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LA SOCIÉTÉ NIEPCE-DAGUERRE

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Correspondance échangée entre les deux inventeurs. — Méfiance et réserve de Niepce. — Son voyage à Paris. — Ses entrevues avec l’inventeur du diorama. — Sou voyage à Londres. — Acte d’association. — Mort de Niepce.

Nous avons vu que la première lettre adressée par Daguerre à Niepce fut accueillie avec une grande méfiance par le laborieux inventeur de Châlon. Le créateur du diorama laissa s’écouler près d’un an sans songer à cette affaire, mais il écrivit encore à Niepce à la fin de janvier 1827. Il lui disait cette fois, en termes plus explicites, qu’il s’occupait de fixer les images de la chambre noire et qu’il était arrivé à des résultats assez importants, quoique bien imparfaits. Il sollicitait un échange mutuel de secrets dans les procédés obtenus de part et d’autre. Devant une telle insistance, Nicéphore Niepce, sans abandonner sa prudente réserve, demanda cependant à Lemaître, auquel il avait confié le soin de faire le tirage de ses planches héliographiques, des renseignements sur Daguerre, et, sur la réponse favorable du célèbre graveur, voici ce qu’il écrivit au peintre de Paris.

«Monsieur Daguerre,

«J’ai reçu hier votre réponse à ma lettre du 25 janvier 1826. Depuis quatre mois, je ne travaille plus; la mauvaise saison s’y oppose absolument. J’ai perfectionné d’une manière sensible mes procédés pour la gravure sur métal; mais les résultats que j’ai obtenus, ne m’ayant point encore fourni d’épreuves assez correctes, je ne puis satisfaire le désir que vous me témoignez. Je dois sans doute le regretter plus pour moi que pour vous, monsieur, puisque le mode d’application auquel vous vous livrez est tout différent, et vous promet un degré de supériorité que ne comporterait pas celui de la gravure; ce qui ne m’empêche pas de vous souhaiter tout le succès que vous pouvez ambitionner.»

On voit que Niepce, fort de ses travaux, refusait de se découvrir et de dévoiler ses secrets. Ce génie persévérant et laborieux connaissait les difficultés du problème; il ne croyait pas qu’un homme eût pu dégager mieux que lui des inconnues si bien cachées, et les compliments qu’il adresse à Daguerre cachent évidemment, sous un laconisme prudent, quelques pointes d’une fine ironie.

Daguerre ne se tient pas pour battu. Désireux d’avoir en sa possession les procédés de l’expérimentateur de Châlon, il lui envoie un dessin imitant une sépia et fait par un procédé qui lui est propre. Ce fait est confirmé par une lettre que M. Fouque reproduit dans son intéressant ouvrage historique.

«J’avais oublié de vous dire, dans ma dernière lettre, écrit Niepce au graveur Lemaître à la date du 5 avril 1827, que M. Daguerre m’a écrit et m’a envoyé un petit dessin très-élégamment encadré, fait à la sépia et terminé à l’aide de son procédé. Ce dessin, qui représente un intérieur, produit beaucoup d’effet, mais il est difficile de déterminer ce qui est uniquement le résultat de l’application du procédé, puisque le pinceau y est intervenu. Peut être, monsieur, connaissez-vous déjà cette sorte de dessin que l’auteur appelle dessin fumée, et qui se vend chez Alphonse Giroux.

«Quelle qu’ait pu être l’intention de M. Daguerre, comme une prévenance en vaut une autre, je lui ferai passer une planche d’étain, légèrement gravée d’après mes procédés, en choisissant pour sujet une des gravures que vous m’avez envoyées, cette communication ne pouvant en aucune manière compromettre le secret de ma découverte.»

Bientôt Daguerre reçoit de Châlon une petite caisse, contenant une planche d’étain gravée par les procédés héliographiques de Niepce. Mais le prudent Nicéphore a eu soin de laver l’épreuve avec le plus grand soin, de telle façon qu’il est impossible de retrouver la moindre trace de bitume de Judée. Cette image, d’après l’expression de Niepce, est très-défectueuse et beaucoup trop faible. «Je pense, monsieur, ajoute en terminant l’auteur de l’héliographie, que vous aurez donné suite à vos premiers essais, vous étiez en trop beau chemin pour en rester là ! Nous occupant du même objet, nous devons trouver un égal intérêt dans la réciprocité de nos efforts pour atteindre le but. J’apprendrai donc avec bien de la satisfaction que la nouvelle expérience que vous avez faite à l’aide de votre chambre perfectionnée a eu un succès conforme à votre attente. Dans ce cas, monsieur, et s’il n’y a pas d’indiscrétion, de ma part, je serais aussi désireux d’en connaître le résultat que je serais flatté de pouvoir vous offrir celui de mes recherches du-même genre qui vont m’occuper.»

On voit que, peu à peu, un trait d’union rapproche les deux inventeurs. Voilà Niepce qui fait une invite à Daguerre; il consent à lui donner ses secrets en échange de ceux que peut avoir à lui révéler ce dernier.

Un événement devait bientôt mettre en présence ces deux intelligences qui poursuivaient le même but. Au mois d’août 1827, Nicéphore Niepce apprend que son frère Claude est gravement malade; la mort menace de l’enlever dans la force de l’âge. Nicéphore, accompagné de sa femme, part pour l’Angleterre; il passe à Paris, où des circonstances inattendues l’obligent à rester quelques jours. Il profite de ce séjour dans la capitale pour voir Lemaître et Daguerre. Les détails de sa curieuse entrevue avec l’auteur du diorama nous sont conservées dans une lettre trop intéressante, pour que nous hésitions à la reproduire entièrement.

Fig. 4. — Joseph Niepce.


«J’ai eu, écrit le 4 septembre 1827 Nicéphore Niepce à son fils Isidore, de fréquentes et longues entrevues avec M. Daguerre. Il est venu nous voir hier. La séance a été de trois heures; nous devons retourner chez lui avant notre départ, et je ne sais trop le temps que nous y resterons; car ce sera pour la dernière fois, et la conversation, sur le chapitre qui nous intéresse est vraiment intarissable.

«Je ne puis, mon cher Isidore, que te répéter ce que j’ai dit à M. de Champmartin. Je n’ai rien vu ici qui m’ait fait plus de plaisir que le diorama. Nous y avons été conduits par M. Daguerre, et nous avons pu contempler tout à notre aise les magnifiques tableaux qui y sont exposés. La vue intérieure de Saint-Pierre de Rome, par M. Bouton, est bien à coup sûr quelque chose d’admirable, et qui produit l’illusion la plus complète. Mais rien n’est au-dessus des deux vues peintes par M. Daguerre; l’une d’Édimbourg, prise au clair de lune, au moment d’un incendie; l’autre d’un village suisse, prise à l’entrée d’une grande rue, et en face d’une hauteur prodigieuse, couverte de neiges éternelles. Ces représentations sont d’une telle vérité, même dans les plus petits détails, qu’on croit voir la nature agreste et sauvage avec tout le prestige que lui prêtent le charme des couleurs et la magie du clair-obscur. Le prestige est même si grand, qu’on serait tenté de sortir de sa loge pour parcourir la plaine et gravir jusqu’au sommet de la montagne. Il n’y a pas, je t’assure, la moindre exagération de ma part, les objets étant d’ailleurs ou paraissant de grandeur naturelle. Ils sont peints sur toile ou taffetas enduits d’un vernis qui a l’inconvénient de poisser, ce qui nécessite des précautions lorsqu’il s’agit de rouler cette sorte de décoration pour la transporter: car il est difficile en la déroulant, de ne pas faire quelque déchirure.

«Mais revenons à M. Daguerre. Je te dirai, mon cher Isidore, qu’il persiste à croire que je suis plus avancé que lui dans les recherches qui nous occupent. Ce qui est bien démontré, maintenant, c’est que son procédé et le mien sont tout à fait différents. Le sien a quelque chose de merveilleux, et dans les effets une promptitude qu’on peut comparer à celle du fluide électrique. M. Daguerre est parvenu à fixer sur sa substance chimique quelques-uns des rayons colorés du prisme; il en a déjà réuni quatre et il travaille à réunir les trois autres, afin d’avoir les sept couleurs primitives. Mais les difficultés qu’il rencontre croissent dans le rapport des modifications que cette même substance doit subir pour pouvoir retenir plusieurs couleurs à la fois; ce qui le contrarie le plus, et le déroute entièrement, c’est qu’il résulte de ces combinaisons diverses des effets tout opposés. Ainsi un verre bleu, qui projette sur la dite substance une ombre plus foncée, produit une teinte plus claire que la partie soumise à l’impression directe de la lumière. D’un autre côté, cette fixation des couleurs élémentaires se réduit à des nuances fugitives si faibles qu’on ne les aperçoit point en plein jour; elles ne sont visibles que dans l’obscurité et voici pourquoi: la substance en question est de la nature de la pierre de Bologne et du pyrophore;, elle est très avide de lumière, mais elle ne peut la retenir longtemps, parce que l’action un peu prolongée de ce fluide finit par la décomposer; aussi M. Daguerre ne prétend point fixer par ce procédé l’image colorée des objets, quand bien même il parviendrait à surmonter tous les obstacles qu’il rencontre: il ne pourrait employer ce moyen que comme intermédiaire. D’après ce qu’il m’a dit, il aurait peu d’espoir de réussir, et ses recherches ne seraient guère autre chose qu’un objet de pure curiosité. Mon procédé lui paraît donc préférable et beaucoup plus satisfaisant à raison des résultats que j’ai obtenus. Il sent combien il serait intéressant pour lui de se procurer des points de vue à l’aide d’un procédé également simple, facile et expéditif. Il désirerait que je fisse quelques expériences avec des verres colorés, afin de savoir si l’impression produite sur ma substance serait la même que sur la sienne. Je viens d’en demander cinq à Chevalier (Vincent), qui en a déjà fait pour M. Daguerre. Celui-ci insiste principalement sur la grande célérité dans la fixation des images; condition bien essentielle, en effet, et qui doit être le premier objet de mes recherches. Quant au mode d’application à la gravure sur métal, il est loin de le déprécier; mais comme il serait indispensable de retoucher et de creuser avec le burin, il croit que cette application ne réussirait que très imparfaitement pour les points de vue. Ce qui lui semble bien préférable pour ce genre de gravure, c’est le verre, en employant l’acide fluorhydrique. Il est persuadé que l’encre d’impression appliquée avec soin à la surface corrodée par l’acide produirait sur un papier blanc l’effet d’une bonne épreuve, et aurait de plus quelque chose d’original qui plairait encore davantage. Le composé chimique de M. Daguerre est une poudre très-fine qui n’adhère point au corps sur lequel on le projette: ce qui nécessite un plan horizontal. Cette poudre, au moindre contact de la lumière, devient si lumineuse que la chambre noire en est parfaitement éclairée. Ce procédé a la plus grande analogie, autant que je puis me le rappeler, avec le sulfate de baryte, ou la pierre de Bologne, qui jouit également de la propriété de retenir certains rayons du prisme....

«Nos places sont retenues pour Calais, et nous partons décidément samedi prochain, à huit heures du matin. Nous n’avons pas pu les avoir plus tôt; le voyage du roi à Calais attire beaucoup de monde de ce côté.

«Adieu, reçois, ainsi que Génie et votre cher enfant, nos embrassements et l’assurance de notre tendre affection.»

Nicéphore arrive en Angleterre; il trouve son frère Claude gravement malade, affaibli par les travaux, l’intelligence altérée par les méditations. Il reste à Kiew pendant quelques semaines, et fait la connaissance d’un Anglais fort distingué, sir Francis Bauv, qui l’engage à présenter le résultat de ses travaux héliographiques à la Société royale de Londres. Mais Niepce ne veut pas révéler ses secrets, et la société savante anglaise n’accepte aucune communication d’un auteur qui tient cachés ses procédés.

Nicéphore repasse bientôt à Paris, revient à Châlon, et continue de correspondre assidûment avec Daguerre. Il finit par proposer à celui-ci de s’associer avec lui: après bien des hésitations, bien des lenteurs, l’auteur du Diorama se rend enfin dans la ville natale de Niepce, et là les deux inventeurs, signent un traité dont nous reproduisons le texte à l’appendice de cet ouvrage. (Note A.)

D’après ce document, Niepce et Daguerre s’engagent à se révéler mutuellement leurs procédés. Ils devront en commun poursuivre leur œuvre, l’améliorer, pour atteindre ensemble, le but qu’ils poursuivent: la fixation des images de la chambre noire. — Une société est ainsi constituée sous le nom de Niepce-Daguerre; son siège est à Paris, et les produits de l’exploitation de la nouvelle découverte seront partagés entre les deux signataires.

Après avoir signé ce traité, Niepce donne à Daguerre les procédés qu’il emploie pour la préparation des planches héliographiques; faible résultat comme on l’a déjà vu. Mais l’inventeur du Diorama, n’apporta presque rien à celui qui ne lui donnait que peu de chose. — Il revient à Paris, après avoir vu fonctionner l’appareil de Niepce à Châlon, résolu de travailler sans trêve ni relâche, jusqu’au moment où le succès aura couronné ses efforts.

«Tout à coup dit Charles Chevalier, Daguerre devint invisible! Renfermé dans un laboratoire qu’il avait fait disposer dans les bâtiments du Diorama, où il résidait, il se mit à l’œuvre avec une ardeur nouvelle, étudia la chimie, et pendant deux ans environ, vécut presque continuellement au milieu des livres, des matras, des cornues et des creusets. J’ai entrevu ce mystérieux laboratoire, mais il ne me fut jamais permis, ni à moi, ni à d’autres d’y pénétrer. — Madame veuve Daguerre, MM. Bouton, Sibon, Carpentier, etc... peuvent témoigner de l’exactitude de ces souvenirs.»

Au milieu de ses recherches et de ses essais, Daguerre fut un jour favorisé par un de ces hasards qui se présentent souvent aux travailleurs persévérants. — Il avait laissé une cuiller d’argent sur une plaque métallique qu’il avait traitée par l’iode: quelle ne fut pas sa stupéfaction, quand il enleva là cuiller, d’en voir l’image nettement empreinte sur la surface iodurée.

Cette observation est pour Daguerre une révélation précieuse. Il abandonne le bitume de Judée, et lui substitue l’iodure d’argent, qui noircit avec une rapidité extraordinaire, sous l’action des rayons lumineux. Pour faire sa préparation, il expose une plaque argentée à l’influence des vapeurs d’iode, et il obtient ainsi une surface qui s’impressionne sous le jeu de la lumière, au foyer de la chambre noire. Mais la plaque ne laisse pas nettement apparaître l’image qui n’existe encore qu’à l’état latent; après avoir essayé d’une infinité de substances, d’agents chimiques de toute nature, Daguerre finit par reconnaître que l’huile de pétrole a la propriété de développer les tons gravés par le soleil sur son cliché rudimentaire. Cette découverte est un pas immense vers le but; Daguerre a mis la main sur une substance révélatrice. Il ne s’arrête pas en chemin, il marche, sans cesse, et substitue enfin, à l’huile minérale, les vapeurs de mercure, qui font apparaître comme par enchantement, et avec une netteté merveilleuse, l’image invisible, que la lumière a préparée sur la lame d’argent iodurée.

La photographie est désormais créée. Daguerre n’a pas manqué d’écrire régulièrement à son associé ; il lui a parlé de l’emploi qu’il fait de l’iodure d’argent, mais Niepce ne croit pas à l’efficacité de cette substance. Avant de connaître les résultats presque définitifs, obtenus par l’inventeur du Diorama, il est frappé d’une congestion cérébrale et meurt le 5 juillet 1853.

Les Merveilles de la photographie

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