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LES VIEUX PORTS

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Table des matières

Il serait puéril de s’imaginer un vieux port français avec la physionomie des ports modernes. Dans le monde civilisé qui est notre milieu, notre regard, notre esprit s’habituent à des manières d’être, à des perfectionnements qui sont de notre temps seul. Il n’en a pas été toujours ainsi; il n’y a aucun parallélisme à établir entre la marche de l’art, par exemple, et celle de l’industrie. L’épanouissement de l’art ne présuppose pas le perfectionnement industriel; il ne l’accompagne même pas toujours. L’amour du beau est de tous les temps, comme l’homme lui-même; et quand les moyens matériels ont manqué pour la réalisation du beau extérieur, l’homme a su le retrouver uniquement dans la pensée ou dans la forme du langage. Il est donc facile de rencontrer, à toutes les époques de la civilisation, le beau et la recherche de la perfection dans l’homme, dans son caractère, dans ses pensées, dans son langage; il est possible de retrouver, dans les œuvres matérielles de l’homme, des qualités qui leur donnent la beauté. Mais c’est en vain qu’aux plus hauts points des civilisations égyptienne, grecque ou romaine, on chercherait rien qui approchât de notre industrie moderne, née de la science. Ce développement industriel contemporain est un fait unique dans l’histoire de l’humanité.

Aussi, quand jetant un regard en arrière, nous nous appliquons, par exemple, à découvrir les anciens ports de nos côtes santones ou aunisiennes, il faut que nous fassions table rase de nos impressions modernes. Un port, selon nous, est une vaste étendue d’eau circonscrite par un énorme quai de granit; de ci, de là, des échelles de pierre ou de fer; sur les quais, soigneusement pavés et généralement sillonnés de rails, des bornes de bronze pour amarrer les vaisseaux, des grues à vapeur, des locomotives aux cris stridents, d’énormes coques de métal qui, en quelques heures, vident leurs flancs monstrueux, et sont aussitôt parties que venues.

Rien de semblable dans les siècles écoulés jusqu’à l’époque moderne. Les ports de nos contrées, quoi qu’on ait pu dire, même en y comprenant les havres de l’époque gallo-romaine, ne devaient être que des lieux d’atterrissage. Est-il possible en effet d’admettre que, si le port des Santons, dont le souvenir a été conservé par Ptolémée, eût été entouré de quais importants, il n’en fut pas resté quelque chose? Il n’est pas de petit édicule gallo-romain dont les fondations ne soient demeurées dans nos champs; tous les terrains, marais ou terres hautes conservent religieusement la trace des moindres habitations, et les constructions puissantes du port des Santons, coulées profondément dans la vase, auraient pu disparaître sans laisser quelque trace?... Assurément non. S’il en est ainsi, c’est que les ports de la région, dans l’antiquité et au moyen âge, jusqu’à l’établissement du second port de la Rochelle, n’ont été que des lieux d’atterrissage sans le concours des ouvrages d’art. Et si parfois des murs les entouraient, c’étaient ceux des châteaux ou des tours qui les protégeaient. Quelquefois, dans ces murs, on fichait des anneaux pour amarrer les navires; mais la plupart du temps, les bateaux se tenaient à une certaine distance du bord et se déchargeaient soit au moyen d’une longue planche qui faisait communiquer le navire avec le rivage, soit encore au moyen d’allèges ou de gabares.

Les ports de l’Aunis, au moyen âge, n’étaient donc que des baies rendues plus profondes, soit par des courants côtiers, soit par l’action des cours d’eau qui venaient s’y jeter et qui en maintenaient ainsi la profondeur. Ces ports étaient nombreux, si nous en jugeons par les textes et les souvenirs qui en sont restés. En commençant par le nord, c’étaient Choupeau, Marans, Port-doux près de Villedoux, Esnandes, Le Plomb et Lauzières, La Rochelle, Besselue, Coi-de-Chaux, Les Moulins-Neufs, Sainte-Catherine, La Chenau neuf, Angoulins, le Grand-Port et le Port-punais de Châtelaillon, Yves et Fouras. A l’île de Ré : Ars, Loix, Saint-Martin, La Flotte, Rivedoux et Sainte-Marie.

Aux premiers temps du moyen âge, La Rochelle parait un des points les moins favorisés. Et en effet pourquoi le serait-il? C’est ici le bout du monde. Ce qui maintenant peut paraître un avantage, était alors un inconvénient. Etre à la mer, c’est le rêve de nos jours. Mais où en était le profit à ces époques lointaines? Aux légères embarcations, aux bateaux ronds, mais de faible tirant d’eau, de l’époque gallo-romaine ou des temps qui suivirent, il coûtait peu de pénétrer au loin dans les terres par les rivières, par les lagunes, par les chenaux. La terre, c’était l’abri. Et puis, dans un temps où le transport par terre était autrement difficile que le transport par eau, il y avait bénéfice à faire arriver à l’intérieur les marchandises destinées à ces hautes terres toujours plus peuplées que la côte, et à prendre leurs denrées. Aussi trouve-t-on des ports jusqu’à Luçon, jusqu’à Fontenay, jusqu’à Niort. Dans la Charente, on navigue au loin, depuis Fouras et Pierre-Menue, à l’embouchure, jusqu’à Rochefort, Tonnay-Charente, Tonnay-Boutonne, Saint-Jean-d’Angély, Saint-Savinien-du-Port, Port-d’Envaux, Port-Berteau, Saintes, le Port-Saunier de Cognac. Au pied de la tour de Broue, au fond du golfe de Brouage, on trouve des quilles de bateaux. Et puis encore tous les ports voisins étaient plus favorisés que la Rochelle. A Luçon, Marans, Fontenay, Esnandes, Angoulins, Châtelaillon et Fouras aboutissaient des voies romaines secondaires, devenues plus tard, sous la protection de Charlemagne, les chemins de Charles, de Charlemagne ou les chemins du Roi. A La Rochelle, il semble qu’il n’y ait rien de tout cela; et le document du Xe siècle où il est question du droit de quillage perçu à la Rochelle même, est vraisemblablement apocryphe.

S’étonnera-t-on dès lors que le XIe siècle s’achève sans qu’il soit vraiment question du port de la Rochelle?

Quand trouverons-nous donc les premières traces de cette ville? au XIIe siècle. Nous avons raconté ailleurs les causes et les circonstances de la chute de Châtelaillon, la première ville de l’Aunis, si tant est que l’on puisse donner le nom de ville à ce nid d’aigles ou mieux de vautours, d’où partent l’oppression ou la tyrannie féodales. Nous avons raconté les péripéties de ce drame; le duc d’Aquitaine, comte de Poitou, Guillaume IX, sollicité de rétablir la paix et la justice sur ce coin de territoire, venant bloquer le donjon, et trouvant dans les mariniers de la Rochelle le cercle implacable qui réduira l’assiégé par la famine; puis la mer faisant le reste, et emportant pierre par pierre les restes de celte forteresse quasi imprenable.

Quand nos pauvres mariniers revinrent à leurs chaumières, à leurs escrennes, ils rapportaient dans leurs légères embarcations le germe de leurs libertés, de leur indépendance, de leur gloire future. Ils avaient été à la peine, ils furent à la récompense.

La fée Mélusine fut leur bon génie, comme elle avait été le mauvais génie de Châtelaillon. C’est elle qui, dit-on, préside à l’élévation des tours du port, comme elle a présidé à la destruction du donjon d’Isambert.

Mélusine, c’est Guillaume et sa race, les uns par justice, les autres par affection, ceux-ci par intérêt, ceux-là par nécessité ; Aliénor et Henri II, Richard et Jean-sans-Terre, Othon et Henri III, les rois de France, qui à l’envie les uns des autres, comblèrent La Rochelle de privilèges et de faveurs jusqu’au jour ou l’indépendance des Rochelais devint un obstacle à l’unité française.

Au XIIe siècle, là où s’élevèrent depuis les brillants hôtels, les immenses celliers, les raffineries importantes, s’alignaient au milieu des champs de modestes escrennes, le quartier breton de La Pallice, abri d’une population nomade sans doute: les malheureux, les persécutés, les insoumis, les farouches descendants des Alains, les fiers enfants des Francs blessés par la morgue d’un chef, les restes demi-civilisés des Gallo-romains ayant la tradition des richesses perdues de leurs brillants ancêtres, les Normands fatigués de la vie d’aventures et voulant se faire une nouvelle famille, une nouvelle patrie, les Colliberts enfin, soit que ce terme désigne tous ces déshérités à la fois, soit qu’il indique une race ou une caste à part. Tous ces pauvres gens s’étaient réunis autour d’une petite église de Clunistes, fondée par les moines de l’île d’Aix, Notre-Dame de Cougnes. De là, ils étaient descendus vers le chenal de Lafond, et, se trouvant trop éloignés de leur église, ils demandèrent à en élever une autre, dans un champ, au coin de leur village; c’était Saint-Barthélémy; la cathédrale actuelle (1152). Au pied de ce champ, dans la déclivité d’une vallée exposée à tous les vents, à tous les soleils, Vauclair, dans un chenal creusé alternativement par l’eau de la mer et l’eau de Lafond, c’est là qu’est le port; rien de romain dans ces fontaines qui alimentent la ville; aucune fée, aucune divinité ne parait y avoir été mêlée ni y avoir laissé son nom, comme cela se rencontre si fréquemment près des lieux anciennement habités. C’est une fontaine sans nom, La Fond. Le port est à l’unisson de la fontaine et des escrennes. Quelques bateaux de pèche ou de petit cabotage transportant dans la vallée de la Sèvre, dans celle de la Charente, les sels que produisent les marais exploités par les abbayes de Saint-Jean-d’Angély, de Saint-Maixent, de Saint-Cyprien de Poitiers, et recevant en échange les objets nécessaires à la vie. Mais oui, à la vie! il était en effet difficile de vivre sur ce coin de terre. Les bois n’étaient pas encore totalement défrichés, comme en témoignent les noms qui se sont conservés jusqu’à nous: Bois-Fleuri, Chef-de-Bois, Les Brandes, les Brandettes, Chagnollet....; comme en témoignent aussi les nombreuses têtes des hôtes des bois, sangliers ou cerfs, qui ont été trouvées dans le creusement du port de la Pallice, à la Mare à la Besse.

Aux bateaux des Rochelais, il faut un outillage bien simple; une planche et un pieu sur le bord, quand l’ancre ou la pierre qui en tient lieu, ne suffisent pas.

La délimitation du port nous est connue par un document de cent ans postérieur à l’époque de sa fréquentation; c’était le cours de l’eau qui descend de Lafond, vers le pont Reimbaud (sans doute le pont de Reimbaud, un inconnu de ce temps qui a survécu aux gloires de son époque); puis vers le pont tournis à travers les fossés de La Rochelle jusqu’à la mer, et à travers l’eau qui est appelée la Besse à la Reine, aujourd’hui le canal Verdière. Il s’appuyait du côté de la ville à la fin du XIIe siècle sur le château et sur la muraille, à l’ouest de la place d’Armes actuelle. On y arrivait par la porte Reimbaud au nord, par la porte du Petit-Comte (Aufrédi) au sud. La vignette qui orne le commencement de ce chapitre, est une restitution basée sur les documents. On y voit le donjon aux formes anglaises, le pont Reimbaud et le Châtelet qui défendait le passage.

Le vieux port, comme on le nomme à la fin du XIIe siècle, ne devait pas tarder à devenir insuffisant ou à se combler, par suite de l’envasement, de la marche des galets encombrant l’ouverture de la porte des Deux-Moulins. Ce résultat fut en outre amené par la création en cet endroit par les Templiers des deux moulins à eau qui donnèrent leur nom à la porte.

Au commencement du XIIIe siècle, on fit cependant un effort pour lui rendre la vie.

Par une charte, en date du 4 décembre 1222, Henri III, d’Angleterre, ordonna de faire un port depuis les moulins des Templiers, sis au Parrock, jusqu’au pont Rambaud, et du pont Rambaud jusqu’à son Châtelet hors des murs de La Rochelle. Les historiens de La Rochelle ont longuement disserté sur la situation de ce port. M. Jourdan met le point de départ des moulins des Templiers à l’angle de la Besse-à-la-Reine; nous avons démontré ailleurs que les moulins étaient aux environs du lieu où s’éleva plus tard la tour de la Lanterne et de la porte qui a pris son nom des moulins; le pont Rambaud s’ouvrait au pied de la rue Rambaud, vraisemblablement au niveau de la maison L’Évêque. C’est à l’extrémité du pont ou de la chaussée qui faisait communiquer la ville avec les routes de Laleu et de Nieul, que nous placerons le Châtelet. Ces sortes de défense avaient généralement pour but de protéger les abords d’un pont.

Quelques-uns ont placé ce Châtelet à l’angle des fortifications où s’éleva plus tard le bastion de l’Evangile; à tort bien certainement puisqu’il eût été ainsi sur la même ligne que les deux points précédents, et qu’on n’indique pas une surface au moyen d’une seule ligne; de cette façon, il n’eut pas été d’ailleurs hors des murs de La Rochelle, comme le dit Henri III.

Pour faire la dépense de l’établissement du port, Henri III mettait, à compter de Pâques suivant, un droit sur la navigation, à savoir 5 sous sur les navires portant des marchandises d’une valeur de 20 livres et au-dessus, 12 deniers pour les navires dont la cargaison valait moins. Cette aide était établie pour deux années; la direction des travaux et la perception des droits étaient confiées au connétable du Châtelet et à deux prud’hommes nommés par les Rochelais.

Il y a lieu de douter, a-t-on dit, que ce port ait reçu un commencement d’exécution; d’abord, parce que, ni les annalistes, ni les vieux titres n’en font mention; ensuite parce que le temps aura manqué pour conduire à fin une entreprise aussi considérable, le siège de La Rochelle par Louis VIII ayant commencé dix-huit mois après la date de la charte d’Henri III, et guère plus d’un an après l’époque fixée pour la perception de l’impôt.

Aux approches de la guerre, on se contenta sans doute d’élargir et de creuser le lit du cours d’eau de Lafond, et c’est peut-être à ce travail que fait allusion Nicolas de Braïa, dans son poème en l’honneur de Louis VIII, quand, en parlant des préparatifs de défense faits par les Rochelais, il s’exprime ainsi: «la terre est enlevée, des fossés sont creusés, les places sont entourées de palissades..... »

Les Rochelais, en fait, ne devaient pas être très soucieux d’obéir à Henri III, d’abord à cause de l’aide de 5 sols et de 12 deniers qui pouvait nuire à leur commerce; en second lieu, parce que, mieux que le monarque anglais, ils savaient par expérience que le cordon de galets menaçait l’ouverture de ce port à la mer. Cette résistance leur valut une seconde lettre du 8 avril 1223, dans laquelle Henri III invoque l’intérêt des Rochelais, pour la création de ce port, non pas seulement au point de vue de la navigation, mais parce qu’il servira de défense à la ville. Nous voici bien d’accord avec Nicolas de Braïa, et les travaux furent certainement commencés. Nous en trouvons une autre preuve dans une concession d’une partie de la Besse-à-la-Reine, faite en 1250, à trois commerçants. Girard Vendier, Guillaume et Giraud Arbert reçoivent à cens des Templiers, tout ce que ceux-ci possèdent devant les murs de la ville jusqu’aux «bacious», baisses ou bassins (?) qui sont de l’autre côté du chenal des Deux-Moulins, avec faculté d’exploiter ce cours d’eau comme ils l’entendront, pour le chargement elle déchargement des grands et des petits vaisseaux, s’interdisant de fermer à l’avenir les portes du chenal des Deux-Moulins.

BATEAU DU XIe SIÈCLE


La Rochelle et ses ports

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