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XI

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Une poule au milieu de ses poussins, c'est la première impression que nous donne la petite ville de Zug, avec son clocher qui se hausse, entouré de maisons basses. Comme fond, le velours vert du dernier repli des montagnes qui, de là, s'étagent jusqu'aux lointains neigeux, roses et mauves. Lorsqu'on approche du bourg, son aspect change: on ne voit plus qu'une vieille porte fortifiée, ayant en son milieu un cadran énorme. De grands drapeaux, qu'une brise très faible soulevait lentement, et les bannières multicolores de tous les cantons de la Suisse, s'accrochaient à chaque angle du haut toit, orné de clochetons, qui surmonte cette porte; des guirlandes de feuillages festonnaient, en contrariant sa courbe, l'ogive percée dans l'antique bâtisse; et, quand on avait franchi la voûte, la rue où l'on débouchait donnait l'illusion d'une rue chinoise, avec ses maisons d'inégale hauteur et sa perspective de banderoles bariolées.

Mais il fallait prendre une autre route pour gagner la plaine où le tir fédéral était établi: un vacarme effroyable guidait sûrement de ce côté-là.

Des baraques foraines, dans la prairie fraîche; une foule, souriante et grave, qui processionne; de ci, de là, des costumes pittoresques, portés par les naturels des quelques cantons fidèles encore aux vieux usages.

Des Bernoises à l'ample jupe froncée, à demi cachée par le tablier de soie couleur gorge de pigeon, au long corsage de velours noir, retenu par des chaînes d'argent sur la gorgerette plissée, avec, dans leurs cheveux, de grandes épingles historiées. Des Fribourgeois, vêtus de culottes courtes, de vestes brunes, coiffés de larges chapeaux et s'appuyant sur des bâtons noueux. Il y avait même quelques Tyroliennes, venues de loin par curiosité et qui égayaient les yeux avec leurs robes de couleurs vives, leurs étroits tabliers tricolores, leurs chapeaux pointus en feutre noir, agrémentés de galons d'or et posés très bas sur le front.

Nous sommes, à présent, au centre même du bruit, et c'est comme dans une effroyable bataille. Le sifflement des milliers de balles, qui cinglent l'air sans discontinuer, produit sur le tympan l'effet le plus bizarre: on se croit enveloppé d'un réseau de fils de fer, vibrants, qui se croisent, s'enchevêtrent, forment un treillage, et l'illusion est si complète que l'on n'ose plus avancer, de peur de heurter ces fils.

Des hangars partagés en boxes, orientés dans différents sens, divisent la plaine, et dans chaque box, des hommes affairés chargent hâtivement des carabines qu'ils passent au tireur, aperçu de dos, visant une cible lointaine.

Inconscients, nous nous laissons pousser dans un des boxes, et, là, un Suisse, avec la familiarité cordiale qui convient dans un pays libre, crie quelque chose à l'oreille de Villiers, qui n'entend pas. Mais on lui met entre les mains une carabine, et le voici, à son tour, épaulant et visant longuement.

Que s'est-il passé? On n'a pas entendu la détonation, à travers le tintamare; mais une agitation, une émotion joyeuse éclatent tout à coup, et là-bas, la cible, mue par un ressort, s'agite et salue le vainqueur: Villiers a fait mouche!...

On l'entraîne. Des êtres munis de formidables trombones surgissent et, sur deux files, lui font cortège: à leurs joues qui se gonflent et s'empourprent on devine, plutôt qu'on ne l'entend, une triomphale fanfare.

On s'arrête devant un kiosque peinturluré, entouré de vitrines, où s'étalent les objets offerts comme prix aux plus habiles tireurs.

Il y a un portrait de Garibaldi, encadré; une paire de lunettes d'or; un couvert d'argent; une collection de pièces de cent sous à l'effigie de Louis-Philippe, disposées en forme d'étoile dans un écrin,—et beaucoup d'autres merveilles, parmi lesquelles Villiers n'a qu'à choisir, mais, suffoqué par le fou rire, il n'arrive pas à se décider.... Enfin il décroche un collier en corail et le fourre dans sa poche, tandis qu'on fixe à son chapeau une médaille commémorative, qui luit au milieu d'un flot de rubans.

Le triomphateur voudrait se dérober, mais le cercle des joueurs de trombone l'enserre et il faut aller à un pavillon consacré à Bacchus, où un commissaire de la fête, monté sur une table, lui tend solennellement la coupe glorieuse, pleine d'aigre vin de Sarli, qu'il doit vider, d'un trait, en dissimulant une grimace douloureuse....

Le soir, à souper, Wagner, se réjouit beaucoup de l'aventure, et pour fêter l'habile tireur, il débouche du Champagne:

—Il est excellent, dit-il, c'est mon ami Chandon qui me l'envoie.

Le collier des jours: Le troisième rang du collier

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