Читать книгу Mademoiselle Flammette - Georges Thurner - Страница 12

FLAMMETTE!

Оглавление

Vers midi, Raymond revint au logis. En sa qualité d’étudiant en droit, il s’était chargé des recherches à faire au sujet de la famille de l’enfant et des rapports à avoir avec les autorités.

Marcel le guettait.

— Eh bien? lui demanda-t-il aussitôt. Que sais-tu?

— D’abord, comment va la petite?

— Toujours de même. Le docteur nous quitte à l’instant, la fièvre suit son cours.

— Serait-il possible de la transporter?

— La transporter?

— Oui.

— Nous ferions une folie. Quelle question!

— Je te la pose, parce que le magistrat, auquel je me suis adressé, me l’a posée, il y a une heure.

— Non seulement, reprit Marcel, il est impossible de la transporter; mais il nous faut encore attendre quinze jours avant d’être fixés sur l’issue de sa maladie.

— Quinze jours

— Le docteur n’en répond pas avant.

— Pauvre petite!

Mais Marcel était impatient de connaître le résultat de l’enquête sur la famille.

— Et maintenant, dis-moi ce que tu sais.

— Je ne sais absolument rien. Il est fort probable que nous n’en saurons pas davantage, avant que l’enfant soit en état de nous parler.

— Comment?

— Les seuls indices que je possède sont les suivants: cette petite était avec son père, depuis deux jours, à Montréal. Elle avait perdu sa mère, il y a très peu de temps.

— Où cela?

— Je l’ignore.

— Mais d’où venaient-ils?

— Les uns prétendent d’Ottawa, les autres de Québec, à moins que ce ne soit d’ailleurs.

— Mais leurs noms, au moins, quels sont-ils?

— Je ne les connais pas davantage.

Profondément étonné, Marcel lui dit:

— Ils ont dû pourtant être inscrits sur les registres de l’hôtel?

— Sûrement.

— Alors?

— Mais il ne reste plus trace des registres. Tout a été brûlé.

— Enfin, quelqu’un a dû les lire, ces noms, les écrire.

— En effet, et je crois que ce fut le patron de l’hôtel, car il se chargeait de toute la comptabilité.

— Eh bien? Il faut lui demander.

Raymond, d’un ton grave, répondit:

— Cet homme ne peut plus rien nous apprendre.

— Pourquoi?

— Il est devenu fou.

Raymond fit à Marcel, dans ses moindres détails, le récit de sa matinée. Son premier soin avait été de s’assurer de l’état civil de l’enfant. Il espérait obtenir du patron de l’hôtel les renseignements nécessaires, lorsqu’on lui apprit que le pauvre homme, accablé par la catastrophe qui le ruinait, avait perdu la raison. On avait dû l’interner aussitôt.


Marcel avait peine à rassembler ses idées.

— Alors, cette petite?

— Alors, à moins d’un hasard, nous sommes destinés à ne connaître d’elle que ce qu’elle pourra nous dire.

— C’est épouvantable!

L’heure du repas approchait; Hugues et Frédéric firent leur apparition.

— Elle est un peu plus calme, dit Frédéric. Nous pouvons déjeuner promptement, afin de laisser à madame Doris la liberté de son après-midi.

Cependant, Charlemagne manquait à l’appel. Tous commençaient à pester contre le retardataire, lorsqu’ils aperçurent le bon gaillard, au visage épanoui, arrivant à grandes enjambées.

— Le ciel me pardonne! s’écria Raymond. Il apporte notre table!

C’était bien la table qu’il apportait. Il s’était mis, dès la première heure, à battre les marchands de meubles et les brocanteurs pour en trouver une et, l’ayant enfin découverte, il l’avait chargée, sans plus de façons, sur ses épaules.

— J’ai tenu parole, dit-il en se débarrassant de son fardeau. Je vous avais promis une table, une belle table en chêne... la voici.

Puis, songeant tout de suite à leur unique souci:

— Comment va notre petite?

— Toujours de même, répondit Marcel. Nous en parlerons à table, puisque maintenant, grâce à toi, table il y a.

Les jeunes gens s’installèrent rapidement et se racontèrent les événements. Raymond prit la parole et leur fit part de ses vaines recherches. Ce fut une consternation générale.

— Nous sommes obligés, conclut Marcel, d’attendre la fin de sa fièvre, pour quelle puisse nous fixer elle-même.

— Et jusque-là, remarqua Charlemagne, nous ne saurons comment la nommer. Ce qui me contrarie le plus, c’est de parler d’elle en l’appelant «la petite» ou «l’enfant», comme on dirait «Chose» ou «Machin».

— Baptisons-la!

L’idée, que venait d’émettre Hugues, leur sourit à tous. Ils cherchèrent aussitôt, sans parvenir à se mettre d’accord.

Le soir seulement, quand Raymond revint avec une bonne, qu’il avait engagée sur les conseils de madame Doris. l’incident fut définitivement tranché. Au lieu de dire, ainsi que d’habitude: «Comment va la petite?» Raymond demanda spontanément à Frédéric: «Comment va Flammette?»

Le nom était trouvé.

Oui, cet être consumé par la fièvre était bien une petite flamme. Elle était brûlante, la peau sèche, les regards ardents. Combien rares étaient les minutes de repos, succédant à de véritables crises, toujours accompagnées de délire! Pourtant elle était docile, ne se refusant plus à prendre les remèdes, ayant moins de force pour résister aux mains, qui voulaient la guérir.

Flammette! Ce mot leur rappelait les circonstances tragiques, qui l’avaient mise dans leur existence.

Ils ne pensaient qu’à elle maintenant, attendant avec anxiété l’opinion du docteur et guettant sur la physionomie de Frédéric ses ombres d’inquiétude ou ses lueurs d’espérance. Ils n’avaient plus qu’une crainte: voir brûler de ses derniers feux cette pauvre petite flamme, destinée peut-être à s’éteindre doucement, trop frêle pour supporter la tempête, qui la bouleversait.

La nouvelle bonne, Marie, était une brave femme, qui, parmi la foule, avait assisté au dévouement des jeunes gens. Aussi, lorsqu’elle sut que madame Doris l’envoyait chez ces héros, ce lui fut une grande joie. Son âme, simple et sèche de nature, s’était attendrie et émue à cet inoubliable spectacle. Elle considérait Marcel avec respect et admiration; quant à Charlemagne, il lui inspirait presque des sentiments religieux. Tout de suite, elle comprit ce qu’on attendait d’elle et son aide silencieuse leur fut d’un secours précieux.

La maison prenait un ton particulier, qui se régularisait. Chaque matin, madame Doris, qui se dispensait de veiller depuis l’arrivée de Marie, faisait son entrée. Elle prenait sa place au chevet de Flammette pour ne la quitter que le soir, lorsque son timide époux venait la chercher. A dix heures, visite du docteur Berner. A midi, déjeuner. Vers quatre heures, nouvelle visite du docteur, puis, le soir, le dîner. Telle était leur journée, coupée par les allées et venues des cinq jeunes gens. Raymond avait recommencé ses cours de droit et Hugues poursuivait ses travaux d’économie politique, en même temps qu’il donnait des leçons de littérature à quelques Canadiens. Charlemagne avait repris sa place dans la grande entreprise des bois du Saint-Laurent, et Marcel, plus à l’aise, se donnait encore quelque liberté. Frédéric ne quittait pas Flammette, la veillant nuit et jour.

La maison se trouvait donc organisée et la vie de chacun semblait avoir repris son cours ordinaire. Cependant, tous étaient animés par le même sentiment, tous avaient la même pensée, accélérant leurs pas, lorsqu’ils étaient éloignés, étreignant leurs cœurs, lorsqu’ils étaient là : Ils avaient beau être cinq grands gaillards; ils avaient beau recevoir les visites de monsieur et madame Doris ainsi que du docteur; ils avaient beau avoir une servante, le plus profond silence régnait dans leur demeure.

Les journées se succédaient avec des alternatives de fièvre intense et d’abattement.

Flammette était toujours secouée par le même délire, sans qu’il fût possible de comprendre les paroles incohérentes qu’elle proférait.

Les pauvres garçons, pleins d’angoisse, désespéraient de voir arriver la quinzième journée.


Le docteur n’affirmait pas le salut. Hochant la tête, il disait:

— Tempérament solide évidemment, mais très nerveux, très impressionnable et éprouvé au dernier degré. Ces forces-là sont souvent les meilleures dans de semblables crises, à moins que l’excessive tension, qu’elles ont à subir, ne les brise tout à coup.

Au sujet de son identité, la même obscurité continuait à régner. Le consul de France, mis au courant, s’était chargé de toutes les recherches. Il attendait, avec hâte, lui aussi, la convalescence de Flammette pour être enfin fixé sur son nom.

Dès que cela avait été possible, les fouilles avaient commencé dans l’hôtel incendié ; mais tout ce qui concernait la petite enfant avait été complètement détruit. Le corps de son père, retrouvé en un lamentable état, fut enterré au cimetière de Montréal. Marcel, Charlemagne, Hugues et Raymond l’accompagnèrent, se sentant liés à cet inconnu par la malade qu’ils veillaient.

Au huitième jour, le délire cessa pour faire place à une torpeur absolue. Le docteur Berner en éprouva quelque inquiétude, craignant que les nerfs, après avoir donné tout leur effort, ne fussent arrivés à leur dernière extrémité.

Pauvre petite!... Sa tète inerte tombait de côté et d’autre sur l’oreiller, sans avoir la force de se soutenir. Pendant vingt-quatre heures, il en fut ainsi. Marcel eut même, en rentrant à la maison, une violente émotion. Au moment où il pénétrait dans la chambre de Flammette, il ne trouva personne à son chevet. La flamme vacillante d’une bougie éclairait son petit visage de cire. La voyant dans son lit si droite, si menue, si immobile, il eut une impression terrible et s’agenouilla au seuil de la chambre, étouffant un sanglot. Frédéric, rentrant dans la pièce, le trouva dans cette posture, de grosses larmes roulant sur ses joues. Pris de peur, il s’élança et colla son oreille contre la poitrine de la petite: les battements du cœur se faisaient toujours entendre. très faibles, très faibles, mais elle vivait.

Cette nouvelle secousse ébranla tout à fait Marcel. Sans aucune honte, il tomba dans les bras de son ami et se mit à sangloter.

Le soir, la fièvre reprit, accompagnée de délire, et ne cessa de croître jusqu’au quinzième jour. Le terme assigné par le docteur arrivait enfin. Ils allaient être fixés. Le brave médecin les prévint le matin: «Aujourd’hui, tout va se décider. Si la fièvre redouble et qu’aucune détente ne se produise, vous devez abandonner tout espoir. Si, au contraire, le délire cesse, elle est sauvée.»


Madame Doris, arrivant quelques minutes après la consultation, fut mise au courant. Elle sentit ses jambes se dérober, en pensant que cette journée allait décider la vie ou la mort de leur Flammette. Elle aussi, depuis quinze jours qu’elle s’était installée auprès de cette enfant, combattant le mal pied à pied, luttant contre la fièvre, elle aussi s’était attachée à Flammette. L’irruption de cette petite avait orienté la vie de la brave dame, autant que celle des jeunes gens, vers un but nouveau.

Toute la matinée, la fièvre fut très forte. Ils n’osaient se regarder, ni se parler, croyant que le malheur allait les frapper définitivement. Cependant, à midi, une légère détente se produisit. Frédéric descendit précipitamment l’annoncer à ses quatre amis, qui se tenaient en bas.

— Ne nous réjouissons pas trop vite, leur dit-il. mais commençons à prendre confiance.

Cette amélioration se poursuivit jusque dans l’après-midi, sans pourtant apporter un véritable espoir de guérison. A quatre heures, le gros événement survint. Pendant que madame Doris prenait quelque repos dans la pièce voisine, Charlemagne veillait. L’heure étant venue de faire prendre à Flammette sa potion, notre garde-malade lui souleva doucement la tête, approchant la petite cuiller de ses lèvres. Flammette ouvrit alors ses grands yeux. Ce n’était plus son regard de fièvre, ce regard d’un autre monde, ne se posant sur personne, qui semblait attiré vers l’au-delà ; c’était un regard très doux, tendre et reconnaissant. Charlemagne en fut frappé. Lorsqu’il eut fait absorber à la malade sa potion, il lui reposa la tête sur l’oreiller avec les mêmes précautions.

Flammette dit alors d’une voix très faible:

— Merci, papa.

A ces mots, Charlemagne se redressa. N’était-il pas le jouet de quelque hallucination?

L’enfant le regardait toujours en souriant. Très ému, il se mit à trembler à un tel point qu’il renversa bouteille et potion.

— Maladroit! dit Flammette.

Cette fois, il avait entendu, il était bien sûr. Il avait vu ses lèvres remuer. Elle l’avait appelé maladroit, parce qu’il avait brisé la bouteille: donc, elle voyait, elle reconnaissait, elle était sauvée!.. Flammette, fatiguée, ferma les yeux et s’endormit.

D’un bond, Charlemagne fut en bas.

La voix étranglée, les paroles entrecoupées, avec de grands gestes, il leur fit le récit de la scène. Sauvée! Elle était sauvée! Frédéric se précipita et constata que la fièvre était tombée, pour faire place à un sommeil réparateur.

A cette nouvelle, madame Doris sentit ses yeux s’humecter.

— Chacun son tour, madame Doris, lui dit joyeusement Marcel. J’ai déjà payé mon tribut.

Ces quatorze journées d’anxiété, succédant à ces événements dramatiques, les avaient tous étrangement bouleversés. Ils avaient vécu machinalement dans l’attente d’un irréparable dénouement.

Maintenant, ils renaissaient; l’espoir leur était permis: ils avaient doublement sauvé Flammette.

Charlemagne était particulièrement ému. Jamais il n’avait éprouvé un choc aussi violent que devant la résurrection de leur malade. Et c’était à lui, qu’elle avait dit ce mot «papa».

Ils apprirent l’heureuse issue au docteur Berner. Celui-ci leur recommanda d’agir avec la plus grande circonspection.

— Évitez toute fatigue, ne faites pas travailler son cerveau. La voilà hors de danger. Il faut songer maintenant qu’elle va entrer en convalescence.

Huit jours passèrent... Flammette parlait à peine; mais elle connaissait tous ses amis et savait très bien leurs noms. Toute souriante, tout heureuse, elle n’avait encore posé une seule question sur les siens. Ils redoutaient tous le moment où, la mémoire lui revenant, elle leur parlerait de son père, de l’accident. Que lui répondraient-ils?... Comment lui cacher la vérité ?.. Cependant le consul désirait être fixé à son égard et le docteur fut chargé de l’interroger.

Aux premiers mots, l’enfant le regarda d’un air étonné, sans comprendre. Il insista, tenta de la faire parler: ce fut peine perdue. Elle ne se souvenait de rien. Lorsqu’il lui demanda son nom, elle répondit en souriant:

— Flammette!

Le docteur fit part au consul de ce nouvel événement: l’absence totale de tout souvenir chez la petite. Dans ces conditions on ne pouvait plus compter que sur le hasard.

Très embarrassé, le consul demanda aux jeunes gens ce qu’ils comptaient faire de l’enfant, quand elle serait complètement remise. Leur désir à tous était de l’adopter.

— Oh! Oh! dit le consul. Vous allez trop loin!... Vous ignorez les difficultés de l’adoption. Non seulement les effets en sont très délicats, mais les conditions vous en seraient impossibles. Il est, en effet, exigé que l’adoptant ait cinquante ans d’âge et quinze ans de plus que l’adopté, qu’il ait fourni à l’adopté ses soins et secours pendant six ans, etc., etc. De plus, l’enfant ne peut être adoptée que par une seule personne.

Nos pauvres amis écoutaient, consternés, ce défilé de conditions. Le consul s’apitoya devant leurs mines désolées et leur proposa un moyen terme, qu’ils acceptèrent immédiatement. Dès le lendemain, ils furent réunis avec le docteur et monsieur Doris, en conseil de famille. Un quasi-contrat, en bonne et due forme, fut lu et approuvé, aux termes duquel Marcel et Charlemagne étaient institués l’un tuteur et l’autre subrogé-tuteur.

A leur retour, ils apprirent à madame Doris ces nouvelles dispositions.

Flammette, les voyant radieux, voulut se faire expliquer la cause de leur joie.

— Chut! lui dit Marcel. On vous le dira plus tard. Mademoiselle, lorsque vous aurez fait vos premiers pas.

Et tous cinq, si différents de goûts et de nature, considérèrent avec le même regard de protection et de tendresse «leur fille».


Mademoiselle Flammette

Подняться наверх