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Roanne 18...

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Dans le train omnibus qui, lentement, nous entraîne vers l'industrielle cité de Roanne, une grosse figure joviale et respirant une bonne santé physique et morale se prend de sympathie pour nos personnes et nous raconte avec force détails ses équipées de jeunesse. Il nous dit la méfiance des filles dans la région que nous traversons pour les étrangers et pour les messieurs de la Ville et comment, après avoir, de longs mois durant, sollicité les faveurs de l'une d'elles, il lui fallut attendre pour les obtenir que la jeune personne séduite et amenée à Paris par son propre cousin se trouvât fortuitement sur son passage en je ne sais quelle maison louche où la vertu n'était pas de rigueur.

Six heures sonnent et parmi des flaques d'eau, sous la chute continue de pénétrants flocons de neige, nous gagnons l'Hôtel du Nord qui nous fut désigné la veille par quelque Chalonnais de bon conseil. Hâtivement nous expédions le menu de la table d'hôte, cependant que l'un de nous donne lecture des récentes décorations à Salis qui l'écoute scrupuleusement et qui, par de spirituels et mordants commentaires, approuve rarement, blâme presque toujours, la sanction ministérielle. Et je dois reconnaître qu'il a raison le plus souvent.

Le théâtre de Roanne est d'une aimable architecture, élégant presque en ses détails et flanqué d'un vaste foyer d'artistes inappréciable pour la mise au point des premières répétitions et pour l'essai de la voix au moment des entrées en scène. On sent que des volontés intelligentes ont présidé à cette disposition et je gagerais fort que le conseil municipal dont s'honore actuellement la ville de Roanne serait bien incapable, si c'était à refaire, d'en construire un semblable.

Une contestation très-violente surgit entre Salis et le personnel du théâtre au sujet des places de faveur multiples dont le résultat modifie, dans des conditions invraisemblables, la recette d'ailleurs assurée par une publicité bi-hebdomadaire. Sous prétexte de socialisme tous les membres du conseil municipal flanqué de leurs femmes et de leurs enfants se sont insinués aux meilleures places.—D'innombrables portes de sortie donnant sur les côtés de l'édifice et instituées par une admirable prévoyance en cas d'incendie ont facilité la subreptice introduction de ces messieurs, coutumiers du fait et munis de l'indispensable passe-partout.

Il serait oiseux de vouloir décrire le formidable déchaînement de colère auquel donne lieu chez Salis la découverte de la susdite supercherie. Tour à tour il fait comparaître devant lui les contrôleurs, membres de la commission des théâtres et en fin de compte le maire lui-même qui, malgré la constatation du délit, refuse de réduire en quelque façon le chiffre de la somme, d'ailleurs exhorbitante, qu'il a fallu déposer avant de conclure la location de la salle. Mal lui en prend car Salis ne perd pas une occasion d'insinuer à son endroit, au beau milieu de ses boniments, mille brocarts dont le récalcitrant édile se serait assurément passé. Il le harcèle jusqu'au bout et le larde d'épigrammes acérées, gardant pour lui la péroraison même de son remercîment au public et lui décochant ce trait final: «Je tiens à vous faire remarquer, nobles seigneurs et gentes dames, que j'exclus publiquement des remerciements que mes camarades et moi vous prions d'accepter, le maire de la ville de Roanne, mastroquet comme moi-même mais si différent de moi par son absence d'éducation.»

—Retrouvé à Roanne un camarade de faculté, le docteur Bonnaud, homonyme du spirituel chansonnier qui nous accompagne. Il m'avoue être venu à notre spectacle uniquement pour s'assurer de ma parfaite identité. Les journaux parisiens lui ont maintes fois apporté dans leurs échos mondains mon vocable mêlé à ceux des innombrables poètes chansonniers de la Butte, mais trompé par la lecture d'un article nécrologique où ma mort avait été contée avec force détails vers 1892, il s'est toujours demandé si j'étais bien le bruyant escholier d'antan. Sa joie est grande à me retrouver aussi râblé, aussi trapu après les cruelles atteintes de la violente maladie qui me faillit enlever. Pour l'égayer je lui récite tour à tour les trois poésies que je composai sur ce macabre sujet. La première, L'auteur Posthume, fut publiée par le journal Le Chat Noir, en protestation contre le bruit de ma mort, lequel accrédité par un entrefilet du Temps s'était promptement répandu dans la province et avait fourni à quelques chroniqueurs amis les lacrymatoires accents de plus d'une oraison funèbre.

Vous voulez bien que je vous la dise, petite cousine, puisque le numéro du Chat Noir qui la contenait est assurément introuvable à cette heure et que vous étiez, lorsqu'elle parut, bien que déjà grandelette, de celles à qui l'on coupe encore le pain en tartines.

L'AUTEUR POSTHUME[1].

Le Roman Comique du Chat Noir

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