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CHAP. VI.

Table des matières

Coup d’Etat.

En écrivant ces quelques lignes, je n’ai pas la prétention de m’étendre sur cette page malheureuse des Napoléon, en phrases métaphysiques, ni de répéter ce que des talents payés ont divulgué au public. Ma seule prétention est de dire ce que j’ai vu et à quoi j’ai pris part depuis la veille du coup d’Etat jusqu’au rétablissement de l’ordre dans Paris.

Pour masquer le coup d’Etat, la soirée du 1er décembre fut remplie par un concert que le chef de la République donna à l’hôtel de la Présidence et auquel il avait invité tout ce que la France renfermait de grand dans les assemblées, dans les sciences et dans les arts. L’illustre Félicien David faisait exécuter son Désert. Les appartements étaient combles. Le succès fut immense!!

Au moment où Louis-Napoléon se préparait à sortir de sa chambre pour assister à la réunion, un jeune député légitimiste (M. de Kerdrel) entra et lui annonça qu’une révolution se préparait par les républicains et les orléanistes pour s’emparer du président de la République et le renfermer à Vincennes. Ce dernier répondit:

— Merci de votre avis; restez au concert; demain nous parlerons de cela....

Un autre député, Casabianca, qui, par inadvertance, entra pendant le concert dans le cabinet du chef de l’Etat et y prit connaissance des proclamations qu’il ne voulut pas signer, fut arrêté par de Maupas et enfermé dans une chambre jusqu’au lendemain. De Morny, un des héros du drame, qui devait se jouer dans la nuit, avait été se montrer ostensiblement à l’Opéra. Quelqu’un lui ayant dit:

— Est-ce vrai, qu’on va balayer la Chambre?

— Oui, répondit spirituellement le futur président du Corps législatif. Mais moi j’ai retenu ma place du côté du manche....

A minuit, le concert fini, tout autour de l’Elysée rentra dans l’ombre. Une seule lampe dans le cabinet du Président de la République éclairait une petite table, autour de laquelle étaient réunis les quatre acteurs de la pièce qui devait se jouer les jours suivants: Louis Napoléon, de Morny, St-Arnaud et de Maupas. Le général Magnan y fut appelé. Mais au premier mot de coup d’Etat, voulant faire oublier sa trahison dans l’échauffourée de Strassbourg, il se leva et dit:

— Messieurs, j’adhère à tout. Je signe tout. Mais M. le Ministre de la guerre y étant, je n’ai besoin de savoir qu’une chose: recevoir les ordres cinq minutes avant l’action... Pendant que Magnan sortait, le Président de la République m’appela, me donna ordre de suivre le général et de ne pas le quitter sans nouvel ordre.

Dès que les décrets furent signés, le colonel de Beville partit immédiatement pour l’imprimerie, où une compagnie de gardes de Paris s’étaient déjà rendue pour garder à vue les ouvriers pendant qu’ils imprimaient les proclamations qui changeaient la forme du gouvernement.

Le prince Napoléon, président de la République, qu’il avait juré de respecter, ouvrit un armoire et en retira quatre paquets. Il donna le premier à de Morny; ce paquet contenait 500,000 francs, plus la nomination de Ministre de l’Intérieur. Le nouveau fonctionnaire prit le tout et alla prendre possession de son poste, où il manda pour se garder une compagnie de chasseurs de Vincennes.

Le deuxième paquet fut donné à de Maupas; il s’y trouvait la liste de tous les représentants, généraux, homme de lettres et chefs de parti, qu’on devait arrêter, plus 500,000 francs.

Le troisième paquet, le plus volumineux, fut remis à St-Arnaud; aux 500,000 francs pour lui, il s’y trouvait un état des sommes ci-après:


Toutes ces sommes provenaient des 50,000,000 que le chef de l’Etat avait obligé la Banque de France à lui avancer. Les régents de cet établissement y consentirent à la condition qu’ils auraient le droit d’augmenter leur capital de 600 millions de francs; ce droit leur fut accordé.

Le quatrième paquet, le plus petit, fut ouvert; il ne contenait que 100,000 francs qui furent distribués aux aides-de-camp, aux employés et aux serviteurs. Je confesse avoir touché pour ma part, des mains de Persigny 2,500 francs.

Paris qui s’était couché république, se réveilla empire!... Mais empire qui avait violé : Serment, Constitution, Suffrage universel, Lois, etc.; qui avait arrêté, emprisonné, déporté ou exilé la moitié de la France, l’autre moitié était baillonnée et en état de siége.

Pendant que les Français s’égorgeaient les uns les autres, le chef de l’Etat, que les Français mêmes s’étaient choisis, se prélassait, assis devant la même table, où la veille il avait distribué les rôles du drame sanglant qui se jouait devant les barricades des rues St-Antoine, St-Martin, Grénétat, etc.

Quand les aides-de-camp de Magnan venaient lui dire que les Français protestaient contre le coup d’Etat, en résistant héroïquement derrière les faibles remparts qu’ils avaient construits, l’élu du Peuple répondait:

— Qu’on exécute mes ordres!

En même temps, il est vrai, il ordonnait aux domestiques qui devaient l’accompagner, de seller les chevaux, d’apprêter les voitures, et disait au général Roguet, gardien des vingt-cinq millions restant sur les cinquante millions escamotés à la Banque, de les mettre dans les voitures et de se tenir prêt à passer la frontière.

Les Français, à cinquante ans de distance, ont vu et subi deux Napoléon: le premier, le 2 décembre 1802, brisait la Coalition, à Austerlitz, et disait à ses soldats:

Je suis content de vous!

Le troisième, le 2 décembre 1851, brisait les presses, tuait la liberte, égorgeait femme et enfant dans Paris, et disait à ses généraux:

— Brûlez la capitale!

Un grand poète a dit:

Des deux Napoléon les gloires sont égales,

Fort bien chacun le sait; ce ne sont faits nouveaux:

D’Europe le premier prenait les capitales:

Le troisième aux Français prenait leurs capitaux!

Si ces deux vers ne renferment pas tout, il est impossible de mieux définir les actes des deux Napoléon.

Mémoires de Griscelli, agent secret

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