général Duhesme sentit la nécessité d’aller se mettre lui-même à la tête de la division Chabran. Il partit le 16 juillet de Barcelone pour se rendre à Mataro, et laissa des ordres au général Léchi pour le départ du parc de siége et du reste des troupes qui devaient marcher sur Gérone.
Arrivé à Mataro, il s’assura qu’en effet la route avait été coupée sur plusieurs points; mais les reconnaissances du général Chabran n’avaient point approché des coupures, et l’on ignorait encore leur véritable position. Le 16 même, il fit marcher le général Goullus avec sa brigade, pour chasser les insurgés des montagnes qui dominent la route entre Mataro et Arens; et il ordonna au général Chabran de s’avancer par cette route avec son artillerie et le reste de sa division.
Le général Goullus repoussa les insurgés après un combat assez vif, ou nous n’eûmes cependant qu’un petit nombre de blessés; mais au nombre de ces blessés se trouvait le chef de bataillon du 16e, Latour, qui, pour aller au siège de Gérone, avait quitté le commandement de la place de Barcelone, et qu’il fallut rapporter dans cette place .
Quant au général Chabran, le général en chef qui n’était parti de Mataro qu’une heure après lui le trouva, dans le lit d’un vaste torrent, à moins d’un quart de lieue de cette ville, arrêté avec toutes ses troupes par la vue de la flottille ennemie qui l’attendait pour le canonner. Il ne put s’empêcher de témoigner plus que de la surprise, et, se lançant lui-même le premier hors du torrent, il enleva les troupes qui, sans attendre d’autre ordre, s’ébranlèrent aussitôt pour le suivre.
Les feux de la flottille, dont on s’était fait une image terrible, ne furent presque plus rien dès qu’on osa les braver: nos boulets et nos obus les eurent bientôt éloignés, et les défilés qu’on n’osait aborder furent forcés presque en courant.
Nous trouvâmes la route coupée sur trois points en avant et en arrière d’Arens-de-Mar. Nous travaillâmes toute la nuit à la réparer; et dans la matinée du 17 notre artillerie put y passer.
Ce premier succès fit renaître la confiance: cependant la peinture qu’on faisait des énormes coupures que nous devions rencontrer encore avant d’arriver à Calella, détermina le général Duhesme à prendre une autre direction. Des habitants notables de Mataro assuraient qu’il était possible de passer avec de l’artillerie à côté du fort d’IIostalrich, et d’éviter ainsi la route du bord de la mer. Ils ajoutaient qu’avec de légers travaux, pour réparer un chemin déjà praticable aux voitures du pays, il ne serait pas difficile de conduire cette artillerie d’Arens-de-Mar à Saint-Célony, où l’on rejoindrait la vieille route qui passe par Hostalrich. Le capitaine du génie Fleury reçut l’ordre de travailler de suite à la réparation de ce chemin. Toutefois le général envoya le chef d’escadron Ordonneau reconnaître, avec deux bataillons, la route jusqu’à Calella, et il m’ordonna de l’accompagner.
La flottille obligea ces bataillons à marcher par les montagnes. Elle dirigea contre eux une canonnade si violente, que les habitants de Barcelone, qui l’entendaient distinctement, crurent qu’elle avait détruit au moins la moitié de nos troupes. Cependant, par un bonheur singulier, aucun de nos soldats ne fut tué, quoique plusieurs eussent leurs fusils brisés par des boulets.
Les bordées de mitraille de la frégate anglaise ne nous empêchèrent pas de reconnaître les coupures de la route. Elles se trouvaient entre Saint-Pol et Calella, et n’étaient qu’au nombre de deux; mais la dernière était vraiment effrayante. Elle avait été pratiquée, à l’aide de la mine, sur un point où cette route, resserrée par un rocher à pic fort élevé, formait contre le flanc de ce rocher une espèce de corniche, au-dessous de laquelle on voyait la mer à une très-grande profondeur.
Je ne crus pas impossible de réparer cette coupure; mais le chef d’escadron Ordonneau et les autres officiers qui la virent avec moi en jugèrent autrement. La description qu’ils en firent au général Duhesme ne fit que le confirmer dans le dessein de passer par la route d’Hostalrich. Il envoya cependant encore le lendemain, sous les ordres de l’adjudant - commandant Devaux, une nouvelle reconnaissance aux défilés de Saint-Pol, mais ce ne fut plus que pour donner le change à l’ennemi; et Ordonneau, le chef de confiance du général Duhesme, alla se mettre à la tête de l’avant-garde du côté de Saint-Célony.
Le parc de siège arriva le 19 à Arens-de-Mar, escorté par des troupes de la division Léchi. Le train d’artillerie du corps d’armée suffisant à peine pour le transport des pièces et des munitions de campagne, il avait fallu, pour transporter ce parc, trouver des voitures et des chevaux. On les avait demandés aux autorités espagnoles de Barcelone: elles promirent d’abord de les requérir chez les habitants, et puis, au moment du besoin, elles manquèrent à leur promesse.
On fut obligé d’employer les troupes à faire des visites domiciliaires; et l’on prit de force les chevaux, les mulets et les chariots qu’on put trouver; mais on n’en réunit ainsi qu’un nombre insuffisant; et notre parc de siège, déjà si incomplet, ne put pas même être emmené tout entier.
Il n’était pas encore arrivé à Arens, qu’on avait reconnu l’impossibilité de faire passer la grosse artillerie par le chemin de Saint-Célony, à cause d’une montée extrêmement rapide, qui se rencontre entre Arens-de-Mar et Arens-de-Mont. Il n’y eut plus alors à choisir: il fallut se résoudre à tenter la réparation des coupures de Saint-Pol.
Je l’entrepris dès le 19 même. La première coupure, comme celles que nous avions déjà réparées près d’Arens-de-Mar, n’était qu’un fossé très-large et très-profond. Il ne fallait que des matériaux et du temps pour en remplir le vide. Mais la seconde ne pouvait être comblée: tout ce qu’on y eût jeté aurait roulé dans la mer. Sa réparation présentait de grandes difficultés: je parvins cependant à les surmonter; et je réussis à suspendre et à fixer contre le rocher un énorme massif de bois et de terre, sur lequel nos plus grosses pièces purent passer sans l’ébranler.
Il ne fut pas facile de se procurer du bois. Les arbres étaient rares et dispersés à de grandes distances: il fallait les aller couper au loin et les traîner ensuite sur les flancs des montagnes à travers les ravins et les précipices. Dans les pas. sages les plus difficiles, nos soldats s’encourageaient en poussant des cris et faisant battre la charge, comme s’ils eussent marché à l’ennemi. Les boulets de la flottille, qui tombaient au milieu d’eux, et plus encore au milieu des travailleurs entassés autour de la coupure, loin de ralentir leur ardeur, ne faisaient que l’exciter davantage; et peut-être eût-il été impossible d’obtenir la même promptitude et les mêmes efforts, si le travail n’avait pas eu lieu sous le feu de l’ennemi.
Il fut exécuté par les deux bataillons du 7me et du 93me, qui repoussaient en même temps les insurgés du côté de terre. L’adjudant-commandant Devaux conduisait ces deux bataillons, et les animait encore plus par son exemple que par ses ordres, mettant lui-même la main à l’œuvre et ne s’éloignant pas un instant du bord de la coupure, qui était le point le plus périlleux.
La réparation de cette coupure, qu’on avait jugée impossible, fut terminée en moins de trente heures. Elle parut un tour de force, et le général Duhesme en vit le succès avec d’autant plus de joie qu’au dernier moment il en désespérait encore. Il ne pouvait trouver assez d’expressions pour me témoigner sa reconnaissance, croyant que je lui avais rendu le plus grand des services. Il avait craint d’être obligé de retourner avec honte sur ses pas, et il tirait de ces premiers obstacles vaincus le plus heureux augure pour le succès de son entreprise; augure trop flatteur que l’événement ne devait pas justifier.
Le soir même du 20, tout le parc de siège passa sur la coupure; et nos troupes allèrent camper entre Calella et Pinéda. Elles se composaient du régiment de cuirassiers et de la brigade d’infanterie de la division Chabran commandée par le général Nicolas, du régiment de chasseurs napolitains et de deux bataillons, l’un italien, l’autre napolitain, détachés, ainsi que ce régiment, de la division Léchi.
L’autre brigade de la division Chabran, commandée par le général Goullus, qui s’était avancée jusqu’à Saint-Célony pour protéger la réparation du chemin, suivit la route d’Hostalrich. Elle avait avec elle son artillerie de campagne et le régiment de chasseurs français, à la tête duquel marchait le général Bessières. Elle tint le fort d’Hostalrich bloqué pendant toute la journée du 21. La nuit suivante, l’artillerie passa, très heureusement, à portée de mousquet de ce fort, en suivant une direction tracée par le capitaine Fleury. Il y eut quelque désordre dans le passage des troupes: un bataillon resta égaré pendant plusieurs heures; mais enfin, le 22 au soir, toute la brigade opéra sa jonction avec la principale colonne.
Ce soir même, le général Duhesme se présenta devant Gérone avec cinq bataillons et deux régiments de cavalerie. Il en investit la partie occidentale, et provoqua par des feux de tirailleurs et par quelques obus une forte canonnade, afin d’avertir de son arrivée le général Reille qu’il ne supposait pas éloigné.
Le parc de siège et le reste des troupes arrivèrent le 23. Il y eut, pendant toute la journée, des escarmouches plus ou moins vives: les insurgés se montraient autour de nous de tous les côtés. Le général Duhesme, ne recevant pas de nouvelles du général Reille, envoya, le 24, au devant de lui le colonel des chasseurs napolitains Zénardi avec son régiment et deux bataillons. Ce colonel força le passage du Ter, qui était défendu par un rassemblement nombreux d’insurgés: il y perdit quelques hommes, entre autres le capitaine de chasseurs de Notaris, qui fut tué au milieu de la rivière. Ensuite il gagna la route de Figuières, et trouva le général Reille à Bascara sur la Fluvia.
Ce général, qui n’avait sans doute pas reçu la lettre où le général Duhesme lui donnait rendez-vous sous Gérone, parut étonné en voyant nos troupes. Il n’en marcha pas moins sur-le-champ vers cette place. Il prit position sur le Ter aux villages de Sarria et de Pont-Mayor, et se lia de suite par sa droite avec le général Duhesme.