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III

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Il rapportait de Syrie, non seulement les inscriptions et les observations archéologiques qu'il publia dans le volume de la Mission de Phénicie, paru de 1863 à 1874 par livraisons, mais aussi la première ébauche de sa Vie de Jésus, l'introduction de l'œuvre capitale de sa vie: l'Histoire des origines du Christianisme, qui forme sept volumes in-8°. Il avait déjà abordé dans ses essais un grand nombre de problèmes religieux et de questions de critique et d'exégèse sacrées, mais il ne voulait pas se borner à l'analyse et à la critique. Il voulait entreprendre quelque grand travail de synthèse et de reconstitution historiques. Les questions religieuses lui avaient toujours paru les questions vitales de l'histoire et celles où peuvent le mieux s'appliquer les deux qualités essentielles de l'historien: la pénétration critique et la divination imaginative qui ressuscite les civilisations et les personnages disparus. C'est au christianisme, c'est-à-dire au plus grand phénomène religieux de l'histoire, que Renan appliqua ses qualités d'érudit, de peintre et de psychologue. Il devait plus tard compléter son ouvrage en y ajoutant, pour introduction, une Histoire d'Israël, dont il a publié trois volumes et dont les deux derniers, achevés peu de temps avant sa mort, ont paru en 1893 et 1894.

L'apparition de la Vie de Jésus fut, non seulement un grand événement littéraire, mais un fait social et religieux d'une portée immense. C'était la première fois que la vie du Christ était écrite à un point de vue entièrement laïque, en dehors de toute conception supra-naturaliste, dans un livre destiné, non aux savants et aux théologiens, mais au grand public. Malgré les ménagements infinis avec lesquels Renan avait présenté sa pensée, malgré le ton respectueux et attendri qu'il prenait en parlant du Christ, peut-être même à cause de ces ménagements et de ce respect, le scandale fut prodigieux. Le clergé sentit très bien que cette forme d'incrédulité qui s'exprimait avec la gravité de la science et l'onction de la piété, était bien plus redoutable que la raillerie voltairienne; venant d'un élève des écoles ecclésiastiques, le sacrilège à ses yeux était doublé d'une trahison, l'hérésie aggravée d'une apostasie. Le gouvernement impérial, qui avait nommé en 1862 E. Renan professeur de philologie sémitique au Collège de France, eut la faiblesse de le révoquer en 1863, en présence des clameurs que souleva la Vie de Jésus. Il avait eu la naïveté de lui offrir, comme compensation, une place de conservateur à la Bibliothèque nationale.

Renan répondit au ministre, en style biblique: Garde ton argent (Pecunia tua tecum sit); et, libre désormais de tout souci matériel, grâce au prodigieux succès de son livre, le «blasphémateur européen», comme l'appelait Pie IX, continua tranquillement son œuvre[5]. Ce ne fut qu'en 1870, quand l'Empire fut tombé, que sa chaire lui fut rendue. Ses cours, commencés au milieu même du siège de Paris, ont toujours eu un caractère strictement scientifique et philologique qui en écartait le public frivole et ne les rendait accessibles qu'à un petit nombre de véritables élèves, alors qu'il lui était si aisé d'attirer la foule à ses cours, rien qu'en y professant ces livres avant de les publier; il dédaigna toujours ces succès faciles et ne songea qu'à faire progresser la science qu'il était chargé d'enseigner. Il devint, en 1883, l'administrateur respecté du grand établissement scientifique dont il avait été chassé comme indigne vingt ans auparavant. Lancé, par la publication de la Vie de Jésus, dans la lutte religieuse, attaqué avec violence par les uns, défendu et admiré avec passion par les autres, ayant à souffrir souvent de la vulgarité de certains admirateurs, E. Renan ne s'abaissa point à la polémique; il ne permit point que la sérénité de sa pensée fut altérée par ces querelles[6], et il continua à parler de l'Église catholique et du christianisme avec la même impartialité, je dirai plus, avec la même sympathie respectueuse et indépendante.

Renan, Taine, Michelet: Les maîtres de l'histoire

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