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VI

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S. M. la reine Maharu, satisfaite de l’accueil qu’elle rencontre chez nous et trouvant, au point de vue des distractions, la capitale de la France supérieure à la capitale de Taïti (je comprends ça), aurait décidé, paraît-il, de s’octroyer une prolongation de congé.

J’en suis heureux autant que fier.

A moins d’être bien difficile, en effet, on ne peut qu’être flatté de posséder dans ses murs une Majesté qui vous fume votre tabac.

*

Je sais donc le meilleur gré à mon gouvernement de rester aujourd’hui, à l’égard de cette étrangère, fidèle aux traditions de notre vieille galanterie; mais où je cesse de comprendre, c’est quand on me dit que la reine Maharu voyage chez nous incognito et sous le nom de Mme Salmon.

Comment! voilà une brave dame qu’on bourre littéralement de plaisirs et d’honneurs, qu’on pilote successivement de l’Ecole des Jeunes Aveugles à l’Ecole des Sourds-Muets, en passant par tous les hôpitaux de Paris; qu’on initie, dans la loge présidentielle, à nos petites batailles parlementaires, et à laquelle on fait un service de choix aux représentations de gala des Bouffes-du-Nord, et cette dame, c’est tout simplement Mme Salmon, une quarteronne qui vient voir nos monuments!

C’est exactement comme si l’empereur de Russie venait en tournée à Paris, et, casque en tête, cuirassé d’or, chaussé de bottes invraisemblables, ainsi qu’il est représenté sur les couvercles de boîtes à cirage, se faisait annoncer aux soirées de l’Elysée sous le nom de M. Bertrand.

L’incognito de la reine Maharu est-le plus beau jour de ma vie.

Tout de même, c’est une souveraine qui peut se vanter d’être favorisée: le temps, qui a été ignoble jusqu’ici, tourne au beau fixe tout exprès pour elle, et .juste elle arrive à Paris au même moment que l’homme à la tête de veau.

C’est de la veine où je ne m’y connais pas.

*

Et au fait, pendant que nous y sommes, si nous en disions quelques mots, de l’homme à la tête de veau.

Le héros du jour, messieurs, l’homme à la mode s’il en fût! Il emplit la presse de son nom, défraye toutes les conversations et trouble l’âme des v... ierges des Folies-Bergère, qui lui ont voué, par anticipation, une affection toute maternelle.

Il paraît que ce brave garçon a l’intention de vendre sa tête.

Pas à un tripier.

Non, la Faculté de médecine de Paris songerait à la lui acheter pour en jouir quand il sera mort, et la conserver dans l’huile jusqu’à la consommation dés siècles. Et le phénomène aurait accepté l’offre. Franchement, le journal du matin qui lui prête cette intention, aurait mieux fait de lui prêter une autre tête.

Mais ne faisons pas de plaisanterie sur le compte de ce malheureux qui est plus à plaindre qu’à blâmer et auquel, à tout prendre, nous devons de la reconnaissance. Pourquoi pas? Paris s’attristait, tournait à la mélancolie: la crise commerciale que nous traversons, la conversion du cinq pour cent, les représentations de Smilis, toutes ces choses avaient porté une cruelle atteinte à notre vieille et traditionnelle gaieté: arrive l’homme à la Tête de veau, et tout de suite voilà les visages qui s’épanouissent, le rire éteint qui reparaît, la blague qui reprend le dessus.

Car nous avons cela de bon, que nous ne sommes pas difficiles à amuser, et que, chez nous, certaines plaisanteries ne s’usent jamais.

Certains mots qui ont égayé nos ancêtres pendant plusieurs générations, auront le don d’égayer encore plusieurs générations de nos petits neveux.

La Tète de veau est de ces mots-là.

On a pu penser un moment que le “ Chinois” aurait le même sort, mais on comptait sans les bienfaits de la civilisation qui ont enlevé à l’expression sa saveur et son pittoresque, et l’appellation de Chinois, après avoir fait tordre de rire toute la génération de1862, comme le constate Noriac dans le Journal d’un Flâneur, est aujourd’hui tombée dans un discrédit complet. A peine a-t-elle conservé un dernier prestige aux yeux de quelques professeurs de septième. Et encore c’est l’exception.

*

J’ai cité le Journal d’un Flâneur, un des ouvrages les plus charmants et les plus personnels du pauvre Jules Noriac. Calmann-Lévy vient de lui donner un pendant par la publication posthume de Paris tel qu’il est.

Rien de triste comme ces éclats de rire derrière lesquels il y a un mort.

Voilà près de quinze mois que Noriac est enterré et je sens encore sur ma main la pression à peine sensible de cette main qu’on ne pouvait plus serrer sans faire pousser des hurlements à ce mourant qui agonisa plus de deux années; j’ai sous les yeux cette tète autrefois si charmante et disparue tout entière dans l’ignominie repoussante de la plaie; j’entends cette voix devenant de plus en plus insaisissable à mesure que les dents, les unes après les autres, tombaient avec la gencive.

C’est dans cet état que Noriac, en pleine possession de son esprit et demeuré au milieu de son supplice le bavard éblouissant du café de Suède, continuait à faire des mots et à conter ses souvenirs charmants de boulevardier, aux rares fidèles de la maison.

Voici l’histoire qu’il me conta, quelques journées avant sa mort.

*

Ayant sur beaucoup d’hommes sa génération cette supériorité d’avoir aimé les vers et sur beaucoup de poètes d’aujourd’hui cette supériorité de n’en avoir jamais fait, il avait voué à Théophile Gautier une admiration sans bornés, et un beau jour, avec ce besoin d’expansion particulier aux jeunes gens,–Jules Noriac, à cette époque, n’était encore que Jules Cayron,–il éprouva la besoin d’exprimer au poète le culte qu’il professait pour lui. Il se mit à l’œuvre, sua, trima, accoucha laborieusement d’une lettre bourrée d’épithètes sonores et de protestations de toutes les couleurs, et jeta le tout à la poste avec cette simple suscription, qui lui parut le dernier mot de la flatterie et du bon goût:

A THÉOPHILE GAUTIER
Auteur d’Albertus!

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Puis il attendit: rien ne vint.

A quelques jours de là, muni d’une lettre d’entrée, il alla chez Arsène Houssaye, qui l’invita à déjeuner.

–Mais... dit Noriac.

–Pourquoi pas? Justement, j’aurai Gautier: vous ferez connaissance à table.

Ce mot acheva de dissiper les hésitations de Noriac.

Dix minutes après, arrivée de Gautier: présentations; on se met à table.

–Au fait, dit Gautier brusquement, il vient de m’en arriver une bonne! Figurez-vou s qu’il y a huit jours, je suis éveillé à six heures par un coup de sonnette effroyable. Furieux, je saute de mon lit, je cours ouvrir, je trouve le facteur!

–Une lettre chargée, dit Houssaye.

–C’est la première idée qui me vient, et, naturellement ça me calme un peu. Je prends le pli, et qu’est-ce que je vois? Une grande imbécile d’enveloppe, bête comme une oie, portant pour toute adresse: «A Théophile Gautier, auteur d’Albertus!» Vous pensez ma stupéfaction. «Ah ça, dis-je à l’homme des postes, comment savez-vous que cela est pour moi? Vous êtes donc un facteur littéraire?» Cet animal me répond: “Oui!» Ce que je l’ai flanqué dans l’escalier, lui et sa lettre, je n’ai pas besoin de vous le dire! Quant à l’auteur de cette inepte flatterie, je l’engage à ne jamais se déclarer. Peut-on voir une brute pareille!

Noriac ne se déclara pas.

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