Читать книгу Les Merveilles de la photographie - Gaston Tissandier - Страница 12
ОглавлениеLE DAGUERRÉOTYPE
Recherches et travaux de Daguerre. — Il cède son invention à l’État. — Arago et la photographie naissante. — Un projet de loi. — Exposé des motifs du ministre Duchâtel. — La séance de l’Académie des sciences du 10 août 1839.
Daguerre a perdu son associé Niepce; il reste seul pour continuer la tâche qu’il a résolu de mener à bonne fin, en dépit des difficultés sans nombre dont elle abonde. L’ingénieux artiste a révélé à la chimie un fait gros de promesses: il a vu que l’image, tracée pour ainsi dire à l’état latent par le rayon solaire sur une plaque couverte d’iodure d’argent, se révèle subitement, c’est-à-dire apparaît visible et manifeste quand on l’expose à l’action des vapeurs mercurielles. L’inventeur tient dans ses mains le fil qui le conduira dans le labyrinthe de ses recherches, il n’y marchera plus en aveugle, car il est en possession du guide qui va le mener à la lumière.
Mais les jours et les mois se passent en labeurs continuels; ce n’est qu’au prix de deux années, entièrement consacrées au travail, que Daguerre imagine enfin l’admirable méthode qui doit immortaliser son nom!
En 1855, Daguerre est en mesure de présenter au fils de Nicéphore, Isidore Niepce, les perfectionnements qu’il a obtenus; il est temps d’exploiter la découverte de l’héliographie. Un acte additionnel, est écrit à la suite du traité dont nous avons parlé précédemment. Deux années se passent encore, au milieu de recherches et de travaux constants. En 1857 enfin, Daguerre et Isidore Niepce signent un véritable acte d’association, où ils font appel à des actionnaires pour l’exploitation de la découverte nouvelle.
Le 15 mars 1858, la souscription est ouverte. Mais le public incrédule ne répond pas à l’appel qui lui est adressé, les fonds se cachent pour cette œuvre ignorée de tous; les capitaux semblent fuir l’art de la photographie naissante.
Daguerre se décide alors à céder son invention à l’État. Il s’adresse à plusieurs savants et frappe à la porte d’Arago. L’illustre astronome, le grand physicien, est saisi de vertige quand on lui montre la première plaque daguerrienne; il ne tarit pas d’éloges et de marques d’enthousiasme. Le créateur de l’héliographie a trouvé son avocat. Arago envoie l’inventeur au ministre de l’intérieur Duchâtel, qui offre à Daguerre et à Isidore Niepce une pension viagère (bien modeste hélas!) en échange de leurs secrets.
Le 15 juin 1859, le ministre de l’intérieur présente à la Chambre au sujet de la nouvelle découverte un projet de loi, précédé de l’Exposé des motifs dont voici le texte:
«Nous croyons aller au-devant des vœux de la Chambre, en vous proposant d’acquérir, au nom de l’État, la propriété d’une découverte aussi utile qu’inespérée, et qu’il importe, dans l’intérêt des sciences et des arts, de pouvoir livrer à la publicité.
«Vous savez tous, et quelques-uns d’entre vous ont déjà pu s’en convaincre par eux-mêmes, qu’après quinze ans de recherches persévérantes et dispendieuses, M. Daguerre est parvenu à fixer les images de la chambre obscure et à créer ainsi, en quatre et cinq minutes, par la puissance de la lumière, des dessins où les objets conservent mathématiquement leurs formes jusque dans leurs plus petits détails, où les effets de la perspective linéaire, et la dégradation des tons provenant de la perspective aérienne, sont accusés avec une délicatesse inconnue jusqu’ici.
«Nous n’avons pas besoin d’insister sur l’utilité d’une semblable invention. On comprend quelles ressources, quelles facilités toutes nouvelles elle doit offrir pour l’étude des sciences; et, quant aux arts, les services qu’elle peut leur rendre ne sauraient se calculer.
«Il y aura pour les dessinateurs et pour les peintres, même les plus habiles, un sujet constant d’observations dans ces reproductions si parfaites de la nature. D’un autre côté, ce procédé leur offrira un moyen prompt et facile de former des collections d’études qu’ils ne pourraient se procurer, en les faisant eux-mêmes, qu’avec beaucoup de temps et de peine, et d’une manière bien moins parfaite.
«L’art du graveur, appelé à multiplier, en les reproduisant, ces images calquées sur la nature elle-même, prendra un nouveau degré d’importance et d’intérêt.
«Enfin, pour le voyageur, pour l’archéologue, aussi bien que pour le naturaliste, l’appareil de M. Daguerre deviendra d’un usage continuel et indispensable. Il leur permettra de fixer leurs souvenirs sans recourir à la main d’un étranger. Chaque auteur désormais composera la partie géographique de ses ouvrages; en s’arrêtant quelques instants devant le site le plus étendu, il en obtiendra sur-le-champ un véritable fac-simile.
«Malheureusement pour les auteurs de cette belle découverte, il leur est impossible d’en faire un objet d’industrie et de s’indemniser des sacrifices que leur ont imposés tant d’essais si longtemps infructueux.
«Leur invention n’est pas susceptible d’être protégée par un brevet. Dès qu’elle sera connue, chacun pourra s’en servir. Le plus maladroit fera des dessins aussi exactement qu’un artiste exercé. Il faut donc nécessairement que ce procédé appartienne à tout le monde ou qu’il reste inconnu. Et quels justes regrets n’exprimeraient pas tous les amis de l’art et de la science si un tel secret devait demeurer impénétrable au public, s’il devait se perdre et mourir avec les inventeurs!
«Dans une circonstance aussi exceptionnelle, il appartient au gouvernement d’intervenir. C’est à lui de mettre la société en possession de la découverte dont elle demande à jouir dans un intérêt général, sauf à donner aux auteurs de celle découverte le prix, ou plutôt la récompense de leur invention.
«Tels sont les motifs qui nous ont déterminé à conclure avec MM. Daguerre et Niepce fils une convention provisoire dont le projet de loi que nous avons l’honneur de vous soumettre a pour objet de vous demander la sanction.
«Avant de vous faire connaître les bases de ce traité, quelques détails sont nécessaires.
«La possibilité de fixer passagèrement les images de la chambre obscure était connue dès le siècle dernier; mais cette découverte ne promettait aucun résultat utile, puisque la substance sur laquelle les rayons solaires dessinaient les images n’avait pas la propriété de les conserver et qu’elle devenait complètement noire aussitôt qu’on l’exposait à la lumière du jour.
«M. Niepce père inventa un moyen de rendre ces images permanentes. Mais, bien qu’il eût résolu ce problème difficile, son invention n’en restait pas moins encore très-imparfaite. Il n’obtenait que la silhouette des objets, et il lui fallait au moins douze heures pour obtenir le moindre dessin.
«C’est en suivant des voies entièrement différentes, et en mettant de côté les traditions de M. Niepce, que M. Daguerre est parvenu aux résultats admirables dont nous sommes aujourd’hui témoins, c’est-à-dire l’extrême promptitude de l’opération, la reproduction de la perspective aérienne et tout le jeu des ombres et des clairs. La méthode de M. Daguerre lui est propre, elle n’appartient qu’à lui et se distingue de celle de son prédécesseur aussi bien dans sa cause que dans ses effets.
Fig. 5. — Daguerre.
«Toutefois, comme avant la mort de M. Niepce père, il avait été passé entre lui et M. Daguerre un traité par lequel ils s’engageaient mutuellement à partager tous les avantages qu’ils pourraient recueillir de leurs découvertes, et comme cette stipulation a été étendue à M. Niepce fils, il serait impossible de traiter isolément avec M. Daguerre, même du procédé qu’il a non-seulement perfectionné, mais inventé. Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, que la méthode de M. Niepce, bien qu’elle soit demeurée imparfaite, serait peut-être susceptible de recevoir quelques améliorations, d’être appliquée utilement en certaines circonstances, et qu’il importe, par conséquent, pour l’histoire de la science, qu’elle soit publiée en même temps que celle de M. Daguerre.
«Ces explications nous font comprendre, messieurs, par quelle raison et à quel titre MM. Daguerre et Niepce fils ont dû intervenir dans la convention que vous trouverez annexée au projet de loi.»
Après la lecture de ce document, que nous avons cru devoir reproduire entièrement, pensant qu’on ne saurait trop s’attacher à l’impartialité dans l’histoire, le ministre de l’intérieur donna l’énoncé du projet de loi qui attribuait à Daguerre une pension annuelle et viagère de 6,000 francs, à Isidore Niepce une pension annuelle et viagère de 4,000 fr., réversibles toutes deux par moitié sur les veuves de Daguerre et de Niepce.
On reste stupéfait de l’exiguïté des sommes qui furent accordées en échange d’une de nos plus grandes inventions modernes. On en avait cependant bien apprécié toute la portée, et on ne doutait point des grands avantages de toute nature que l’on devait en retirer. Il est vrai qu’on ajoutait à la valeur de ces pensions, en les décorant justement du nom de Récompense nationale. Si le gouverne ment crut devoir se montrer aussi économe de l’argent public, la nation du moins prodigua à Daguerre les marques de la plus grande admiration et du plus profond enthousiasme.
La loi fut votée par acclamation à la Chambre, elle fut promulguée de même à la Chambre des pairs. Arago, en sa qualité de secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, fut chargé de communiquer à la docte assemblée la description des procédés du daguerréotype. C’était le nom qui, à compter de ce jour, fut consacré à la merveilleuse découverte.
Le 10 août 1839, la foule se précipitait, curieuse et avide de détails, aux abords de l’Institut. L’Académie des beaux-arts s’était réunie, pour cette circonstance exceptionnelle, à l’Académie des sciences. Les bancs réservés au public étaient couverts de tout ce que l’on comptait alors à Paris d’hommes éminents. Tous les yeux étaient fixés sur Daguerre, qui, dans sa modestie, fuyait ces innombrables regards, et semblait vouloir se dérober à un triomphe que le grand Arago avait pris sous son patronage.
Il ne faudrait pas connaître le public parisien, éminemment impressionnable et exalté, pour se demander si les abords de l’Institut regorgeaient de monde. Tout ce que Paris contient d’artistes, de jeunes savants et de curieux se trouvait aux portes du palais Mazarin. La foule attendait le grand secret, comme autrefois les chrétiens, l’esprit céleste. Arago a parlé ; sa voix se répète de proche en proche, elle passe par cent bouches, circule dans les corridors, et s’élance sur les quais, où les commentaires vont et viennent, plus ou moins explicites. — C’est l’iodure d’argent et le mercure, s’écrie un des assistants. — Non, dit un autre, c’est le bitume de Judée! — Allons donc! reprend un troisième, on a dit qu’il fallait employer l’hyposulfite de soude! — Les propos s’échangent au milieu des boutades et des cris, mais personne n’a rien compris au secret de Daguerre.
Cependant les heures se passent, les journaux donnent le compte rendu de la séance solennelle de l’Académie; ils expliquent plus clairement le procédé du daguerréotype. Les opticiens font quelques essais et affichent à leur montre des chambres noires et des réactifs propres à faire du daguerréotype. On se précipite partout chez eux, on se dispute ces appareils que chacun veut expérimenter, et tout Paris est pris de la fièvre du daguerréotype. Les artistes sont saisis d’étonnement et d’admiration: Paul Delaroche a vu Daguerre, il lui a arraché des mains une plaque impressionnée par la lumière. Il la montre partout en s’écriant: «La peinture est morte à dater de ce jour!»
L’art des Raphaël et des Michel-Ange n’était pas tué ; il venait de trouver, au contraire, dans les inspirations d’un grand inventeur, de nouvelles ressources, et la Science venait de tendre la main à l’Art!