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3.2.1.2. Événements relatifs au déroulement de l’interaction (cadre participatif)
ОглавлениеLes événements déclenchant chez le locuteur des Pressions contre le dire peuvent, comme cela vient d’être vu, être contextuels, mais bien souvent ils sont plutôt cotextuels, c’est-à-dire relatifs au déroulement de l’interaction, et plus spécifiquement, au cadre participatif1.
a. Élargissement impromptu du cadre participatif
« C’est vous. » me dit Andrée dont la voix était projetée jusqu’à moi avec une vitesse instantanée par la déesse qui a le privilège de rendre les sons plus rapides que l’éclair. « Écoutez, répondis-je, allez où vous voudrez, n’importe où, excepté chez Mme Verdurin. Il faut à tout prix éloigner demain Albertine. – C’est que justement elle doit y aller demain. – Ah ! »
Mais j’étais obligé d’interrompre un instant et de faire des gestegestes menaçants, car si Françoise continuait – comme si c’eût été quelque chose d’aussi désagréable que la vaccine ou d’aussi périlleux que l’aéroplane – à ne pas vouloir apprendre à téléphoner, ce qui nous eût déchargé des communications qu’elle pouvait connaître sans inconvénient, en revanche elle entrait immédiatement chez moi dès que j’étais en train d’en faire d’assez secrètes pour que je tinsse particulièrement à les lui cacher.2
La parole de Marcel est ici empêchée par une irruption dans le cadre de l’interaction téléphonique qu’il est en train de mener avec Andrée d’un nouveau participant, Françoise, prenant ipso facto le statut de membre du pôle de réception, mais que ne désire pas voir ratifier le locuteur, ce qui le pousse immédiatement à interrompre son discours. Il faut noter que l’interjection de Marcel, ne suffirait pas à construire une telle représentation. Pour la compréhension satisfaisante (c’est-à-dire suffisamment pertinente) de la séquence, il faut bien entendu inclure le tiret et les informations narratoriales subséquentes.
Dans le discours théâtralthéâtral, on trouve également, bien entendu, ce genre de dispositif :
Horace, Arnolphe
Arnolphe. Ce n’est point par le bien qu’il faut être ébloui;
Et pourvu que l’honneurhonneur soit… Que vois-je ? Est-ce ?… Oui.
Je me trompe. Nenni. Si fait. Non, c’est lui-même.
Hor…
Horace. Seigneur Ar…
Arnolphe. Horace !
Horace. Arnolphe.
Arnolphe. Ah ! joie extrême !
Et depuis quand ici ?3
On voit bien la façon dont l’irruption de Horace dans la scène, une fois perçue par le locuteur, déclenche chez celui-ci des Pressions contre le dire, interrompant et empêchant le flux ébauché de son discours, comme le permettent de le comprendre les marqueurs intrinsèques qui nous sont maintenant familiers, la structure syntaxique et la ponctuation. Il est à noter que ces marqueurs étant suffisamment puissants ici, point n’est besoin de recourir à un marquage extrinsèque, qui pourrait être l’insertion d’une didascaliedidascalie.
b. Réactions (rétroaction) du pôle de réception
Le déroulement de l’interaction est largement dépendant des effets de la rétroaction (feed back). Un des effets, est que la réaction d’un interactant du pôle de réception peut déclencher à son tour des Pressions contre le dire chez le locuteur.
Madame Pernelle. Voilà les contes bleus qu’il vous faut pour vous plaire.
Ma bru, […]
Et comme l’autre jour un docteur dit fort bien,
C’est véritablement la tour de Babylone,
Car chacun y babille, et tout du long de l’aune ;
Et pour conter l’histoire où ce point l’engagea…
Voilà-t-il pas Monsieur qui ricane déjà !
Allez chercher vos fousfous qui vous donnent à rirerire,
Et sans… Adieu, ma bru : je ne veux plus rien dire.
Sachez que pour céans j’en rabats de moitié,
Et qu’il fera beau temps quand j’y mettra le pied.
(Donnant un soufflet à Flipote.)
Allons, vous, vous rêvez, et bayez aux corneilles.
Jour de Dieu ! je saurai vous frotter les oreilles.
Marchons, gaupe, marchons.4
L’ampleur du phénomène est ici bien saisie par cet extrait du monologue de Madame Pernelle, qui confrontée aux réactions de « Monsieur », que le lecteur peut s’imaginer dans la mesure où la locutrice vient apporter les précisions suffisantes par le truchement de ce qu’il est convenu d’appeler une didascaliedidascalie interne5, est poussée dans un premier temps à interrompre son histoire, comme le permettent de le comprendre les marqueurs habituels. Mais le procédé se répète une seconde fois, empêchant définitivement la locutrice de terminer son discours, la contraignant à se retirer, comme elle le précise elle-même d’ailleurs explicitement : « je ne veux plus rien dire ».
Les manifestations des acteurs du pôle de réception sont tellement puissantes qu’elles peuvent être tenues pour des injonctions, comme le montrent les deux exemples suivants.
Hugo
Et qu’est-ce que tu dois faire ?
Ivan
Attendre qu’il soit dix heures.
Hugo
Et après ?
Geste d’Ivan pour indiquer que Hugo ne doit pas l’interroger.
Rumeur qui vient de la pièce voisine. On dirait une dispute.
Ivan
Qu’est-ce qu’ils fabriquent les gars, là-dedans ?
GesteGeste qui imite celui de Ivan, plus haut, pour indiquer qu’on ne doit pas l’interroger
Hugo
Tu vois, ce qu’il y a d’embêtant, c’est que la conversation ne peut pas aller bien loin.6
On le voit, la dynamique de l’empêchement débouche sur une impossibilitéimpossibilité d’interaction.
Moron. Madame…
La Princesse. Retirez-vous d’ici, vous dis-je, ou je vous en ferai retirer d’une autre manière.
Moron. Ma foi, son cœur en a sa provision, et…
(Il rencontre un regard de la Princesse, qui l’oblige à se retirer.)7
On voit ici l’importance des dispositifs de présentation extrinsèque sous la forme des didascalies dans les textes de théâtrethéâtre. Ceux-ci permettent de construire une représentation de l’empêchement de l’interaction, qui pourra donc ensuite, le cas échéant, être à proprement parler mis en scène, ce qui impliquera une mutation de ces moyens de présentation extrinsèque des discours figuraux vers les systèmes sémiologiques adaptés à la scène théâtrale (à l’instar de ce qui est donné à voir dans les interactions verbales en face à face), notamment ceux de la communication non verbale.
Ces deux séries d’exemples diffèrent cependant sur un point, l’ampleur et la qualité de l’empêchement. En effet, dans certains, on peut constater que les locuteurs, Arnolphe, Mme Pernelle et Hugo ne cessent pas toute parole ; ils continuent à proférer certains énoncés. Il est cependant tout à fait justifié de parler de parole empêchée dans la mesure où, suite au conflitconflit entre les pressions contradictoirescontradiction, il y a blocage du discours entamé résultant d’un premier réseau de Pressions pour le dire, ce discours étant donc empêché, obligeant le locuteur à réorienter son discours. Dans les autres cas, Marcel comme Moron ne peuvent plus rien dire suite aux événements interactionnels survenus impromptu et leur parole est donc tarie. L’empêchement de parole est donc un phénomène gradué et diversifié.