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I

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LES MALLES DE CHRYSÉIS

«Là ! dit Mlle Rosita en donnant un tour de clé à sa dernière malle, voilà qui est fait!

— Tu as fini, tante? cria sa nièce de la chambre voisine. Moi pas, tant s’en faut!»

Mlle Rosita abandonna son propre champ de bataille, et vint mettre un pied timide sur le seuil du sanctuaire où se trémoussait la fillette.

Ce sanctuaire offrait le plus drôle d’aspect qu’on pût se figurer. D’abord, au milieu, six malles énormes, ouvertes, béantes, et déjà pleines.... non de chiffons, grand Dieu! quoiqu’il y en eût bien un peu, mais de livres, atlas, cahiers, tous bagages infiniment plus sérieux et plus lourds; puis, épars à travers la chambrette tendue de perse rose fleurie, des instruments de physique de toutes les formes: ici une machine pneumatique, que la studieuse habitante du lieu emballait en ce moment avec amour, là des éprouvettes de toutes les tailles et des bocaux de toutes les couleurs; à vos pieds, un herbier, grand ouvert, dormait sur une immense carte d’Afrique étalée par terre comme pour servir de tapis; partout des voltamètres, des baromètres, des thermomètres, des hygroscopes, des électroscopes, des baroscopes... enfin tout ce qui finit en mètre ou en scope, tous les réactifs de la chimie, joints à toutes les épices de l’histoire naturelle... Et au fond d’une malle ouverte, reposant sur une couche de ouate rose, un squelette étendu semblait rire de ce spectacle étonnant.

Ce n’était pourtant pas un vieux savant qui habitait ce tabernacle scientifique. C’était la plus jolie et la plus coquette petite fille qu’on pût voir: quinze ans, de beaux yeux gris vifs et clairs, et des cheveux dorés admirables, le tout rehaussé par une toilette de voyage d’un goût et d’une coupe irréprochables. Elle se remuait, s’agitait, au milieu de tout son matériel d’étude, à faire croire qu’elle emportait la Sorbonne à la semelle de ses bottines.

Des malles énormes, ouvertes, béantes.


«Veux-tu que je t’aide, ma Chryséis chérie?» demanda tante Rosita avec une certaine timidité.

La fillette releva le nez et par la même occasion les cheveux qui lui tombaient dans les yeux. Elle secoua énergiquement la tête:

«Non! Non! s’écria-t-elle. Tu n’aurais qu’à me faire quelque sottise! Je ne peux me fier qu’à moi pour emballer mes instruments. Regarde-moi cet amour de machine pneumatique: ne serait-ce pas dommage qu’il lui arrivât malheur?... Prends donc garde! tu vas mettre le pied sur mes éprouvettes... Tiens! va-t’en! tu me gênes. Envoie-moi plutôt Annette: elle est plus adroite que toi.»

Sur ce congé plein d’égards, Mlle Rosita Verduron — qui s’appelait Rose, ô ironie! —quitta Chryséis — qui s’appelait Catherine; vous ne vous en seriez pas doutés? — et alla promener dans d’autres lieux sa longue, mince, jaune et poétique personne. Elle envoya Annette, et, prenant une mandoline oubliée dans le déménagement, alla s’asseoir dans le salon abandonné, couvert de housses grises, où le piano, emballé pour voyager avec ses maîtresses, avait l’air d’un monument d’un autre âge.

Là, elle charma les minutes qui la séparaient du départ en chantant une romance de sa composition, où il était question du tendre cœur d’une tante dévouée, d’une nièce orpheline et infortunée, «vraie rose du paradis», dont le père, «vaillant guerrier au pays du soleil», goûtait les beautés insoupçonnées du continent africain. Cela ne manquait pas de charmes, mais c’était un peu incohérent.

Le temps passait cependant et Mlle Annette, les malles finies, descendait très paisiblement l’escalier, pour obéir à l’ordre bref et précis d’avoir «à se dépêcher de chercher une voiture ». Tous les ordres de Mlle Verduron jeune étaient du reste brefs et précis, et renfermaient également presque tous le verbe «se dépêcher». C’est pourquoi Annette ne se pressait pas.

«Mam’selle Annette!

— Madame Pichu?

— Entrez donc un petit moment. Vous prendrez bien une goutte de doux?

— Tout de même, dit la jeune femme de chambre en entrant dans la loge. Vous savez que «je me dépêche» de chercher une voiture?

— Bon! ça ne presse pas, dit la concierge avec philosophie. Si vos dames manquent un train, elles en prendront un autre.

— Pour sûr! Elles ont bien le temps d’arriver pour le bonheur du colonel.

— Mais où vont-elles donc, enfin? dit Mme Pichu en versant le «doux» dans le verre de Mlle Annette. C’est-il vrai qu’elles vont en Alger, et même plus loin?

— Oh! bien plus loin!... Elles vont jusque chez les nègres, pour rejoindre le colonel, qui est le père de la petite, comme vous le savez, et le frère de Mlle Rosita. C’est une vilaine surprise qu’elles vont lui faire là, je vous en réponds. Il paraît qu’il est en garnison dans le désert...

— Dans le désert! fit la bonne femme en joignant les mains. Mais alors ils se mangent les uns les autres, lui et ses soldats?

— Non, il y a une ville: une drôle de ville, même, où il n’y a que des autruches et des chameaux: Tomboutou, à ce que dit Mademoiselle.

— Si Mademoiselle le dit, c’est que ça est, fit sentencieusement la concierge. Une gauffrette, mam’selle Annette?... C’est qu’elle en sait long, votre demoiselle!

— Oh! oui! répondit la petite femme de chambre, et qu’il y en a long aussi qu’elle ne sait pas! Une mijaurée, une hurluberlu, comme il n’y en pas deux, bien sûr! Croyez-vous qu’elle ne sait pas remettre un bouton à un gant? qu’elle croit que les œufs à la coque doivent bouillir autant qu’un pot-au-feu? et qu’hier elle voulait me faire repasser sa robe avec des fers tièdes, parce que le mouvement se transforme en chaleur, et que... que... est-ce que je me rappelle les bêtises qu’elle m’a dites! J’ai fini par l’envoyer promener. Chaque jour elle a des fantaisies nouvelles: ainsi vous savez qu’elle ne veut plus qu’on l’appelle par son nom: Catherine, c’est trop commun! Elle vous parle perpétuellement de choses qu’on ne comprend pas, et vous traite du haut en bas parce qu’on n’est pas si savant qu’elle. Elle emporte six malles, pleines de livres et d’instruments de toutes sortes, avec des bocaux où il y a tant de vilaines drogues qu’à la première douane on va pour sûr les arrêter comme anarchistes. Elle appelle cela des réactifs pour ses expériences de chimie. Et puis des cartes à n’en plus finir, et son piano — sans compter la. guitare de sa tante, — et de la musique, tout Wagner, et puis... et puis... Par exemple, il n’y a ni une aiguille, ni un peloton de fil. Elle ne saurait qu’en faire, du reste, et elle compte trouver une femme de chambre là-bas... Ah! la pauvre petite! ça lui a tourné la tête, d’apprendre tant de choses; elle en sait long, oui, mais cela n’empêche pas que j’ai peur que son pauvre mari ne mange un jour de drôles de potages!»

«C’est-il vrai qu’elles vont en Alger?»


Mme Pichu riait de bon cœur, mais Mlle Annette était montée, elle allait, elle allait:

«C’est sa vieille folle de tante qui l’a mal élevée, je le sais Lien, ce n’est pas tout à fait la faute de la petite... Pensez! une femme qui fait des vers! qui dit des choses encore plus incompréhensibles que sa nièce, qui se pâme à tout instant en roulant des yeux blancs et en parlant de son tendre cœur!... Elle est archifolle, je vous dis! seulement, elle est bonne femme, au fond: tandis que la petite est maligne comme une teigne!

— Oh! mam’selle Annette!

— Oui, oui, rageuse, impatiente, orgueilleuse! Et coquette avec cela! Il ne faut pas qu’une épingle cloche dans sa toilette. J’en ai vu de dures, allez! et je ne suis pas fâchée, au fond, de leur départ.

— Alors ne leur faites pas manquer le train, ma fille, conclut Mme Pichu, qui savait maintenant tout ce qui pouvait l’intéresser. Allez vite leur chercher une voiture, et priez le bon Dieu pour que le voyage les rende raisonnables.

— Ainsi soit-il! répondit la petite femme de chambre. Mais j’ai grand’peur que, pour Mlle Rosita tout au moins, il ne soit bien tard.»

Chryséis au désert

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