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MONTRÉAL

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La convalescence se fit lentement. Les progrès étaient si minimes que les jeunes gens désespéraient de voir leur petite sur pied. Enfin, cette fameuse journée arriva: ce fut une grande fête dans toute la maison, lorsque mademoiselle Flammette put rester debout pendant deux heures.

Pas un mot ne lui avait été dit sur son passé. Elle n’avait, du reste, aucun étonnement de se trouver dans cette maison, au milieu d’eux.

Son esprit était encore trop affaibli pour soutenir un raisonnement ou une discussion.

Chaque matin, madame Doris venait s’installer auprès de sa petite-fille.

— Ah! Voilà grand’mère, disait Flammette, en la voyant entrer.

Et grand’mère l’embrassait tendrement, s’asseyait auprès d’elle, se faisait raconter les menus faits écoulés depuis la veille, et prenait soin de réveiller son intelligence assoupie.

Un jour, Flammette semblait rêveuse, ne répondant que brièvement à madame Doris. Les sourcils froncés, le regard fixe, tout, dans sa physionomie, dénotait sa pensée troublée.

Légèrement inquiète, madame Doris lui demanda:

— A quoi songes-tu, petite?

Flammette releva vivement la tête et répondit d’une voix vague:

— A rien, grand’mère.

Madame Doris insista.

— Tu ne dis pas la vérité. A quoi songes-tu?

— Hé bien! dit l’enfant brusquement, il y a des choses, dans mon existence, que je ne comprends pas.

— Ah!

— Je cherche à me rappeler et n’y parviens pas. Il y a un grand vide dans mon cerveau; mais je sens bien que je ne sais pas tout.

— Oui, ma petite, il y a autre chose dans ta vie. Tu as raison; mais ne cherche pas à te rappeler, ni à comprendre. Tu te fatiguerais sans y parvenir. Plus tard, lorsque tu seras une grande personne, très valide, nous te dirons tout ce que nous savons.

Cette promesse rassura Flammette. Elle ne songea plus à demander d’autres détails, attendant patiemment d’être jugée assez forte pour pouvoir tout apprendre.

Le temps s’adoucissant, il lui fut permis de se risquer dehors. Escortée de ses cinq amis, elle fit avec prudence quelques sorties dans Montréal.

Cette saison de fin de mars, qui allait faire disparaître la neige et forcer le froid hiver à faire place au radieux printemps, est de grande importance au Canada. C’est le moment où va recommencer la navigation fluviale, interrompue depuis quatre mois, le fleuve, gelé dans toute sa largeur, bloquant les navires dans le port.

Flammette put assister superbe au spectacle de la débâcle des eaux. Elle vit le Saint-Laurent jaillir avec fureur, hors de sa prison de glace, qu’il brise et morcelle, et reprendre son cours majestueux, entraînant à la dérive les derniers débris de sa geôle.

LE SAINT-LAURENT: AMONCELLEMENT DE LA GLACE AU PRINTEMPS


Ce fut la première sortie importante de la petite convalescente, à qui le docteur Berner ne tarda pas à délivrer un certificat de bonne santé.

D’accord avec madame Doris, les jeunes gens décidèrent de ne plus lui cacher la vérité. Hugues (l’orateur) fut chargé de raconter à l’enfant les circonstances dramatiques pendant lesquelles on l’avait trouvée. Il le fit avec tact et ménagement. La pauvre petite l’écouta, très émue, les yeux pleins de larmes.

Quand il eut achevé, elle éclata en sanglots nerveux, remerciant ses protecteurs de leur dévouement et de leur bonté.

— On n’aurait rien dû lui dire, répétait Charlemagne désolé.

Le lendemain, ils la conduisirent au cimetière, où elle put prier sur la tombe de son père.

Mais le récit de ces événements, à jamais inoubliables pour eux tous, n’avait pas ranimé les souvenirs de l’enfant.

Il fallait renoncer à rien apprendre d’elle.

Flammette elle était, Flammette elle resterait. Ils n’en avaient qu’un demi-chagrin, étant assurés désormais qu’elle ne les quitterait pas et que leur vie s’organiserait définitivement, autant pour le présent que pour l’avenir, autour d’elle.

Peu à peu, elle joua un certain rôle dans leur intérieur. Marie l’initiait aux soins du ménage. Madame Doris lui apprenait les difficultés et Les ressources de l’achat. Tous les deux jours, Charlemagne conduisait Flammette chez l’excellente dame, puis elles s’en allaient toutes deux faire leurs emplettes dans le grand marché de Montréal. Chaque fois, Flammette ne manquait pas d’en admirer la toiture d’étain, dans laquelle se reflétaient les éclats du soleil. Chaque fois, madame Doris lui racontait que Montréal était appelé, à ce propos, la ville d’argent; puis elle lui contait, tout en bavardant, l’histoire du Canada, dont elle était fière d’être l’enfant.

D’ailleurs, l’instruction de Flammette promettait de n’être pas négligée. Tous les cinq s’occupaient d’elle. Marcel lui enseignait l’histoire: il lui faisait revivre les anciens temps avec toute sa verve érudite et laissait l’enfant sous le charme de ces évocations.

Elle apprenait en même temps la géographie du Canada et de la France. Paris et Montréal, Québec et Bordeaux, Rouen et Ottawa étaient pour elle des villes semblables, qu’elle devait autant chérir. Elle mettait un grand intérêt, une passion même, à bien connaître sa mère patrie.


Hugues lui donnait des leçons de littérature, l’intéressant par des lectures graduées des grands maîtres. Avec Frédéric, elle passait a l’étude des sciences. Là, son esprit était un peu plus rétif. Le professeur était obligé d’user de ruses pour captiver son attention, toujours prête à se dissiper. Elle s’appliquait cependant de toutes ses forces à ne pas déplaire à son maître. Ce n’était pas toujours commode et, bien souvent, devant le tableau noir, son nez se baissait, ses yeux clignotaient. Une impatience la prenait, lui donnant envie de tout planter là, pour courir et gambader pendant cinq minutes. Mais elle résistait courageusement.

Aussi, quelle joie lorsqu’elle avait réussi un problème! Elle battait des mains et courait l’annoncer à toute la maison.

Raymond et Charlemagne s’étaient inclinés devant les mérites supérieurs de leurs camarades. Toutefois ils contribuaient, chacun de leur côté, a l’éducation de Flammette. Raymond, en qualité d’artiste, lui inculquait les principes du dessin. Charlemagne, taciturne de caractère, s’était toujours complu avec la nature. Il était passionné des plantes, en connaissait les variétés, les classifications, réservant sa tendresse pour de modestes fleurs. Le soin d’enseigner à Flammette la botanique lui était échu. Une fois par semaine, tous trois partaient en excursion. Ils escaladaient le mont Royal, faisaient halte, lorsque la fatigue était suffisante, et se mettaient au travail. Raymond sortait la boite de dessin et donnait des leçons pratiques de perspective, pendant que Charlemagne préparait les éléments de son cours de botanique. Ce grand garçon si timide, si embarrassé pour prendre la parole, incapable de terminer ses phrases, rougissant quand il lui fallait élever la voix, devenait subitement éloquent, dès qu’il parlait de ses fleurs. Toute gène disparaissait. Il trouvait, alors, des expressions hardies, des accents imprévus, des termes pittoresques. Ce taciturne devenait un poète. Oh! Les bonnes causeries qu’ils firent tous trois, dans la campagne. Certes, c’était bien la leçon préférée de Flammette. Les trois autres professeurs n’en étaient pas jaloux, comprenant l’influence de la nature en ces sortes d’études.

Que de fois ils firent l’excursion de ce mont Royal! Ils aimaient s’installer sur la terrasse, qui le domine, et admirer le superbe panorama, qui se déroulait devant eux.

La magnifique cité s’étendait à leurs pieds, avec la multitude de ses flèches et de ses clochers, qui lui avait vain le surnom de «ville des églises». Cathédrales, hôpitaux, collèges, tous les édifices surgissaient. Des deux tours de Notre-Dame au gigantesque hôtel Windsor ou bien du dôme de Saint-Pierre à la gare du Grand Trunk. la vue n’embrassait que maisons, larges avenues. hautes cheminées fumantes, qui dénotaient la richesse, l’importance et l’activité de l’industrieuse métropole.


Au delà, dans toute sa splendeur, coule le Saint-Laurent aux larges bords, aux îles innombrables.

Le fleuve, que le pont Victoria, comme un mince ruban noir, traverse sur une largeur de plus de 3 kilomètres. se couvre de navires de toutes dimensions, qui témoignent, par leur nombre et leur valeur, que Montréal est bien la tête de la navigation de l’Océan.

Ce fut sur ce mont Royal, tout garni de jardins et de cottages, qu’ils passèrent leurs meilleures journées. Le printemps, puis l’été s’écoulèrent ainsi, sans amener aucun changement notable dans leur existence, et l’hiver recommença, avec toute sa période de jeux et de fêtes, dont ils profitèrent plus que l’année précédente.


Flammette apprit à connaître les sensations du toboggan, complétant ainsi son éducation de Canadienne. Le toboggan est une simple planche de bois de frêne, très mince et recourbée à une de ses extrémités. Ils maintenaient solidement Flammette entre eux et se laissaient glisser sur une pente rapide, sorte de montagne russe, préparée sur les flancs du mont Royal.

Chaudement enveloppée, Flammelte aspirait en souriant l’air qui lui caressait le visage. Cette course éperdue, cette fuite silencieuse et vertigineuse, lui faisaient bondir le cœur d’allégresse.

Puis arriva la merveilleuse féerie du carnaval. Cette semaine d’enchantement, et de fêtes devait être pour elle un inoubliable, souvenir. Son enthousiasme ne connut pas de bornes, lorsqu’elle put voir, dominant Montréal, un superbe palais de glace élevé en l’espace de quelques jours et qui semblait être la demeure d’une fée radieuse.


Au fond, rien n’était plus simple que la construction de ce gigantesque monument. Le Saint-Laurent, gelé sur une épaisseur d’un mètre, en avait fourni les matériaux.

Les machines attaquaient la glace, la sciant et la découpant en cubes réguliers, que les ouvriers n’avaient plus qu’à placer les uns sur les autres. Huit jours après, était édifié, avec ses tours, ses créneaux, ses dômes, ses minarets, le palais enchanté.

Le soir, l’électricité l’illuminait et le rendait fantastique. Flammette croyait vivre un rêve miraculeux. Ses yeux éblouis ne se lassaient pas de l’admirable spectacle produit par cette ville flamboyante, sillonnée de tous côtés par des milliers de torches et surmontée de sa prodigieuse forteresse.

Pour la seconde fois, Flammette vit la débâcle des eaux du Saint-Laurent et, pour la seconde fois, l’été la retrouva au milieu de sa nouvelle famille.

Les jeunes gens décidèrent pendant les beaux jours d’aller passer deux semaines à Québec. Monsieur Doris leur donna tous les renseignements nécessaires et les recommanda tout particulièrement à l’un de ses cousins. Flammette, qui devenait une grande personne, prit la responsabilité de l’organisation du voyage. Elle fit elle-même les malles et les valises, n’emportant que le strict nécessaire. Le jour du départ, monsieur et madame Doris les accompagnèrent jusqu’aux quais et assistèrent à leur embarquement.

Le trajet ne fut pas, d’ailleurs, de longue durée, et la vieille cité ne tarda pas à leur apparaître, avec son amas confus de maisons, de murs, de rochers et de fortifications qui se dressent au-dessus du Saint-Laurent.

A Québec, la population, moins cosmopolite qu’à Montréal, est essentiellement restée française de sentiments, de langue et de coutumes. Ils n’eurent qu’à indiquer leur nationalité pour être reçus partout à bras ouverts; mais, les vacances ne pouvant éternellement durer, ils durent bientôt reprendre place surle bateau.

La nature eut l’air de s’unir à leur regret de quitter la bonne ville, car, aussitôt qu’ils eurent démarré, une brume intense s’éleva.

Flammette, que ce brouillard inquiétait, questionna Marcel.

— Il n’y a pas de danger, Marcel?

— Non, ma petite, il n’y a pas de danger. Les brouillards sont fréquents sur le Saint-Laurent, et son cours en est trop connu pour qu’il y ait la moindre crainte à avoir.

MONTRÉAL: PALAIS DE GLACE EXÉCUTÉ AU CARNAVAL DE 1897


— Ah! dit l’enfant, à demi rassurée.

Marcel lui fit faire le tour du pont et la conduisit auprès du pilote. Celui-ci était un Indien aux traits larges et creusés. Ses yeux perçants semblaient voir au-delà du rideau, qui les emprisonnait. Un bonnet surmonte de plumes et une large ceinture, serrée autour des reins, complétaient son aspect étrange.

Marcel l’interrogea sur la durée probable de ce brouillard.

— Ce n’est plus rien, répliqua-t-il d’une voix rauque. L’amiral est passé.

Flammette, que cette réponse étonnait, pria Marcel de lui en expliquer le sens.

— C’est une vieille légende, dit-il, que les Canadiens aiment à citer sur le désastre de la flotte anglaise, quand elle vint assiéger Québec, vers l’an 1711.

— Oh! Raconte! Raconte, Marcel! fit l’enfant suppliante.

Il ne lui résista pas et commença:

«Au moment où la guerre de la succession d’Espagne venait d’éclater, l’Angleterre décida de porter ses coups sur le Canada. A cet effet, une flotte de quatre-vingt-quatre vaisseaux fut armée et mise sous le commandement de l’amiral Walker. Celui-ci était à la veille d’épouser une jeune fille qu’il aimait éperdument. Afin de ne pas se séparer de sa fiancée, il la fit embarquer sur un de ses vaisseaux, le Marchand-de-Smyrne, pendant qu’il prenait place sur le vaisseau amiral Edgar. La flotte cingla vers Québec, que l’on devait bombarder. La traversée s’opéra sans autre incident que la capture d’un navire français commandé par un Canadien du nom de Paradis. Le 22 août, l’amiral Walker comptait en quelques jours détruire Québec, lorsque la flotte fut soudain enveloppée dans une brume épaisse. L’amiral, épouvanté, se précipita sur Paradis et lui enjoignit de servir de pilote s’il voulait avoir la vie sauve. Paradis consentit et se porta au gouvernail. Grâce à lui, le navire put échapper il l’ouragan qui bouleversait les flots. L’amiral se félicitait déjà de cette heureuse issue, quand il entendit, derrière lui, tonner le canon d’alarme. Les autres navires n’avaient pu suivre l’Edgar dans le brouillard et, l’un après l’autre, allaient se briser sur les écueils. Soudain, une immense gerbe de feu jaillit dans la nuit, pendant qu’une détonation formidable ébranlait les airs. La foudre venait de frapper le vaisseau-poudrière de la flotte et de rendre ainsi le désastre complet.


«Fou de douleur, l’amiral se précipitait, criant: «Le Marchand-de-Smyrne? Qu’est devenu le Marchand-de-Smyrne?» Helas! le Marchand-de-Smyrne avait été englouti un des premiers. Ne pouvant survivre à cette catastrophe, l’amiral Walker fit sauter son navire en vue de l’Angleterre. Paradis et deux autres matelots se sauvèrent par miracle. Le reste de l’équipage fut anéanti. Depuis ce temps, chaque fois que la brume descend sur le Saint-Laurent, l’amiral Walker vient croiser, dit-on, à bord de l’Edgar, près de la tombe de sa fiancée, et les Canadiens l’ont surnommé : «L’Amiral du Brouillard.»

A ce moment le soleil, perçant la brume, vint dissiper l’impression pénible causée sur Flammette par cette légende.

— Vive le soleil! dit-elle joyeusement.

Peu après ils abordèrent à Montréal et reprirent avec joie le chemin de leur palais.

Marie, prévenue de leur arrivée, les guettait. Ils la saluèrent gaiement. Heureuse de les revoir, elle les reçut avec effusion.

— Enfin, vous voilà ! Ah! le temps m’a paru long sans vous!

— A nous aussi, ma bonne Marie, reprit Flammette.

— Oh! Mademoiselle! Vous ne dites pas la vérité, j’en suis sûre!

Mais, sous son apparente bonne humeur, elle cachait un souci. Prenant Hugues à part, elle lui parla à voix basse. La figure du jeune homme s’assombrit aussitôt. Frédéric le remarqua.

— Hé mais! Regardez Hugues; le voilà tout changé.

Celui-ci protesta et lui fit signe de se taire. Ils laissèrent Marie monter avec Flammette pour s’occuper du rangement des affaires.

— Qu’y a-t-il? demanda Marcel.

Un malheur?

— Un ennui seulement

— Quoi donc?

— Pendant notre absence, un individu est venu s’enquérir de Flammette, posant à Marie des questions sur son origine, son âge, etc. Il a déclaré être envoyé par sa famille.

— Sa famille?

Cette nouvelle les étreignit tous. Il ne leur semblait plus possible, maintenant, d’être séparés de leur enfant.

Hugues conclut:

— C’est un malheur pour nous; mais c’est peut-être le bonheur pour elle.


Mademoiselle Flammette

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