Читать книгу Récits de terroir - Gaspard de Cherville - Страница 7
ОглавлениеUNE CHASSE A L’AUTOUR
Victor Hugo a prêté à Louis XIII cette exclamation: «Le fauconnier est dieu!» Il faut croire que le monarque ou son interprète entendait par là que l’exercice de la fauconnerie avait le privilège de ravir au septième ciel celui qui le pratique en maître; à en juger par la passion très sincère que ce sport, si démodé qu’il soit, excite encore chez quelques-uns de nos contemporains, l’exclamation n’était point exagérée.
Tout en me rendant compte de ce que devait produire cette mainmise de l’homme sur un des êtres les plus fiers, les plus courageux, les plus indépendants de la création, en comprenant le goût violent que la réduction d’un oiseau farouche, contraint de mettre ses instincts et la puissance de son vol au service d’un maître, pouvait avoir inspiré à nos pères, j’ai été de ceux qui ont tenu la chasse au vol pour close et scellée dans sa tombe.
Ce sport patient, laborieux, qui, en échange d’une énorme dépense de temps, de volonté, d’efforts, ne fournit qu’une jouissance presque immatérielle, me paraissait dépaysé à une époque amie du clinquant, du tapage, des plaisirs positifs et rapidement expédiés comme est la nôtre; il me semblait destiné à rester la consolation et l’amour des érudits, des délicats, des bénédictins de la cynégétique, comme MM. le comte Lecoulteux, Pierre Pichot, de la Rue. Je me trompais. Ces successeurs lointains de d’Arcussia ont fait des prosélytes, dont un des plus enthousiastes fut le pauvre jeune Montigny, qui eut une fin si tragique; ils trouvent des continuateurs distingués dans le comte de T... L..., dans M. G..., qui possède en Brie un équipage de vol presque complet; dans M. Alfred Belvalette, dont le Traité d’autourserie peut, de plus, assurer à la chasse à l’oiseau un regain de vitalité, parce qu’il vulgarise celle de ses branches qui est le plus à la portée de tout le monde.
La fauconnerie se divisait en haut vol et en bas vol. Les oiseaux qui montent haut dans les airs, le héron, le milan, le corbeau, etc., étaient les objectifs du haut vol, qui avait les faucons pour auxiliaires; le bas vol visait les oiseaux qui s’élèvent peu, le faisan, la perdrix, la pie, les petits oiseaux et les quadrupèdes; il utilisait les autours et les éperviers. Avec notre morcellement territorial, le haut vol n’est plus de mise; ses essais risqueraient trop de finir tragiquement, comme cela est arrivé, il y a une douzaine d’années, à un des meilleurs faucons de Barr. Le bas vol, au contraire, peut être pratiqué partout; c’est lui que M. Belvalette s’est attaché à décrire dans une série de chapitres où il détaille si minutieusement et si clairement la manière de prendre les autours et les éperviers, leur dressage, leur mise en chasse, etc., etc., qu’avec des instructions aussi précises, l’autourserie est à la portée de toutes les bonnes volontés que son traité pourrait faire surgir.
J’ajoute que la lecture de ce livre, écrit d’un bout à l’autre avec cette verve passionnée que donne la foi, quel qu’en soit l’objet, est singulièrement attachante, presque entraînante; il a fallu que je me raisonnasse moi-même, pour ne pas chausser des guêtres, afin de m’en aller en quête d’une aire d’autour dans les fonds de Maison-Rouge.. Avec infiniment de bon goût, M. Alfred Belvalette a dédié son traité au doyen de la presse cynégétique, à mon vénérable ami de la Rue, dont la verte et vigoureuse vieillesse est le plus éclatant témoignage des bienfaits de la vie active du chasseur.
C’est à M. de la Rue que je dois d’avoir vu des autours au travail pour la première fois. J’étais arrivé plein de préjugés, soyons franc, de rancune contre ces oiseaux. Un de leurs couples avait son aire dans un grand parc abandonné qui se trouvait en face de ma maison; il se nourrissait aux dépens de mon pigeonnier et m’avait condamné à des factions parfaitement insipides, puisqu’elles n’avaient jamais eu le dénouement que j’en attendais.
Faucon émerillon. Faucon hobereau.
Aujourd’hui que je suis consolé de la perte de deux paires de culbutants, dont les cabrioles aériennes étaient une des joies de mon ermitage, je puis admirer librement les merveilleuses et astucieuses combinaisons par lesquelles le corsaire échappait à tous mes affûts; mais, dans la première amertume de mes deuils, je ne pus m’empêcher de regarder de travers l’oiseau que me présentait mon hôte, et je ne jurerais pas de ne point lui avoir adressé mezza voce quelques épithètes malséantes, au lieu des témoignages d’admiration que de la Rue essayait de provoquer en me détaillant toutes les beautés de son autour. Il est vrai qu’il avait sur un bloc voisin un camarade qui, au point de vue plastique, lui faisait un tort considérable: un faucon d’un admirable plumage; jamais je n’ai vu autant de fierté, autant d’audace concentrées dans l’œil d’une créature vivante. Je crois que j’aurais pardonné à celui-là de m’avoir mangé mes pigeons.
Le lendemain, après déjeuner, nous étions en campagne, mon ami avec son oiseau sur le poing et dans une tenue qui rappelait un peu une vieille gravure de ma connaissance représentant un fauconnier du temps de Louis XIV. J’avais insisté pour qu’il coiffât son autour d’un chaperon avec panache qui m’avait tiré l’œil dans son outillage; il paraît que cela ne se fait pas, le chaperon étant exclusivement réservé aux oiseaux de haut vol. Cependant, j’y mis tant d’insistance que, malgré son respect scrupuleux pour la tradition, de la Rue se décida à me donner satisfaction. Il est vrai qu’aussitôt que nous fûmes dans les champs, il s’empressa de débarrasser l’autour de son petit couvre-chef emplumé et de le mettre dans sa poche.
Nous n’avions pas fait dix pas qu’un lièvre déboulait devant nous, l’oiseau agita vivement ses ailes, mais son maître le maintenait sur le poing.
— Eh bien? lui criai-je.
— Celui-là est trop fort pour un jeune oiseau; vous me laisserez bien choisir mon gibier, je pense? Un peu de patience!
Nous nous trouvions heureusement sur un des domaines les plus vifs en lièvres qui existent dans l’Ile-de-France; nous en levâmes encore quatre ou cinq sans que de la Rue eût arrêté son choix; enfin il se décida à lâcher son autour sur un levraut de trois ou quatre livres qui venait de se dégîter dans un chaume. L’oiseau partit d’un vol brusque, mais presque silencieux, filant rapide comme une flèche, à sept ou huit mètres au-dessus de son gibier, qu’il eut bientôt rejoint.
Autour émouchet.
Celui-ci, soit instinct, soit qu’il eût aperçu l’ombre de son ennemi sur la terre, comprit tout de suite le danger qui le menaçait, car ses oreilles se couchèrent sur sa nuque et il accéléra sa course; ce fut en vain. L’autour s’éleva de quelques mètres, le dépassa et se laissa tomber avec tant de précision, qu’il l’arrêta sur-le-champ dans ses serres et le maintint. Nous arrivâmes, de la Rue reprit son oiseau et relâcha le levraut, qui avait plus de peur que de mal.
En moins d’une heure, nous avions réalisé deux autres prises de levrauts. J’applaudissais aux hauts faits du fauconnier et de son élève; mais oubliant que, l’année précédente, j’avais failli priver mon vieil ami de deux cormorans admirablement dressés en le défiant de les faire pêcher affranchis de leur collier, et lâchant encore une fois la bride à mon humeur taquine, j’insinuai que son autour était incontestablement merveilleux pour prendre... les enfants de lièvre! Une fois encore, cette mauvaise plaisanterie eut un succès qu’elle ne méritait pas.
— Le trouvez-vous assez gros, celui-là ? me cria de la Rue piqué au vif.
En même temps, il lâchait l’autour sur un énorme bouquin, qui s’en allait trottinant à l’allure reposée d’un bon bourgeois flânant sur ses terres. Mais, au frisson de l’air sous les ailes nerveuses, le bon bourgeois pressentit bien vite le péril: il détala et prit d’autant plus d’avance, que l’oiseau, de son côté, s’était élevé plus haut que lorsqu’il avait des levrauts devant lui. Cette fois, il ne rejoignit son gibier qu’à deux cents ou deux cent cinquante mètres de nous, en se laissant tomber sur lui.
Au lieu de s’arrêter, le lièvre bondit, courut encore, fit une culbute; quand il se releva, l’oiseau était toujours cramponné sur son dos, mais il l’avait probablement mal empiété, car l’animal repartit, emportant son ennemi comme un cheval son cavalier; il fit une vingtaine de pas de la sorte, puis arriva à la hauteur d’un petit bois derrière lequel tous deux disparurent. De la Rue, très ému et me donnant probablement in petto à tous les diables, s’était élancé et courait; je le suivais sans réussir à le rejoindre, mais je m’empêtrai dans un long cordeau qu’il m’avait donné à tenir, et si bien, que j’exécutai un panache le nez en avant, au milieu d’une terre labourée. Pendant que je me relevais, j’aperçus mon ami tournant le coin du bois; il avait son oiseau sur le poing, et, tranquillisé, je pus procéder à mon époussetage.
— Eh bien? êtes-vous content? me dit-il quand il m’eut rejoint. Vous avez failli me faire perdre mon autour comme mes cormorans; vous êtes insupportable; je vous disais bien que cet oiseau était trop jeune pour arrêter un gros lièvre; il me faudrait un chien d’escap pour lui venir en aide en pareil cas.
— Ami de la Rue, vous aurez votre chien d’escap; je vous promets un produit de la première portée de ma Gordon. Mais le lièvre, qu’en avez-vous fait?
— Je l’ai laissé aller, parbleu!
— C’est-à-dire qu’il vous a échappé ; il fallait donc me prévenir, j’aurais apporté mon fusil, et nous ne rentrerions pas bredouille!
De la Rue haussa les épaules en me déclarant, avec un dédain qu’il ne prenait pas la peine de dissimuler, que je ne deviendrais jamais un fauconnier.