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V

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Michel Campi vient d’en finir avec la vie; c’est très regrettable, étant donné le bel usage qu’il en faisait.

Je ne songe nullement, je vous prie de le croire, à me jeter dans d’agréables plaisanteries sur le compte de ce malheureux qui, au surplus, ne doit plus rien à personne et a reçu son solde de tout compte. J’estime, dans une certaine mesure, que, s’il est beau de ne pas faire de dettes, il est peut-être encore plus beau de payer celles qu’on a faites. Cependant, ce n’est pas le cas, et il est clair que l’infortuné M. Ducros de Sixt vient de recouvrer une créance dont il se serait bien passé.

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Ces petites fêtes font le bonheur du journalisme parisien. C’est tout de suite trois colonnes de remplies et, comme de juste, une jolie simplification de travail pour le secrétaire de rédaction.

J’ai profité de l’occasion pour en avoir une bonne fois le cœur net et savoir définitivement à quoi m’en tenir sur le compte des journaux qui cultivent le reportage et ont eu cette barcque idée de l’installer sur une grande échelle. Je me suis donc livré à un travail de compulsation que j’oserai qualifier de gigantesque, et j’ai l’honneur de soumettre aujourd’hui à la déception du public le brillant résultat auquel je suis parvenu.

Voici, en effet, dépouillé de tout artifice, le résumé des comptes rendus offerts hier en pâture à la curiosité, par les trois journaux les mieux informés de Paris. Je ne les nommerai naturellement pas, ne voulant faire de chagrin à personne, confiant du reste en la clairvoyance des Parisiens qui veulent bien me lire.

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Le journal l’Ours blanc le journal l’Ours brun, le journal l’Ours noir s’expriment tous trois de la manière qui suit:

L’EXÉCUTION DE CAMPI

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On sait que le système spécial d’informations dont il jouit, constitue à l’Ours blanc (l’Ours noir, l’Ours brun; le lecteur fera les variantes) une incontestable supériorité sur tous ses autres confrères de la presse. Le moment étant venu de le prouver une fois de plus, nous avons tenu à honneur de nous affirmer une fois de plus, et de nous tenir à la hauteur de notre universelle réputation. L’exécution du mystérieux assassin de la rue du Regard a eu lieu ce matin dans les circonstances les plus émotionnantes, et nous en donnons ci-dessous le récit aussi détaillé que saisissant. Nous croyons inutile d’en garantir, la main sur la conscience, la minutieuse exactitude.

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VERSION DE L’ “OURS BRUN”

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La nouvelle a été connue, hier, dans la matinée, et c’est après son déjeuner que M. Deibler. l’exécuteur des hautes-œuvres, s’est rendu au cabinet de M. le procureur général, où il a reçu l’ordre d’exécution.

M. le procureur général connaissait depuis longtemps la détermination bien arrêtée du président de la République, et, depuis une semaine déjà, attendait de jour en jour, le retour du dossier.

Informés les premiers, nous avons immédiatement envoyé nos meilleurs reporters à l’endroit où devait avoir lieu l’exécution.

Une foule considérable avait envahi, dès huit heures, toute la place de la Roquette, et nous avons eu toutes les peines du monde à parvenir jusqu’au lieu du supplice, où les bois de justice avaient été apportés au commencement de la soirée.

Une petite pluie, fine, pénétrante, tombait du ciel chargé de nuages, glaçant les assistants et les membres de la presse. (Les membres de la presse sont, en effet, aussi accessibles à l’humidité que le commun des mortels. C’est triste, mais c’est comme ça.) A quatre heures l’aumônier de la prison, le vénérable abbé Moreau, a pénétré dans la cellule du condamné, accompagné de M. Beauquesne, directeur de la Roquette, de M. Baron, commissaire de police, etc., etc.

Campi dormait profondément, comme un homme que les veilles successives ont brisé de fatigue, et on a dû l’appeler et le secouer plusieurs fois avant de pouvoir l’éveiller. M. Beauquesne lui a alors appris la triste mission dont il était chargé, et le condamné est demeuré quelques instants immobile, comme frappé de stupeur. Il a fallu l’aider à descendre de son lit, lui passer ses chaussettes aux pieds, et l’habiller comme un enfant. Le malheureux était inerte.

Il s’est entretenu dix minutes environ avec l’aumônier, et, ceci fait, il s’est mis en chemin comme un homme ivre, soutenu sous les bras par les aides du bourreau. Il a embrassé le crucifix qui lui a été placé de force sur les lèvres. Un instant après, la justice des hommes était satisfaite.

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VERSION DE L’“ OURS BLANC”

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La nouvelle de l’exécution de Campi n’a été connue que fort tard, et le procureur général en a été stupéfait, ayant été informé, par son système spécial d’informations, que le président de la République était déterminé à grâcier le coupable.

Informés les premiers... (et cœtera,voir plus haut).

Sur la place, quelques personnes se promènent, et nous parvenons facilement jusqu’à l’emplacement réservé à la guillotine. On était convaincu de toutes parts que le condamné ne serait pas exécuté, en sorte que peu de curieux ont pris la peine de se déranger.

A trois heures du matin seulement, les fourgons de M. Deibler apportent les bois de justice, et la guillotine est silencieusement montée, sous la clarté resplendissante de la lune, qui, au milieu d’un ciel pur et serein, éclaire le visage des membres de la presse. (Les membres de la presse sont en effet visibles à l’œil nu aussitôt qu’il y a clair de lune.)

A quatre heures et quart, M. Beauquesne, directeur de la Roquette, invite M. l’abbé Moreau, le vénérable aumônier, à l’accompagner dans la prison de Campi que le moment est venu d’éveiller, mais le pauvre prêtre est tellement ému qu’il s’y refuse et préfère se tenir à l’écart en ce moment pénible.

Campi dormait, mais d’un sommeil tellement léger (le sommeil d’un homme que la pensée de la mort assiège nuit et jour) qu’il s’éveilla au premier appel.

A la nouvelle de son supplice, il s’est borné à dire: “C’est bien.» Il a sauté de son lit, a mis lui-même ses chaussettes et passé son pantalon.

Il s’est refusé à se confesser. Il a seulement bu un verre de vin blanc, après quoi il s’est mis en chemin lui-même, s’est dirigé vers la guillotine et s’est placé de lui-même sur la bascule.

Un instant après.., (et cœtera).

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VERSION DE L’ “OURS NOIR”

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La nouvelle de l’exécution de Campi est parvenue hier, dans le courant de la journée, à M. le procureur général, lequel ignorait complètement, d’ailleurs, la décision que songeait à prendre le président de la République.

Informés les premiers... (et cœtera).

Sur la place, un public exclusivement composé de journalistes et de membres de la préfecture, assistent à la montée de l’instrument de supplice, qui n’est apporté que fort tard par les fourgons de M. Deibler et est construit en quelques minutes.

Le ciel est alternativement très clair et très nuageux, et cette particularité défraie les conversations de tous les membres de la presse.

(Les membres de la presse ont cela de très curieux, qu’ils causent volontiers de la pluie et du beau temps.)

A quatre heures et demie, l’aumônier de la Roquette, M. Beauquesne, directeur, M. Baron, commissaire de police, etc., pénètrent solennellement dans la cellule du condamné: Campi ne dormait pas; comme un homme dont le cauchemar continuel de la mort entretient les veilles sans relâche.

En apprenant la triste nouvelle, il est sorti lentement de son lit et a commencé de s’habiller.

Plusieurs de nos confrères ont tenté d’insinuer, les uns, qu’on lui avait passé ses chaussettes aux pieds, les autres, qu’il les avait prises et les avait mises lui-même. Rien n’est plus faux, Campi ne portait plus de chaussettes depuis le commencement de son incarcération, mais seulement des chaussons de lisière.

Il est demeuré seul un instant avec M. l’abbé Moreau et il lui a posé diverses questions sur le public qui venait assister à son supplice et aussi sur l’heure qu’il était; après quoi, il a été pris sous le bras par le bourreau et il a quitté sa cellule.

Un instant après... (et cœtera).

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J’ignore quelle impression a pu causer sur le public la lecture de ces différents récits, aussi scrupuleusement exacts les uns que les autres.

Pour mon compte, c’est extrêmement simple, et je suis aujourd’hui convaincu que l’assassin de la rue du Regard, dont j’ai vu de mes propres yeux tomber la tête ensanglantée, vit paisiblement de ses rentes dans un petit coin de province, en priant Dieu de lui prêter vie.

Les chroniques de Georges Courteline dans

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