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LE PORT D’ALIÉNOR D’AQUITAINE
ОглавлениеC’est le nom que nous donnons au second port de La Rochelle, celui qui succéde au vieux port et qui commence en effet à s’ouvrir au XIIe siècle, et non au XIVe, comme l’ont prétendu à tort quelques historiens mal renseignés.
Au fur et à mesure que la population s’augmente, on couvre le coteau d’habitations, et comme la mer se retire, c’est vers elle qu’on descend. Des atterrissements s’étaient formés de chaque côté des eaux de la vallée de Périgny; l’un devint l’île du Perrot, l’autre l’ile Saint-Nicolas. Au milieu s’ouvrait une baie très favorable à la navigation; on se réunit autour d’elle. Les puissantes sociétés du Temple et des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem avaient d’ailleurs compris toute l’importance de cette situation et s’étaient fait donner le plus de terrain possible aux abords de cette baie. C’était, en fait, une admirable situation. Ce port à l’entrée étroite, par suite à l’abri des coups de main, s’ouvrait sur une baie, également fermée, sorte d’avant-port immense limité par les pointes de Chef-de-Bois et de Coureilles, et couvrait ainsi tout ce qui a disparu sous le Marais perdu, la gare et le nouveau bassin à flot.
Une autre raison motive aussi la translation du havre en cet endroit. Un port est une source de revenus; il y a des droits de toutes sortes perçus par les seigneurs dominants et dont l’origine remonte au lise romain. Or La Rochelle se trouve dans une situation particulière; confisquée aux Châtelaillon par Guillaume, conservée aux comtes de Poitiers et aux rois d’Angleterre par Aliénor d’Aquitaine, qui régularise l’usurpation, en donnant Benon en échange, elle est bornée tout autour par les terres des seigneurs; à l’ouest par la terre de Laleu qui vient longer le vieux port, au sud par la baronnie de Châtelaillon, dont les assises se tiennent à la porte Saint-Nicolas, au nord-est par la baronnie de Pauléon, qui tient les siennes dans le cimetière de Cougnes. Le vieux port de La Rochelle se trouve donc limitrophe des terres des seigneurs qui peuvent avoir un droit sur les navires. Encore au XIIIe siècle, on perçoit en effet à La Rochelle un impôt qui porte le nom des Mauléon, héritiers des Châtelaillon. Sur le nouveau port, au contraire, toutes les rives sont terres du comte qui y a droit à la totalité des revenus. Il y a donc une raison fiscale de substituer le nouveau à l’ancien.
La situation du nouveau port était acquise pour de longues années. Voyons donc quelle fut sa physionomie pendant les siècles qui précédèrent les temps modernes.
On y distinguait d’abord deux parties, le port et le havre. Le port, c’est ce que nous appelons aujourd’hui la baie, où stationnent un grand nombre de navires, se chargeant ou se déchargeant au moyen d’allèges. Beaucoup de vaisseaux préfèrent, pour plusieurs motifs, s’arrêter à l’extérieur des murs; leur mouillage est meilleur et ils n’ont pas à craindre l’encombrement du havre; ils sont dispensés de décharger leurs armes ou leur artillerie, meubles habituels et presque indispensables, des navigateurs des siècles derniers; s’ils sont sujets aux coutumes, ils n’ont à payer ni droits de chaîne, ni droits de quais, et enfin ils ne sont pas exposés aux coups de force dont les menacent les fortifications et les tours de la ville, à une époque où l’on ne sait jamais si c’est la paix ou la guerre, ou si la foi des traités sera respectée.
Ce que nous appelons actuellement le port, se nommait le havre. On y distinguait plusieurs parties: la grande rive qui s’étendait de la tour de la chaîne au pont Saint-Sauveur construit par Isambert, écolâtre de Saintes, vers 1200; la petite rive, depuis le pont Saint-Sauveur jusqu’à la tour Saint-Nicolas.
Quand toutes les rives furent occupées par le commerce, le côté de la rue du Temple d’abord, le faubourg Saint-Jean ensuite, puis le faubourg Saint-Nicolas, le havre eut une physionomie toute particulière; il était entouré d’une ceinture de murailles crénelées, flanquées de tourelles, percées de portes de distance en distance; devant s’étendait la rive, aux terres soutenues par des pilotis et des palplanches, interrompues par des cales descendant droit à la mer. Le quai Duperré se trouvait le plus rapproché de la ville; quand on a fait les travaux de reconstruction de l’hôtel des Douanes, c’est au cœur même de l’édifice qu’on a retrouvé l’ancienne armature du port. Par contre le quai qui correspond au cours des Dames et qui était occupé alors par le groupe de maisons de la Bourcerie, s’avançait beaucoup plus dans la mer.
Les aménagements du port ne se firent pas d’ailleurs d’un seul coup. Les premières fortifications séparèrent la rue Chef-de-Ville et la rue du Temple du port et du canal Verdière (Besse à la Reine); elles remontent à la fin du XIIe et au commencement du XIIIe siècle. Puis Jean-sans-Terre entoura l’île du Perrot.
La première clôture du faubourg Saint-Nicolas est également de cette époque, 1205. En cette année, nous dit un chroniqueur, «les sieurs maire, eschevins, conseillers et pers de la ville de la Rochelle, commancèrent à faire rencloure le faubourg de Saint-Nicolas du costé de la Moulynette (porte Saint-Nicolas) et y faire faire des tours et machecoulys despuys la porte de Maubec (vis à vis le chevet de Saint-Sauveur) tyrant vers Saint-Nicolas, le tout aux despans de la dicte ville. Et furent contraints, les saulniers de Tasdon et lieux circonvoysins de venir, avec leurs ferremans, travailler à rechercher les fondemans dedans les maroys; et leur fust ordonné à chacun, deux poictevins par jour; et y assistoient, par chascun jour, quatre, tant de la maison de ville, que bourgeoys et habitans pour faire mieux dilligenter lesd. saulnyers, et autres ouvryers tant cherpantyers que massons. Et est à notter que les murs et fondemans furent posez et assis sur de gros paux fichez dans le bris avec de grosses traverses de boys y enlacées. Et fust employée led. an, la somme de six mille escus de Jean des denyers du commun et fust octroyée sur les tailles la somme de deux mille écus pour la continuation desd. fortifications.»
Ces fortifications, dans l’esprit de Jean-sans-Terre, avaient été élevées contre le roi de France, Philippe-Auguste, qui s’avançait vers la Touraine; les évènements firent qu’elles servirent surtout contre le roi d’Angleterre.
Cette muraille commençait à l’angle extérieur de l’église, à la porte Saint-Nicolas, porte qui devait s’appuyer de l’autre côté sur le rivage de la mer; elle suivait ensuite la rue du Duc jusqu’à la hauteur du cours Ladauge, et de là se reliait au chenal de Maubec en obliquant vers le pont de Maubec qu’elle rejoignait, en face de la rue de la Ferté qui tirait son nom (Finnitas) d’un groupe important de fortifications. Au cours des travaux d’élargissement du canal Maubec (1882), on a retrouvé en ce point, vis-à-vis la rue de la Ferté, l’angle même de la fortification refaite sans doute au XVIe siècle, et reposant sur une meule de moulin que nous avons fait transporter au Musée. C’est là en effet qu’étaient placés les sept moulins qui, au XVIe siècle, avaient donné leur nom au quai.
Mais si la petite rue et le faubourg Saint-Nicolas étaient défendus du côté de l’est, ils ne l’étaient guère du côté de la mer et du port; aussi construisit-on, à la fin du même siècle ou au commencement du suivant au plus tard, un second mur qui partant du pont Saint-Sauveur, œuvre d’Isambert, vers 1200, rejoignait la tour qui fait encore l’angle du quai Valin, et suivait la façade des maisons du quai Valin jusqu’au point où le mur pouvait s’amorcer avec les constructions de la porte Saint-Nicolas.
Le chroniqueur Bruneau nous apprend que ces murs d’enceinte se trouvèrent, un siècle plus tard, insuffisants, en présence des perfectionnements apportés dans l’attaque et la défense des places, et que les murs furent exhaussés aux frais des habitants de la Rochelle, qui contribuèrent généreusement de leurs deniers à cette dépense. C’est de cette époque que datent les mâchicoulis dont ils furent couronnés.
A la fin du même siècle, on compléta enfin ce système de défense. Un mur fut construit qui renfermait les lagunes de la petite rive et s’étendait de la porte Saint-Nicolas au goulet, ne laissant plus aucune partie du port exposée aux attaques de l’extérieur. Ce dernier travail fut exécuté avec les ruines du château de Vauclair qu’en 1373, le roi Charles V autorisa à y employer. On y travailla avec une telle ardeur, dit le chroniqueur Baudouin, que le mur fut en état de défense en 1376. La tour Saint-Nicolas était aussi achevée de construire en 1384.
De la ville et des faubourgs, on pénétrait sur la rive au moyen de portes ménagées dans la muraille; trois étaient ouvertes sur le quai ouest, dont une placée vers l’entrée de la Verdière était nommée la porte de Fer. Sur le quai nord, il y avait les portes des deux rues du Port, plus loin celle de la Poterie, au coin du quai Maubec. Sur la petite rive, les deux portes Cunare ou des Canards et de la Vérité.
L’enceinte, tout en conservant sa force, fut bientôt envahie par le commerce. En dehors comme en dedans, on se servait du mur pour y appuyer des constructions. Il n’y avait pas alors de Génie militaire pour en dégager les abords. Cette habitude n’était pas seulement tolérée, mais encouragée. Nous en trouvons une preuve dans ceci qu’en 1588, on considère comme un embellissement le fait d’avoir construit des maisons et des boutiques au long du cavalier de Saint-Nicolas, sur la place qui porte aujourd’hui ce nom.
Mais il n’y a pas d’usage sans abus, et l’envahissement n’eut pas de limites.
En plus des maisons appuyées aux murs d’enceinte, des échoppes et des auvents, une partie des rives était couverte de constructions en bois qui portaient le nom de chais, et qui, comme de grands hangars, couvraient les quais eux-mêmes. Nous avons cherché à prouver ailleurs que le mot cayum employé dans de vieux documents rochelais, devait être traduit par quai et non par chai, synonyme de cellier. Nous serons ici encore plus précis dans nos explications, en déterminant l’origine exacte de ce mot de chai, usuel aujourd’hui dans les Charentes, dans le sens de cellier. Le mot cayum, chai, était un terme spécial qui servait à désigner les magasins en bois établis sur les rives et les cales, et destinés à mettre les marchandises momentanément à l’abri. Ce qui prouve absolument la spécialité de ce terme, c’est que dans tous les documents originaux des XVe, XVIe siècles et du commencement du XVIIe siècle, on désigne invariablement par l’expression de celliers tous les magasins destinés aux vins et aux autres marchandises, qui sont placés dans l’intérieur de la ville ou dans les propriétés rurales. Le chai, au contraire, est le magasin de la rive.
Or les riverains, au lieu de se contenter de créer seulement un abri et de laisser ces hangars ouverts aux marchandises, les avaient occupés, divisés, cloisonnés et en avaient définitivement accaparé la possession. Quelques maisons s’étaient même avancées jusqu’à la mer, aux abords de la tour de la Chaîne et ailleurs.
Ce qui facilitait encore l’accaparement, par les particuliers, des chais et de la rive, c’était l’autorisation, que les bourgeois avaient obtenue sous la réserve de certaines charges, de percer les murs d’enceinte de portes et de fenêtres. On en avait fait de véritables ruches d’abeilles, et le mur de ville ne devenait souvent plus qu’un mur de refend d’une maison particulière.
Les concessionnaires de ces droits d’ouverture étaient d’ailleurs soumis à des réglements. Les fenêtres devaient être grillées, les portes de bois couvertes de fer (arrêt du 26 avril 1536); les portes ne pouvaient être ouvertes et ne devaient être fermées qu’à l’heure où les portes de ville s’ouvraient et se fermaient (1407). A propos d’une affaire particulière, en 1583, la cour de l’échevinage déclare que «tous les habitants de telles maisons et chaix, à peine de punition corporelle (seront tenus) de fermer la porte desdites maisons et chaix regardant sur le havre de ladite ville aussitôt après le saing de la porte sonné et que l’on ferme les portes de lad. ville, sachant que telles portes sont réputées portes de ville, et pareillement ne les ouvrir du matin que led. seing de la porte ne soit sonné.»
Il arriva même, en 1467, que par crainte des ducs de Bretagne, on fit complètement fermer et murer les portes des quais et des maisons. Mais l’échevinage obtint la suppression de cette mesure. Le même fait se produisit en 1567. Sainte-Hermine craignant les troupes de Montluc fit murer toutes les fenêtres et la plupart des portes qui étaient sur le havre du côté de la grande rive, celle de la chaîne, la porte de fer, les deux portes de la poissonnerie et le coy neuf (Verdière); du côté de la petite rive, la porte de Vérité, Cunare et le pont de Maubec. Ceci ne fut d’ailleurs que momentané.
A cette tolérance, l’échevinage trouvait un avantage, celui de mettre toutes les réparations du mur d’enceinte à la charge des particuliers.
En présence de tous ces accaparements, l’échevinage était obligé de rappeler quelquefois les propriétaires au respect du droit du public; les contrats particuliers servaient même d’occasion à cette intervention du pouvoir.
Mais ce système de laisser à des particuliers la charge de l’entretien et de l’amélioration d’un établissement public, était déplorable. On peut dire que le port était dans un état peu favorable à la navigation. Comme nous l’avons vu, à l’exception de quelques cales dont les rebords étaient en pierre, les rives n’étaient soutenues que par des fascinages de gros pieux plantés debout; les rives, jusqu’au XVe siècle, n’étaient abordables qu’aux petits bateaux et aux gabarres de moulinette dont le nom s’expliquera dans un prochain chapitre.
Les riverains curaient le port devant leurs quais; mieux que cela, ils curaient même tout ou partie du port, mais seulement pour satisfaire aux nécessités de leur commerce particulier. Un jour, André Morisson, échevin de la Rochelle, veut faire réparer un navire. Il n’y a, pour ce faire, qu’une sorte de chenal qui s’étend de la petite rive à la Grave, aux lieux où se trouve maintenant le bassin à flot; et alors Morisson fait curer lui-même le chenal. Voici, dans son intégrité, ce contrat de Morisson qui peint bien la part qu’avait alors l’initiative privée.
«Morisson, ses bessons. Personnellement establis Reynier Danjou, demourant en Aytré, Jehan Fouchier, et Jehan Bureau, demourant à Salles en Aulnis, et Méry Urjault, demeurant en Perrot, en la ville de la Rochelle, tous bessons, lesqueulx et chacun d’iceulx, ont fait marché avec sire André Morisson, échevin de la Rochelle, ad ce présent, stippulant et acceptant, qui ont promis, les dessus nommez, aud. Morisson, chacun pour soy et ung pour le tout, de luy croiser, netoyer, gester et oster terre, fange et aultres choses, de la cricque ou forme de la petite rive de La Rochelle jà encommancé à netoyer, pour y mectre et asseoir led. navire dud. Morisson, nommé l’Ysabeau, estant en la chaîne de lad. Rochelle. Et ce netoyé et croisé bien, profond et convenablement, comme il appartient au drois de Loys Hautin, maistre et pilotte de lad. navire et autres galfaicteurs et gens ad ce y congnoissans, dedans quinze jours prochain venans, et ce, pour et moyennant le prix et somme de 17 livres 10 sols tournois, pour toutes choses que led. Morisson a promis leur payer et bailler en faisant lad. besoigne et parfin, en payant la besoigne parachevée. Et entreront le bateau estant en lad. cricque de la voye dudict. Et ad ce faire, ils ont obligés, etc. Fait et passé en La Rochelle, en présence de Myet et Maixant Ollier, maistres, le quart jour de may 1537. A. Doulcet, notaire.»
Le travail fut exécuté, et on lit en marge: «Tracé (ce qui veut dire biffé) du consentement dud. Morisson et bessons, le 16e jour de juin 1537.»
L’expression de forme employée ici pourrait induire en erreur et laisser croire qu’il existait réellement une forme de radoub. Il ne faut pas trop se fier aux apparences, et, s’il est vrai, qu’à l’occasion on se servait de la crique de la petite rive pour y réparer les navires, il est apparent que les propriétaires de navires étaient obligés de faire les frais de l’appropriation de la fosse provisoire.
«Le mot fourme, nous dit en effet Jal, était employé pour désigner le lieu de retraite où les navires se plaçaient pour faire leur débarquement ou leur déchargement, longtemps avant que l’on songeât à bâtir des formes ou bassins de radoub ou de construction. »
Et encore: «Au XVIIe siècle, avant que les formes ou bassins en maçonnerie fussent établis dans tous les arsenaux maritimes et en assez grand nombre pour subvenir aux besoins des radoubs, on faisait des fosses où les navires pouvaient être introduits, et d’où la mer les emportait.»
C’est de cette façon que la crique de la petite rive était utilisée. Le soin d’organiser l’outillage du port était laissé à la seule initiative privée. Si l’on en croit un document peu précis et à caractère traditionnel de la Chambre de commerce, un sieur Le Gan aurait imaginé de faire construire des baraques roulantes, contenant tous les objets nécessaires au radoub des vaisseaux. Le Gan les promenait de place en place, les mettant à la disposition des propriétaires, de telle sorte que l’emplacement où il se tenait le plus habituellement, aurait pris le nom de Place Le Gan, qu’il avait encore au XVIIIe siècle.
Cet état de choses, cette substitution de l’initiative privée à l’intervention du pouvoir, devait cesser. L’échevinage s’émut de cette situation, et à la fin du XVe siècle, nous le voyons préoccupé des moyens d’améliorer le port. La première question à résoudre, — elle est de tous les temps, — était de trouver de l’argent.
En 1490, l’Echevinage mit de côté une certaine somme pour former un fonds destiné au rachat des loges, vases, quais et places près de la grande rive. Dès 1492, au moyen de ces ressources, on construisit le quai qui s’étendait du pont Saint-Sauveur à la hauteur de la porte de la Poterie. C’est celui que notre plan du XVIIIe siècle représente comme éboulé.
La fabrique Saint-Sauveur obtint, à cette occasion, l’autorisation de fermer une arche sur laquelle se trouvait la chapelle de Saint-Michel, de faire tailler sur le quai les pierres de son portail, et d’établir des cales et des boucles de fer pour l’amarrage des navires.
En 1509, on refait de pierres de taille les quais situés près de la Traite.
Puis en 1542, et à grands frais, on approprie la partie du quai qui se trouve vis-à-vis la place de la Chaîne, sur la grande rive, tout proche de la tour, pour y faire accoster les vaisseaux et leur permettre le déchargement direct. C’est, sur le plan du XVIIIe siècle, la partie de quai comprise entre la tour de la Chaîne et la rue qui conduit aux Carmes. Cette facilité donnée aux navires occasionna en faveur de l’échevinage un droit plus élevé que n’en donnait auparavant le déchargement par gabares et bateaux; les cales d’ailleurs avaient dû être réparées dans toute l’étendue du port, des boucles mises et les vases enlevées vis-à-vis des quais.
Au moment de la mise en ferme des quais, et à la date du 15 avril 1542, le Conseil de l’échevinage arrêta un règlement de la rive et le montant des droits à percevoir. Les bourgeois résidant à La Rochelle retrouvaient là, comme en tout, le privilège si appréciable de ne rien payer, et étaient exempts des droits, sauf dans un cas que nous signalerons.
En 1559, on employa les fonds disponibles à la reconstruction du quai depuis la Traite jusqu’à la porte de Pierre Emond, en se dirigeant vers la Chaîne.
Les quais arrivaient ainsi à se refaire et à se compléter. Le 24 juillet 1596 intervint une délibération de l’échevinage qui rappelait que l’on avait été obligé de soutenir une lutte contre l’envahissement et l’accaparement des cales et des quais par les propriétaires des maisons qui avaient obtenu de pénétrer sur le port, au travers du mur de ville; qu’il n’y avait plus nulle place pour le mouvement des marchandises appartenant à d’autres qu’à ces possesseurs; que les riverains eussent à ne pas oublier que depuis la Traite jusqu’à la rue de la Poterie, les chais qui bordent la rive, sont destinés à recevoir les marchandises apportées du dehors; que les cloisons qui les coupent doivent être supprimées, et la circulation rétablie pour les traîneurs et crocheteurs, avec leurs chevaux à bâts et leurs traînes, aussi bien que pour les passants. Ces chais avaient été d’ailleurs envahis par des échoppes, des boutiques, des auvents (ostevents); tout ceci doit être supprimé.
Ces sortes de docks constituaient sur le quai Duperré actuel un premier rang de hangars susceptibles d’être isolés des maisons, d’immenses halles où les marchandises ne devaient pas séjourner plus de trois marées. La vente au détail y était également interdite à l’exception de la morue «jusqu’à concurrence d’un quarteron au minimum.»
Les propriétaires sont tenus de tolérer cet usage commun, sous peine d’amende, ou à peine de la privation de leurs droits de bourgeoisie, s’ils sont bourgeois.
Mais comme, en fait, il ne s’agit que de propriété quasi privée, de même qu’en ce qui concerne les cales, les propriétaires auront la liberté d’en tirer profit, en se conformant à un tarif arrêté par l’échevinage. A ces conditions seulement, et aux charges de l’entretien des cales et des quais, les riverains échapperont à l’amende et à l’intervention de l’échevinage.
Il ne faut pas confondre ces grands hangars avec les halles qu’Alfonse de Poitiers, frère de Saint-Louis, avait voulu installer à La Rochelle; sortes de docks où le commerce aurait été obligé de déposer toutes les marchandises mises en vente, moyennant un droit au profit du comte. Ces halles occupaient vraisemblablement la place de la Bourcerie, qui en aura conservé le nom, et se composaient d’un bâtiment complet avec cour et communs, dont la toiture, soutenue par des colonnes, était couverte en ardoise. Appuyées au sud sur le mur de ville qu’on avait élevé pour le mettre à la hauteur de l’édifice, et qu’on avait percé de fenêtres, elles avaient leur pignon du côté de la ville. Neuf fenêtres, sans doute fermées, les éclairaient du côté de la mer; six autres fenêtres à coulisses s’ouvraient dans les murs latéraux.
Cet établissement avait été fait, vers 1261, sur les conseils du sénéchal de Saintonge, Jean de Sours; il n’eut pas de succès. Les Rochelais affectèrent sans doute de ne pas vouloir s’y rendre. On ne trouvait même pas à les affermer. Jean de Sours, pour leur donner la vogue, parlait d’obliger les Rochelais à y transporter le Poids. Alfonse fut plus pratique que son sénéchal; il céda aux sollicitations des Rochelais, qui obtinrent, en 1267, la suppression des halles, mais qui payèrent cette suppression l’énorme somme de 6000 livres (environ sept cent vingt mille francs de notre monnaie); on s’engageait en outre à percer trois rues sur leur emplacement; deux d’entre elles étaient: la petite rue des Carmes et la rue du Vieux-Bureau qui allaient alors de la rive à cette partie de la rue Saint-Jean devenue aujourd’hui le cours des Dames.
Le port n’en était pas moins fort gêné par cette succession de cales et d’établissements privés, chacun avec sa forme et sa dimension particulière, s’avançant sur la rive, coupant les quais comme une espèce de crémaillères, et ne laissant presque plus d’espace aux charrettes et aux traîneaux. On s’efforça d’y remédier; en 1671, une ordonnance de l’intendant Colbert du Terron prescrivait à chaque propriétaire de cales de les remplir dans la quinzaine, de les mettre à la hauteur et au niveau du quai; celui-ci serait pavé, et muni de grues de déchargement. Cette dernière disposition était logique; les concessionnaires ou amodiataires des rives étant substitués au roi ou à la commune, devaient en conséquence supporter les charges des améliorations correspondant aux bénéfices qu’ils retiraient de leur situation. Nous croyons que l’ordonnance ne fut pas strictement exécutée, car les plans du XVIIIe siècle n’indiquent encore aucun changement dans les dispositions de la rive; dans un devis de réparations du quai de la petite rive pour le duc de Saint-Simon, le maintien des cales, en cette partie du port, est d’ailleurs expressément décidé.
Dans les pages qui précèdent, il a été question presque toujours de la totalité du port. Il y avait cependant dans cet établissement deux parties bien distinctes, la grande et la petite rive. On a vu en quoi consistait chacune de ces parties. Il n’y a guère rien de plus à dire sur la grande rive; mais voici quelques aperçus particuliers en ce qui concerne la petite rive.
La petite rive se composait de deux parties, de deux terre-pleins séparés par une sorte de chenal aboutissant, par l’une de ses extrémités, au havre, par l’autre à la herse Saint-Nicolas, mais qui plus tard se termina en cul-de-sac de ce dernier côté. La portion de la rive la plus rapprochée de la ville s’appelait proprement petite rive; l’autre, au pied de la tour Saint-Nicolas et du Gabut empruntait son nom, «La Grave», à la nature du sol, un amoncellement de graviers. Au commencement du XVIe siècle ni l’une ni l’autre de ces parties n’était pavée; on y ramassait des galets de mer.
La petite rive, dans son entier, appartenait originairement aux suzerains: les comtes de Poitou, d’abord, le roi ensuite. Charles VI en fit l’abandon aux Rochelais, en 1436, à charge d’une redevance de deux marcs d’argent, dans une tasse également d’argent, martelée au fond, verrée ou dorée au bord.
La rive était soutenue, comme les autres parties du port, au moyen d’un pilotis. En 1564, on se décide à faire un premier aménagement des quais. Vingt-cinq brasses de quais sont construites avec leurs cales à partir du pont Saint-Sauveur.
En 1578, on donne à rente la place de la petite rive à divers particuliers pour y bâtir, et les maisons couvrent bientôt l’espace de terrain occupé aujourd’hui par le square Marchegay et une partie du bassin à flot intérieur.
Quant à la rive elle-même, elle demeure en grande partie à la ville, puis est confisquée par le roi, en 1628, et donnée ensuite au duc de Saint-Simon.
A une époque que nous ne pouvons préciser, les quais de cette partie de rivage, jusqu’à l’étier, furent construits en pierre; la restauration commencée en 1596 fut continuée. Ces murs étaient assez vieux, en 1661, pour qu’une reprise en fut jugée nécessaire. Mais, en 1682, c’était bien pis, ils étaient fort dégradés et beaucoup de pierres de parements étaient tombées dans le bassin. Le travail fut effectué aux dépens du duc de Saint-Simon. Une disposition des cales est à noter; les vaisseaux et les barques battus par la mer en dégradaient les angles; pour éviter cet inconvénient, on jugea nécessaire de faire aux angles des feuillures de six pouces au cané pour loger des bois de chêne de pareille grosseur, de toute la hauteur du quai, et on fixa chacun de ces bois, dans les feuillures, au moyen de six bandes de fer. Le devis dressé par Michel Duplessy, ingénieur du roi, s’élevait à 468 livres, et le travail fut exécuté d’août à septembre 1682.
Quant à la Grave, elle se composait d’une sorte d’île circonscrite par les étiers, le mur du Gabut et la mer, telle qu’on la voit encore représentée sur le plan du XVIIIe siècle que nous publions. Elle n’avait de communication avec la petite rive qu’au moyen d’une chaussée consolidée avec des pieux et des planches. Ce système de parapet en pilotis était la seule défense qui empêchât le sol de la Grave de s’ébouler dans la mer; l’entretien en était difficile et au XVIIIe siècle le tout était en bien triste état. Quant aux étiers, ils se composaient de trois parties: 1° la fosse aux mâts, où l’on faisait flotter les bois destinés aux mâtures; elle se fermait au moyen d’une écluse qui permettait, à volonté, de la remplir ou de la vider; — 2° la grande carène; — 3°la petite carène. Sur la place de la grande carène se trouvaient deux corps-morts qui servaient à renverser les vaisseaux en carène Jusqu’à la suppression des étiers et à l’acquisition des terrains destinés au bassin à flot (1777), l’outillage et le profit du carénage des vaisseaux y compris l’usage des bassins à carènes, étaient entre les mains de particuliers qui en avaient obtenu la concession.
C’était aux environs des étiers que les compagnies du Nord et de Guinée avaient fixé leurs établissements.
Après cette exposition détaillée de toutes les améliorations ou transformations du port du XIIe au XVIIIe siècle, on peut se demander quelle physionomie il pouvait avoir. La gravure qui fait la tête de notre chapitre, en donne une idée très nette, pour le moyen âge. On peut induire aussi cette physionomie, des règlements que nous avons indiqués ou publiés, et aussi d’un règlement de 1676 qui vise justement la police du port et la place affectée à chacun.
Voici quelques unes des dispositions de ce document. Les grands navires devaient être amarrés avant et arrière et debout à cale, si bien qu’au XVIIIe siècle, les maisons qui encombraient les abords de la grande rive, vers la tour de la Chaîne, furent condamnées à disparaître, les beaupérs allant frapper les façades.
Tous les grands vaisseaux devaient se placer du côté de la grande rive, depuis la Chaîne jusqu’au quai de la Poterie, et, du côté de la petite rive, depuis la première cale jusqu’aux abords de l’étier. Le quai de la grande rive, depuis le pont Saint-Sauveur jusqu’au Poids-le-Roy, c’est-à-dire la Douane actuelle, pouvait recevoir les petits bateaux et les barques chargées de bois de-chauffage, de denrées ou de comestibles. D’autres navires restaient au milieu du port, amarrés sur des corps-morts et des anneaux flottants.