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DAGUERRE

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Le décorateur Degotti. — La jeunesse de Daguerre. — Invention du diorama. — La chambre noire. — L’ingénieur Chevalier. — Histoire d’un inconnu. — Daguerre et Niepce.

Dans les premières années de notre siècle, il y avait à Paris un décorateur nommé Degotti, qui peignait avec art les plus belles toiles du grand Opéra. Son atelier était célèbre, le maître y produisait pour son époque de véritables merveilles, il initiait à son art, de nombreux élèves, qui se sentaient attirés par leurs dispositions naturelles plutôt vers l’indépendance de la couleur, et la liberté du pinceau, que dans le sein de l’école académique. Un jeune homme parmi ces adeptes de Degotti, s’était vite signalé par de rares capacités; il brossait les toiles avec la fougue d’un artiste véritablement épris des grands effets de la peinture. Ce jeune débutant se nommait Daguerre

Daguerre était né en 1787, tout près de Paris, à Cormeilles en Parisis. Au milieu des bourrasques politiques, des cataclysmes de la grande Révolution, son enfance avait été singulièrement négligée. Arrivé à l’âge où l’on cesse d’être un enfant, ses parents le laissèrent maître de se choisir une profession. Le jeune Daguerre se livra avec passion à la peinture. Dès sa plus tendre jeunesse, aussitôt qu’un crayon avait pu se tenir entre ses doigts, il s’était signalé par une facilité extraordinaire. Il excellait à rendre avec vérité les effets les plus difficiles d’une perspective la plus audacieuse, il s’efforçait de produire des paysages à effet; aussi se trouva-t-il à l’aise dans l’atelier de Degotti, où il ne tarda pas à égaler, puis à dépasser bientôt le talent de son maître.

Non-seulement le jeune Daguerre avait le don inné de cette grande peinture à effet, qui est le propre des décorateurs de théâtre, mais il savait aborder et résoudre avec habileté les problèmes mécaniques de la mise en scène. Il substitua aux châssis mobiles des coulisses, de grandes toiles de fond, où pouvait se représenter tout un paysage, tout un vaste panorama. Mais non content de produire une peinture énergique, pleine de vigueur, il eut l’idée de lui donner une valeur complètement inconnue jusqu’alors en ayant recours aux précieuses ressources d’un puissant éclairage. Ses premiers essais eurent un succès inattendu. Daguerre, d’élève passa maître. Le rapin d’hier allait devenir l’élu de la vogue parisienne.

A l’Opéra, à l’Ambigu-Comique, dans le Songe, dans la Lampe merveilleuse, dans le Vampire, les décors du peintre nouveau, obtenaient tous les soirs un immense succès. Les chroniques théâtrales, les gazettes, ne parlaient plus que des effets de lune mobile, de soleil tournant, et le nom de Daguerre volait de bouche en bouche, emporté par la Renommée, si retentissante à Paris, quand elle célèbre surtout ce qui intéresse les plaisirs du public.

Le peintre décorateur ne s’arrête pas en si belle voie; ses succès, loin de l’enorgueillir, lui servent de stimulant; il rêve de nouveaux triomphes, et malgré la dissipation de la vie parisienne, il n’oublie jamais que le travail et la constance sont les deux leviers capables de soulever de grands résultats. Il a sans doute à lutter contre l’entraînement des plaisirs, car son tempérament est ardent, son esprit semble léger et fantaisiste. Daguerre, élevé au milieu des ateliers, des théâtres, est d’une nature gaie, joyeuse, un véritable gamin de Paris, comme semblent l’attester quelques faits authentiques que nous rapportent ses biographes. D’une agilité peu commune, les exercices du corps lui sont familiers; il excelle dans les culbutes, les tours de force; il se plaisait, dans une réunion de camarades ou d’amis intimes, à marcher sur les mains, la tête en bas et les jambes en l’air. On affirme même qu’il aimait à paraître incognito sur la scène de l’Opéra, où ses décors excitaient l’admiration de tous. Il revêtait un costume du corps de ballet, et figurait dans les groupes chorégraphiques, s’amusant des applaudissements. du public, qui ne pouvait guère soupçonner que, sous le costume de ce danseur, se cachait un inventeur de génie.

Ces amusements un peu puérils n’empêchaient pas Daguerre de travailler et de rêver à la gloire et au succès. Cet esprit ingénieux, inventif, une fois entré dans le chemin de la célébrité, allait le suivre, en marquant chacune de ses étapes par une nouvelle conquête: son invention du Diorama excita un enthousiasme universel.

Le 1er juillet 1822, la foule se précipitait, compacte et curieuse, vers un nouvel établissement situé sur le Boulevard. Elle allait contempler pour la première fois un spectacle qui, pendant de longues années, devait être l’objet d’une admiration générale. Daguerre s’était associé au peintre Bouton, et tous deux avaient imaginé de reproduire la nature, au moyen d’immenses toiles, où. les sujets étaient mis en relief, par un éclairage puissant et bien ménagé.

Ces décors du Diorama représentaient des vues, des intérieurs, des paysages, avec une prodigieuse vérité et un fini d’exécution vraiment surprenant. Mais ce qui excitait surtout l’étonnement des spectateurs, c’était le changement graduel des scènes, qui semblaient pour ainsi dire se fondre les unes dans les autres, pour se succéder sans interruption appréciable. Tout Paris voulut voir le Diorama de Daguerre, tout Paris applaudit à ces beaux tableaux de la vallée de Sarnen, du tombeau de Charles X à Holyrood, de la basilique de Saint-Pierre. Les effets produits par les toiles du Diorama étaient aussi beaux au point de vue de l’art, qu’ils étaient curieux comme changements à vue. On contemplait, par exemple, la vallée de Goldau, où dormait un lac paisible, où des sapins couronnaient comme d’un diadème de verdure les maisonnettes d’un humble village; puis tout à coup le ciel s’assombrissait, des nuages épais, menaçants, apparaissaient, le firmament prenait la teinte d’un ciel orageux; une violente secousse ébranlait la montagne, l’avalanche roulait, impétueuse, terrible, elle s’abattait sur le village, l’enfouissait sous des ruines; à la scène paisible de tout à l’heure avait succédé un tableau désordonné d’amoncellements de rochers entassés pêle-mêle dans une effroyable chute.

On connaît aujourd’hui les procédés du Diorama, que nous ne pouvons décrire sans dépasser les limites de notre cadre. La gravure qui accompagne notre texte montre l’aspect général de l’appareil. Nous ajouterons que les toiles étaient peintes sur les deux côtés, et que suivant que l’éclairage était placé devant ou derrière, c’est-à-dire que la lumière y tombait par réflexion ou par réfraction, on voyait apparaître, l’une ou l’autre peinture, et grâce à cet artifice ingénieux le spectateur admirait les changements à vue les plus rapides et les plus surprenants (fig. 3).

Le succès du Diorama ne suffit pas à Daguerre; il fallait à cet esprit actif et ambitieux une fortune plus brillante encore.

Dans l’exécution de ses toiles, Daguerre emploie constamment la chambre noire; il s’efforce de reproduire fidèlement l’image si vive que la lumière retrace sur un écran après avoir filtré dans le cristal d’une lentille, mais il sent que son art est impuissant à copier un tel modèle, que son génie se heurtera en vain contre des obstacles que nul peintre ne peut surmonter. La chambre noire lui donne la nature prise au vif et sur le fait; c’est la vie, c’est la vérité, c’est la couleur qu’il contemple chaque jour sur son écran. L’artiste se frappe le front devant l’image fugitive que retrace la lumière inconstante.

— Que ne puis-je, s’écrie-t-il, conserver ces merveilles inimitables, que dessine le rayon solaire au foyer de ma lentille! que ne puis-je fixer cette image, la graver à jamais, afin que la nature marque elle-même de son sceau cette œuvre que nul génie ne saurait retracer!

Voilà Daguerre qui nourrit sans cesse son cerveau de ce rêve fantastique, digne des hallucinations féeriques ou folles. Il n’est pas assez savant pour bien saisir quelles sont les difficultés d’un tel problème, mais il n’est pas non plus assez ignorant, pour croire qu’une telle tâche est au-dessus du possible. Il connaît l’expérience du professeur Charles, il a entendu parler des ombres qui se découpaient nettement sur la feuille de papier, imbibée d’un sel d’argent; il pressent que le premier pas a été fait, qu’un suprême effort peut aider un audacieux à franchir l’abîme qui sépare un fait isolé de la grande solution. Cet effort, il veut tenter de l’accomplir, désormais il n’aura plus de repos avant qu’il ait pu s’écrier comme Archimède: «J’ai trouvé!»

Fig. 3. — Le Diorama de Daguerre.


Dans le but de se procurer tous les renseignements que pouvait lui fournir un praticien sur la chambre noire, Daguerre allait très-fréquemment interroger l’opticien Chevalier dans son magasin du quai de l’Horloge. «Il était fort rare, dit Charles Chevalier lui-même, qu’il ne vint pas une fois par semaine à notre atelier. Comme on le pense bien, le sujet de la conversation ne variait guère, et si parfois on se laissait aller à quelque digression, c’était pour revenir bientôt avec une ardeur nouvelle à la disposition de la chambre noire, à la forme des verres, à la pureté des images!»

A cette époque, la boutique de l’ingénieur Chevalier jouissait à Paris d’une grande célébrité ; beaucoup d’amateurs et de savants s’enquéraient auprès de l’opticien de renseignements analogues à ceux que demandait Daguerre. En 1825, il se passa, dans le magasin du quai de l’Horloge, un fait que rapporte Charles Chevalier, et qui nous a semblé trop curieux pour que nous le passions sous silence.

Un jour, un jeune homme, mal vêtu, timide comme la misère, malingre comme un pauvre, entre chez l’opticien; il s’approche de Charles Chevalier, qui était seul, et lui dit:

— Vous construisez de nouvelles chambres noires, où l’objectif ordinaire est remplacé par un objectif à ménisque convergent: quel en est le prix?

La réponse de l’opticien fit pâlir le jeune homme. La valeur de l’objet en question était, sans doute pour lui, comparable à celle de toutes les mines réunies du Pérou et de la Californie. Il baissa tristement la tête sans proférer une parole.

— Pourriez-vous me dire, continua Charles Chevalier, ce que vous voulez faire d’une chambre noire?

— Je suis parvenu, répondit l’inconnu, à fixer sur le papier l’image de la chambre obscure. Mais je n’ai qu’un appareil grossier, une espèce de caisse de bois de sapin, garnie d’un objectif, que je place à ma fenêtre, et qui me sert à obtenir des vues de l’extérieur. Je voudrais me procurer votre-chambre noire à prisme, afin de continuer mes essais avec un appareil optique plus puissant et plus sûr.

L’ingénieur Chevalier en entendant ces mots se dit à part lui: Voilà encore un de ces pauvres fous qui veulent fixer l’image de la chambre noire! Il savait bien que ce problème occupait des esprits tels que Talbot et Daguerre, mais il ne le considérait pas moins comme une utopie et un rêve.

— Je connais, ajouta-t-il, plusieurs physiciens qui s’occupent de cette question. Mais ils ne sont encore arrivés à aucun résultat. Auriez-vous été plus heureux?

A ces mots, le jeune homme sort de sa poche un vieux portefeuille que l’usure et la vétusté assortissent avec son costume; il l’ouvre, il en tire tranquillement un papier qu’il place sur la vitrine de l’opticien.

— Voilà, dit-il, ce que je puis obtenir.

Charles Chevalier regarde, et ne peut contenir sa stupéfaction: il aperçoit sur ce papier une vue de Paris, aussi nette que l’image de la chambre noire. Ce n’était ni un dessin ni une peinture, on eût dit l’ombre de toits, de cheminées et du dôme du Panthéon. L’inventeur avait fixé la vue de Paris que lui offrait l’ouverture de sa fenêtre.

Chevalier questionne le jeune homme, qui tire de sa poche une fiole, remplie d’un liquide noirâtre:

— Voilà, dit-il, la liqueur avec laquelle j’opère; en suivant mes instructions, vous obtiendrez les mêmes résultats que moi.

L’inconnu explique à l’opticien comment il faut agir, puis il se retire, maudissant son sort et sa destinée, qui ne lui ont pas permis de posséder la chambre noire, l’objet de ses rêves. Il promet de revenir, mais il disparaît à tout jamais.

Charles Chevalier n’obtint rien avec le liquide de cet infortuné, mais il est probable qu’il opéra mal, et qu’il ne prit pas la précaution de préparer dans l’obscurité son papier sensibilisé. Il attendit longtemps une visite de son inconnu, ayant comme un remords de sa réserve. Il ne le revit jamais.

Le nom de ce pauvre inventeur est ignoré. Personne ne sut jamais ce qu’il devint. Il est possible, hélas! qu’un lit d’hospice ait été son dernier refuge!

Charles Chevalier raconte cette curieuse histoire à Daguerre; celui-ci n’en tient pas compte; il examine légèrement ce qu’il reste de la liqueur noire de l’étranger, et l’esprit rempli de ses propres recherches, il ne tarde pas à cesser de s’en préoccuper.

On voit que j’histoire de cet inconnu est digne de fixer notre attention. Quoiqu’elle reste forcément sans dénouement, nous avons cru devoir rendre hommage à un esprit ingénieux, à un homme de génie, peut-être, que la misère a fatalement condamné à l’oubli!

Mais revenons à Daguerre, et nous le verrons poursuivre ses études avec une nouvelle énergie. Il s’est construit un véritable laboratoire, où il a réuni une collection d’appareils où il a rassemblé d’innombrables produits chimiques de toute nature et de toute espèce; il étudie les réactions, il manipule sans cesse, toujours anxieux d’atteindre un but qui pour tous les savants semblait chimérique. Daguerre affirme bientôt qu’il a réussi à fixer l’image fugitive, sans toutefois donner aucune preuve à l’appui de son affirmation. Au mois de décembre 1825, il dit à qui veut l’entendre que le grand problème est enfin résolu. «J’ai enfin saisi la lumière s’écrie-t-il avec enthousiasme, je l’ai arrêtée au passage! C’est le soleil qui désormais va peindre mes tableaux!»

Quelques jours après, au mois de janvier 1826, il se rend chez Charles Chevalier, pour parler toujours de son sujet favori.

— Outre le jeune homme dont je vous ai parlé, dit l’ingénieur, je connais en province une personne qui se flatte d’avoir obtenu de son côté le même résultat que vous. Il y a fort longtemps qu’elle s’occupe de reproduire des gravures par l’action de la lumière sur certains agents chimiques. Peut-être feriez-vous bien de vous mettre en rapport avec elle.

— Et comment se nomme cet heureux émule? demanda Daguerre.

Charles Chevalier prit une plume, écrivit quelques mots sur un papier qu’il remit ensuite à l’auteur du diorama. On y lisait cette adresse: M. Niepce, propriétaire, au Gras, près Châlon-sur-Saône.

Quelques jours après, Daguerre écrivait à cet inconnu; mais celui-ci, en provincial méfiant, jeta au feu la lettre qu’il venait de recevoir; il se contenta de murmurer entre ses dents:

— Voilà encore un Parisien qui veut me tirer les vers du nez.

C’est sous de tels auspices que commencèrent les relations des deux inventeurs; ils devaient cependant unir plus tard leurs travaux et créer, pour ainsi dire, en commun, un art qui restera dans les siècles à venir comme un des prodiges de notre époque.

Les Merveilles de la photographie

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