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IV

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Combien cette seconde journée, qui se levait toute bleue et ensoleillée, était riante pour nous! Quelle plénitude de joie! quel avenir glorieux! Nous connaissions Richard Wagner et il nous connaissait! «Venez demain de bonne heure», nous avait-il dit; cela, c'était plus et mieux que de la politesse: les disciples plaisaient au maître, nous en avions le pressentiment délicieux.

Mais il fallait, tout de même, ne pas arriver trop tôt à Tribschen, et, jusqu'à une heure convenable, trouver le moyen d'occuper le temps.

Villiers, qui voulait être très beau, s'était mis en quête d'un coiffeur, et, il fixa son choix sur un certain M. Frey.

Une fois installé, la serviette au cou, les joues barbouillées d'écume de savon, le patient, tout à son rêve, se souvint d'une phrase de Wagner,—une phrase de la lettre qu'il m'avait écrite à propos des Maîtres Chanteurs; «Mon barbier me disait, l'autre jour, que ce morceau lui avait plu de préférence....» Les barbiers lucernois étaient donc wagnériens?... Alors on pouvait causer: sans hésiter, Villiers entama avec M. Frey, une dissertation sur la musique de l'avenir.

Le Figaro suisse s'en tira de son mieux, et, la causerie s'étant prolongée, Villiers sortit de l'officine frisé menu comme un bonnet d'astrakan.

Ainsi accommodé, il me rejoignit sur le quai, au bord du lac, et, pour user notre impatience, nous nous mîmes à rôder, entre les ballots et les paquets de cordages.

Mon compagnon fredonnait un motif de l'ouverture des Maîtres Chanteurs, qui l'enthousiasmait de plus en plus. Il insistait pour me décider à chantonner, en même temps que lui, le second motif qui se combine avec le premier.

—En pleine rue, comme cela?... On va nous jeter deux sous!... Ecartons-nous au moins des passants.

Et nous voici enjambant des madriers, des matériaux de construction, pour gagner un coin désert.

Villiers est ravi de nos fredons qu'il faut recommencer plusieurs fois. Sa vive imagination supplée à tout ce qui manque: il croit entendre l'orchestre.

Brusquement il tombe en arrêt sur je ne sais quoi; ses clairs yeux bleus s'ouvrent plus larges, ne clignent plus, et il se met à rire.

—Qu'est-ce que c'est que ce mot extraordinaire: Dampfschifffahrtgesellschaft!

En effet, ce mot apparaît, en gros caractères, sur une planche peinte en blanc, haut portée par deux poteaux fichés en terre.

—Six voyelles contre vingt-deux consonnes, et un seul mot! s'écrie Villiers; qu'est-ce qu'il veut dire, ce mot?

En réunissant nos vagues notions d'allemand nous présumons qu'il signifie: «Compagnie des bateaux à vapeur», et que c'est là l'embarcadère. En effet, au delà des poteaux réunis par la planche, qui figurent avec elle un chambranle de porte, il y a un escalier en bois qui mène à un ponton. L'eau bleue clapote contre les pilotis, les cygnes naviguent à l'entour, et les voiles, aussi blanches que leurs ailes, cinglent vers le lointain, vers le promontoire, que le soleil, là-bas, en ce moment, couvre d'un brouillard d'or....

—Quelle heure est-il?

A chaque instant cette question revient. Il est temps enfin de rentrer à l'hôtel du Lac, pour le «dîner».

Ici, ce n'est pas comme en France: on «dîne» à une heure, très copieusement, et, si l'on veut, on soupe à huit, très légèrement. Cela nous fait comprendre pourquoi, hier, il nous a semblé qu'on ne dînait pas à Tribschen.

Le collier des jours: Le troisième rang du collier

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