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IX

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Au fond du salon de Tribschen, à gauche en venant du jardin, une lourde portière, soulevée par une cordelière, laissait apercevoir une très petite pièce, dont je ne pouvais approcher sans une vive émotion: c'était le sanctuaire, le saint des saints, le cabinet de travail de Richard Wagner!

Des draperies sombres, un demi-jour recueilli, deux parois que recouvraient des rayons de bibliothèque chargés des plus belles œuvres: musique, poésie, littérature, philosophie; un piano d'une forme spéciale (un autel presque), muni de tiroirs et plan comme une table; un seul tableau: le portrait de Louis II, le royal ami, l'archange sauveur:—«Celui qui, disait Wagner, semble m'avoir été envoyé du ciel!» Qu'il était beau, ce fin visage, dont le teint bistré sous les cheveux noirs faisait ressortir encore la clarté splendide des yeux d'un bleu polaire, rayonnants d'enthousiasme, des yeux vraiment surnaturels.

Tous, nous l'aimions, ce jeune homme, nous le considérions comme notre roi, notre chef et notre allié, puisqu'il avait la même foi que nous-mêmes et, comme nous, rang d'apôtre. Nous étions nés pour la même mission: affirmer la divinité d'un homme de génie, être les miroirs réfléchissant pour lui l'éblouissement de ses rêves, lui donnant la certitude de sa splendeur, les soldats prêts à recevoir pour sa défense les horions et les insultes, et qui joyeusement seraient tombés pour sa gloire. Et ce roi, plus que nous, était fort pour le combat; son sceptre valait mieux que nos poings.

Quelquefois, s'échappant de la cour, l'ami royal venait, seul et incognito, à Tribschen, pour souhaiter la fête du Maître, ou lui apporter une bonne nouvelle. Comme la maison était peu vaste, c'est dans cette petite pièce qu'on lui dressait un lit de camp, et il passait quelques jours ici, tout heureux, exigeant d'être traité comme un humble disciple.

Wagner m'a surprise, aujourd'hui, au seuil de ce cabinet de travail, de ce sanctuaire, dans lequel je n'osais pas pénétrer, considérant le piano, les feuillets épars, où l'encre n'était pas séchée, me sentant troublée au dernier point par les détails humains de ce qui était pour moi si évidemment surhumain. Et je fus oppressée, jusqu'à perdre le souffle, d'entendre, tout à coup, à quelques pas de moi, sonner la voix et le rire de celui qui m'apparaissait dans la perspective des siècles, auprès d'Homère, d'Eschyle, de Shakespeare, de celui que j'aurais élu encore au milieu des plus grands!...

—Comme vous êtes enthousiaste! s'écriat-il: il ne faut pas l'être trop, car cela nuit à la santé!

Il voulait plaisanter, mais la lumière attendrie de ses yeux me disait assez ce que voilait son rire.

Le collier des jours: Le troisième rang du collier

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