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CHAP. II.

Table des matières

Berger.

Je fus donc envoyé chez mon oncle pour garder les chèvres. Mais je ferai remarquer aux lecteurs qu’étant chez mon oncle, le frère de ma mère, je n’étais ni son domestique ni son gardeur de bêtes —j’étais son neveu, son fils, et les chèvres que je gardais, étaient bel et bien les miennes, provenant de la dot de ma feue mère, que mon père avait toujours laissée à son beau-frère en cheptel, se contentant de percevoir un petit bénéfice en lait et en fromage.

Mon oncle qui voyait en moi le fils de sa sœur, qu’il avait passionnément aimée et qu’il pleurait tous les jours, me laissa une liberté illimitée. Mon caractère indomptable au lieu d’être dirigé, guidé et corrigé, ne connut plus de bornes.... Heureusement pour moi que je n’avais plus personne pour exercer mes talents insupportables, ni écoliers ni maîtres, je n’avais que mon oncle et mes chèvres. Mon oncle, je l’aimais trop pour lui faire du mal, et mes chèvres ne m’auraient pas compris. Je rencontrais quelquefois des chevaux, des bœufs, des taureaux, des veaux, des ânes presque sauvages, et alors commençai un steeple-chase jusqu’à ce que j’eusse pris et fatigué l’animal. Par cet exercice je devins si fort à la course que j’arrivai presque toujours le premier dans les courses de jeunes gens qu’on organisait les jours de fête dans tout l’arrondissement.... J’étais fier de cette supériorité, car à la course comme à la lutte personne ne m’a jamais vaincu et si j’avais été aussi savant que j’étais leste, agile, fort... je serais devenu un grand homme. Pendant six ans, je n’ai vu ni lit, ni maison, ni clocher. Le printemps et l’été sur la montagne de Gali, à trois lieues au-dessus de Vezzani; l’automne et l’hiver à sept lieues plus loin, le long de la Méditerranée, à Vadina. Que de fois, cher lecteur, pendant ces six années n’ai-je pas vu se coucher et se lever le soleil! Que de fois, pendant ce temps, n’ai-je pas vu apparaître les étoiles au firmament et s’éteindre à l’arrivée de l’aurore!! Que de météores, que d’étoiles filantes n’ai-je pas contemplés, étendu sur le sol nu, mon lit habituel! Et que de mouches, grandes et petites, noires, grises, blondes, de toutes les couleurs et de toutes les tailles j’ai vu voltiger, m’offrant un tableau bien plus varié que celles qui venaient sur la croisée de l’immortel auteur de Paul et Virginie. Et que d’animaux n’ai-je pas vus et touchés? ... Ah! monsieur Buffon, vous avez bien écrit de votre bureau du Jardin des Plantes... mais vous auriez écrit bien mieux encore si vous eussiez vécu avec moi pendant ces six années.

J’avais alors quinze ans, l’âge où les enfants des riches moissonnent des couronnes dans les collèges, mon père me rappelait auprès de lui pour moissonner des épis dans les champs et faire de son fils un cultivateur.

Mémoires de Griscelli, agent secret

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