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LETTRE XCIII

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À M. WILLIAM BANKES

Mon Cher Bankes,

«Mon empressement à provoquer une explication a dû vous convaincre que, quel qu'ait pu être le changement malheureux de mes manières, il était aussi involontaire qu'il eût été plein d'ingratitude si j'y avais effectivement mis de l'intention. Réellement, je m'étais aperçu que, quand nous étions ensemble, j'avais montré de tels caprices. Je savais bien que nous ne nous voyions pas aussi souvent que je l'aurais désiré, mais je pense qu'un observateur aussi fin que vous aurait pu en trouver la raison explicative sans aller imaginer que je fisse moins de cas d'un homme de la société duquel je trouve honneur et plaisir. Rappelez-vous que je ne fais point allusion ici au cercle, soi-disant plus étendu, de mes connaissances, mais à des circonstances que vous comprendrez facilement, j'en suis sûr, avec un peu de réflexion.

»Et maintenant, mon cher Bankes, ne m'affligez point en supposant que je puisse avoir à votre égard, ou vous au mien, d'autres pensées que celles que nous avons eues depuis long-tems. Vous me disiez, récemment encore, que mon caractère s'amendait; je serais bien fâché que vous changeassiez d'opinion. Croyez-moi, votre amitié m'est bien plus précieuse que toutes ces vanités absurdes dont je crains bien que vous ne me croyiez entiché. Je n'ai jamais contesté votre supériorité, ou douté sérieusement de votre affection pour moi; et si quelqu'un parvient jamais à mettre la zizanie entre nous, ce ne sera pas sans exciter les sincères regrets de votre bien affectionné, etc.

»P. S. Je vous verrai, je crois, chez lady Jersey; Hobhouse y vient aussi.»

Au mois d'avril, il fut de nouveau tenté d'essayer ses forces dans la Chambre Haute. Lord Donoughmore ayant fait une motion pour la prise en considération des griefs des catholiques irlandais, il s'exprima fortement en sa faveur. Ce second discours paraît avoir été moins heureux que le premier; son débit fut jugé ampoulé et théâtral; infecté, je le parierais, car je ne l'ai jamais entendu au parlement, de ce même ton déclamatoire et chanté dont il défigurait ses poésies en les récitant. Mauvaises habitudes que l'on contracte dans la plupart des écoles publiques, mais plus particulièrement à Harrow, et se rapprochant assez du chant pour déplaire davantage à ceux qui l'aiment et le comprennent le mieux.

Je trouve dans son Memorandum les anecdotes suivantes au sujet des négociations pour le changement de ministère qui eut lieu pendant cette session.

«À la réunion des pairs de l'opposition (1812), après que lord Granville et lord Grey nous eurent lu la correspondance relative à la négociation de lord Moira, j'étais assis près du duc actuel de Grafton, et je lui demandai: Que faut-il faire maintenant? – Réveiller le duc de Norfolk qui ronfle là à côté de nous, me répondit-il; je ne crois pas que les négociateurs nous aient laissé rien autre chose à faire.

»Lors des débats, ou plutôt de la discussion sur cette même question, j'étais placé immédiatement derrière lord Moira, qui était extrêmement contrarié du discours de Grey. Tandis que celui-ci parlait, Moira se tournait vers moi et me demandait fréquemment si j'étais de son avis. La question ne laissait pas que d'être embarrassante pour moi, qui n'avais pas entendu les deux partis. Moira ne cessait de me répéter: Les choses ne se sont pas passées ainsi, mais bien comme ceci et comme cela, etc. Je ne savais qu'en penser au juste; mais j'étais touché de le voir prendre cette affaire tellement à cœur.»

La motion pour l'émancipation des catholiques fut présentée une seconde fois pendant cette session par lord Wellesley, et la prise en considération emportée à la simple majorité d'une voix. Voici une autre anecdote assez amusante à propos de cette division de la chambre.

«Lord Eldon affecte d'imiter deux chanceliers bien différens, Theulow et Longhborough, et de tems en tems se permet quelques gros jurons. Dans l'un des débats pour la question catholique, les pairs se trouvant également partagés, ou la majorité n'étant que d'une voix, je ne me rappelle pas exactement lequel, on vint me chercher dans un bal, que je ne quittai pas sans peine, je l'avoue, pour émanciper cinq millions d'hommes. J'arrivai tard; je ne me rendis pas immédiatement à ma place, mais je me tins debout précisément derrière le sac de laine. Lord Eldon, tournant la tête, m'aperçut, et dit aussitôt à un pair qui était venu causer quelques instans avec lui, comme ses amis en avaient assez l'habitude: Que le diable les emporte! la victoire est à eux maintenant, le votant qui vient d'arriver la leur assure, par Dieu!»

Cependant, l'impression qu'il avait produite dans la société, comme homme et comme poète, allait toujours en augmentant. La facilité avec laquelle il se livra au tourbillon des sociétés à la mode, et se mêla à leurs plaisirs, prouve que, quelque faible cas qu'il en fît d'ailleurs, ils avaient pour lui le charme de la nouveauté. Cette sorte de vanité, presque inséparable du génie, et qui consiste dans une extrême susceptibilité pour soi-même, Lord Byron, je n'ai pas besoin de le dire, la possédait à un degré peu ordinaire. Jamais cette excessive sensibilité pour l'opinion des autres ne fut excitée d'une manière plus constante et plus variée que dans les cercles où il venait d'entrer. Je trouve, dans un billet qu'il m'écrivit à cette époque, quelques allusions plaisantes à la foule d'admirateurs dont il s'était vu entouré la veille dans une soirée, et tel était à la vérité le flatteur embarras où il se trouvait dans toutes les réunions. Dans ces occasions, surtout avant que le cercle de ses connaissances se fût assez étendu pour le mettre tout-à-fait à son aise, son air et sa démarche étaient d'un homme dont les pensées étaient mieux occupées ailleurs, et qui ne jetait qu'un œil distrait et mélancolique sur la foule joyeuse qui l'entourait. Ses manières si réservées au milieu de pareilles scènes, et toutefois si bien d'accord avec les idées romantiques qu'on s'était faites de lui, étaient le résultat, en partie d'une mauvaise honte, et en partie de cette envie de produire de l'effet et de faire impression à laquelle le portait naturellement la tournure poétique de son esprit. Rien, en effet, ne saurait être plus amusant et plus singulier que le contraste de son enjouement en petit comité avec sa réserve et sa fierté dans les cercles qu'il venait de quitter. C'était comme la gaîté bruyante d'un enfant, au sortir de l'école; il n'était point de plaisanteries, de tons malicieux dont il ne fût capable. Habitué à le trouver toujours si enjoué dans le tête-à-tête, je le raillais souvent sur le ton sombre de ses poésies, comme emprunté; mais il me répondait constamment, et je cessai bientôt d'en douter, que bien que gai et riant avec ceux qui lui plaisaient, il était au fond du cœur l'un des malheureux les plus mélancoliques du monde.

Parmi une foule de billets que je reçus de lui à cette époque, relatifs, quelques-uns aux parties où nous nous trouvions ensemble, d'autres à des affaires aujourd'hui oubliées, j'en choisirai quelques-uns qui, en faisant connaître sa société et ses habitudes, ne seront peut-être pas sans intérêt.

25 mars 1812.

«A tous ceux qui les présentes verront, savoir faisons; que vous, Thomas Moore, êtes assigné, non invité, sur demande spéciale et toute particulière, à vous trouver demain soir, à neuf heures et demie, chez lady Charlotte Lamb, où vous serez reçu civilement et convenablement. Venez, je vous en prie; on m'a tant accablé de questions sur votre compte, ce matin, que je vous conjure d'y venir répondre en personne.

«Croyez-moi toujours, etc.»

«J'aurais répondu à votre billet dès hier, si je n'avais espéré vous voir ce matin. Il faut que nous tenions conseil ensemble sur le jour où nous irons dîner avec sir Francis. Je suppose que nous nous verrons ce soir chez lady Spencer. Je ne savais pas que vous fussiez l'autre soir chez miss Berry, autrement j'y serais allé à coup sûr.

»Comme à l'ordinaire, j'ai une multitude d'affaires sur les bras; aucune, il est vrai, d'une nature belliqueuse, pour le moment.

»Croyez-moi toujours votre, etc.»

8 mai 1812.

«Je suis trop fier de votre amitié pour me rendre difficile sur le choix de ceux avec lesquels je la partage, et Dieu sait que jamais je n'ai eu plus besoin d'amis que dans ce moment-ci. Je prends grand soin de moi-même dans ce moment, cela ne me réussit guère. Si vous connaissiez ma situation sous tous les points de vue, vous excuseriez bien des négligences apparentes, où l'intention n'entre pour rien.

»Je quitterai Londres bientôt, je crois; ne le quittez pas, vous, sans me voir. Je vous souhaite du fond du cœur tout le bonheur que vous pouvez vous souhaiter à vous, et je crois que vous avez pris le chemin pour y arriver. Que la paix soit avec vous, je crois qu'elle m'a abandonné pour toujours.

»Tout à vous, etc.»

20 mai 1812.

«Après avoir passé toute la nuit, j'ai vu, lundi matin, lancer Bellingham dans l'éternité 20, et à trois heures, le même jour, partir *** pour la campagne.

Note 20: (retour) Phrase consacrée pour dire pendre. On peut justifier la présence de Lord Byron au supplice de Bellingham, en rappelant que cet homme n'était point un assassin ordinaire. Son procès fit grand bruit en Angleterre. Il avait tué M. Perceval d'un coup de pistolet, en plein Parlement; il n'avait fait aucun effort pour se sauver; et tout en assurant qu'il n'avait aucune haine personnelle contre ce député, il persista à dire que sa seule raison était qu'il désapprouvait sa conduite parlementaire. On était curieux de savoir s'il ferait d'autres aveux sur l'échafaud: il n'en fit point.(Note du Tr.)

»J'irai, je crois, passer quelques jours à Nottingham au commencement de juin: dans ce cas, je viens vous prendre à l'improviste avec Hobhouse qui, comme vous et tous les autres, s'efforce de m'arracher à mes ennuis.

»J'avais dessein de vous écrire une longue lettre, mais je sais que cela m'est impossible. S'il m'arrive quelque chose de remarquable en bien, je vous le ferai savoir; si c'est quelque chose de malheureux, il ne manquera pas de gens pour vous le dire. Soyez heureux, en attendant.

»Tout à vous.

»P. S. Mes respects et mes complimens bien sincères à Mrs ***; elle est réellement fort belle. Je puis vous le dire, même à vous, car jamais figure ne m'a frappé comme celle-là.»

Il avait loué une fenêtre avec ses deux camarades de collége, MM. Bailey et John Madocks. Ils sortirent tous trois de je ne sais quelle assemblée et se rendirent sur les lieux vers les trois heures du matin; la porte était fermée. M. Madocks se chargea de réveiller les gens de la maison, tandis que Lord Byron et M. Bailey se promenèrent bras dessus bras dessous dans la rue. C'est alors qu'eut lieu une scène assez fâcheuse. Voyant une pauvre femme couchée sur les marches, devant une porte, Lord Byron lui offrit quelques shillings, en lui adressant quelques mots de compassion; mais, au lieu de les recevoir, elle repoussa violemment sa main, se leva tout-à-coup, et, grimaçant un rire effroyable, se mit à boiter en singeant l'infirmité de son bienfaiteur. «Il ne prononça pas une parole, dit M. Bailey, mais je sentis son bras trembler dans le mien en nous éloignant de cette misérable.» -

Je citerai à ce propos une autre anecdote. Un jour qu'il sortait d'un bal, avec M. Rogers, et se dirigeait vers sa voiture, un petit porte-fanal qui marchait devant lui cria: «De ce côté, Milord. – Il paraît vous connaître, dit M. Rogers. – Me connaître! répondit Lord Byron assez tristement; tout le monde me connaît, je suis un être difforme.»

En parlant des honneurs rendus à son génie, j'aurais dû dire qu'il eut, au printems, dans une soirée, celui d'être présenté au prince régent, sur la demande de cet auguste prince lui-même. «Le régent, dit M. Dallas, lui exprima toute son admiration du poème de Childe-Harold, et le reste de la conversation séduisit tellement le poète, que si le prochain lever n'eût été retardé par une cause fortuite, il y a gros à parier qu'on l'eût vu souvent à Carlton-House, où peut-être serait-il devenu courtisan tout-à-fait.»

Après ce sage pronostic, le même écrivain ajoute: «Je fus le voir le matin du jour où le lever devait avoir lieu: je le trouvai en habit de cour complet, avec ses beaux cheveux noirs poudrés, ce qui n'allait point du tout à sa figure. Je fus d'autant plus surpris, qu'il ne m'avait point dit qu'il dût aller à la cour: il me parut qu'il lui semblait nécessaire de justifier son intention, car il me fit observer qu'il ne pouvait guère s'en dispenser décemment, le prince régent lui ayant fait l'honneur de lui dire qu'il espérait bientôt le voir à Carlton-House.»

Il va, dans les deux lettres suivantes, vous raconter lui-même sa présentation.

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 10

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