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Les trois sortes de souffrances
ОглавлениеIl existe plusieurs sortes de souffrances qui peuvent se répartir en trois niveaux distincts :
1 La souffrance de la souffrance
Le premier est appelé la souffrance de la souffrance. Il est constitué par ce qui est communément désigné par le terme souffrance et reconnu comme tel : douleur physique, maladie, souffrance morale (tristesse, souci, inquiétude, déception...). C’est cette première forme de souffrance que nous cherchons à éliminer de toutes nos forces, par le corps, la parole et l’esprit, et les animaux en font autant. L’homme dispose cependant de moyens supérieurs, grâce à son intelligence, à sa faculté de penser, d’analyser, de réfléchir, qui lui permet de prévoir le long terme et de ne pas se limiter à l’instant présent. L’animal, lui, peut seulement remédier à ses souffrances du moment, ou prévenir leur échéance à très court terme. Il est incapable de planifier, de travailler pour le futur. Sachant que notre supériorité d’être humain réside dans notre faculté de penser, nous devrions faire de notre esprit le meilleur usage possible. Mais de quelle manière ? En l’appliquant à la mise en oeuvre d’actes propres à éliminer nos souffrances présentes et à venir, pour cette vie et les suivantes.
A certains moments de l’existence, cette souffrance manifeste semble s’apaiser, par exemple lorsqu’un traitement médical approprié chasse la maladie et que nous recouvrons la santé. Pourtant, ce n’est pas ainsi que nous repousserons la souffrance pour toujours. C’est uniquement par la pratique de ce qu’on appelle le Dharma. Si nous persistons dans la manière de vivre qui a été la nôtre jusqu’à aujourd’hui, sans chercher à dépasser nos conceptions et nos comportements, jamais nous n’atteindrons une libération de nos maux qui soit totale et définitive. Nous n’aboutirons qu’à des accalmies momentanées. Nous savons bien qu’en continuant d’user des mêmes méthodes, nous n’éliminerons pas véritablement la souffrance. Quand le corps est tranquille, c’est l’esprit qui est perturbé. Et quand les problèmes de l’esprit sont résolus, ceux du corps se réveillent... Nous sommes presque toujours plongés dans ces souffrances, et les trêves ne sont que provisoires. De plus, ce qui nous torture mentalement est infiniment plus difficile à supporter que la douleur physique et nous le savons bien. Par conséquent, ce qui est capital, c’est la suppression des tourments de l’esprit. Ceci s’applique de la même façon à la mesure du bonheur : le bonheur de l’esprit est autrement plus puissant, plus intense, plus solide que celui du corps. En effet, nous savons, pour en avoir probablement fait l’expérience, combien les blessures morales affligent les êtres, même s’ils jouissent d’une parfaite santé et que les besoins de leur corps sont satisfaits. Et nous savons aussi qu’un esprit serein supporte beaucoup mieux la maladie et les souffrances physiques. C’est pourquoi, dans la pratique du Dharma, ce qui compte essentiellement, c’est l’esprit, autrement dit, la suppression des souffrances mentales et l’instauration du bonheur de l’esprit. Or, le Dharma n’est autre que l’instrument de ces réalisations.
Des exemples très simples peuvent éclaircir ce propos : supposons que nous soyons très riches, que nous jouissions d’un statut social élevé; s’il n’y a ni paix, ni joie en notre esprit, nous ne serons pas heureux. Cette constatation s’impose d’elle-même lorsque nous observons le domaine de la politique. On peut être ministre, député, président. Mais il est alors très difficile d’être heureux car le métier de politicien est quasiment incompatible avec la sérénité de l’esprit. Il est, au contraire, source de nombreux tracas, donc de souffrances. En revanche, le dénuement matériel, une nourriture insuffisante, le manque de vêtement... ne sauront altérer la tranquillité d’un esprit paisible et content. C’est donc pour obtenir le bonheur et pour éliminer la souffrance, surtout celle de l’esprit, que nous pratiquons le Dharma. Il est le seul moyen d’atteindre ces objectifs.
Vous n’avez sans doute aucune difficulté à comprendre ce premier niveau de souffrance, la souffrance de la souffrance. Elle est ce que nous appelons souffrance : douleur physique ou mentale, maladie, faim, soif, chagrin, dépression, désespoir... Vous en avez tous fait l’expérience et il est inutile de s’y attarder davantage.
2 La souffrance du changement
La signification de la seconde forme de souffrance est beaucoup plus profonde, plus difficile à cerner. Elle est appelée la souffrance du changement. Ce que nous tous, humains et animaux, appréhendons comme étant le bonheur, ce que nous qualifions de bonheur est en fait la souffrance du changement. En effet, tout ce qui nous est agréable ne constitue pas un bonheur parfait, durable, définitif. Nos expériences plaisantes seraient un bonheur véritable si nous pouvions en jouir à l’infini, sans qu’elles se dégradent à aucun moment. Or, nous nous apercevons qu’elles se détériorent progressivement pour se transformer finalement en souffrance. Par exemple, à l’approche des vacances, nous débordons d’enthousiasme à l’idée d’un voyage, d’un séjour à la mer ou à la montagne, lequel représente pour nous un véritable bonheur. En effet, lorsque nous arrivons à la montagne, pour quelques temps, nous nous y sentons bien. Nous sommes heureux. Mais si notre séjour se prolonge, le bonheur initialement éprouvé se modifie, il s’altère petit à petit et devient souffrance. Nous voulons aller ailleurs, faire autre chose. Certains ressentiront, à la longue, un malaise physique, parce que le corps ne supporte pas ceci ou pas cela. Pour d’autres, il s’agira plutôt d’une lassitude de l’esprit. Dans tous les cas, ce bonheur dégénère en souffrance. S’il était un véritable bonheur, il ne devrait cesser de croître à mesure que nous en jouissons. Or, c’est le contraire qui se produit. Si nous avons extrêmement chaud, l’idée de plonger dans l’eau fraîche d’un lac nous ravit et nous serons vivement contrariés par ce qui pourrait entraver la concrétisation de ce qui nous semble être un véritable bonheur. Mais, supposons que nous y allions : pendant quelques instants nous serons heureux, puis nous n’aurons plus envie de rester dans l’eau et nous voudrons en sortir. Il en va de même des richesses, des biens, des positions sociales que nous convoitons. Tant qu’ils ne sont pas en notre possession, nous les considérons comme de réels bonheurs. Les avons-nous obtenus, aux premiers instants tirés de leur jouissance succèdent toutes sortes de tracas : les choses ne se passent pas comme nous le souhaiterions et la souffrance réapparaît.
Ce ne sont pas là des affirmations gratuites, sans fondement. Je n’invente rien. Réfléchissez honnêtement par vous-mêmes. Creusez dans vos expériences personnelles et voyez ce qu’il en est. Jusqu’à présent, toute notre énergie a été mobilisée en vue de ce que nous croyons être le bonheur. Tous nos travaux ont convergé vers la réalisation de ce bonheur... qui n’en est pas un.
Les humains comme les animaux, tous reconnaissent le premier niveau de souffrance, la souffrance de la souffrance. Nous en connaissons les tourments et c’est pourquoi nous cherchons à l’éviter. Mais, seules des méditations étayées par les enseignements du Dharma nous éclaireront sur la signification de la souffrance du changement. Alors, ce que nous avons coutume d’appeler bonheur nous révélera son véritable caractère de souffrance.
3 La souffrance inhérente à l’existence samsarique conditionnée
Le troisième niveau de souffrance est encore plus difficile à appréhender. Il est appelé la souffrance inhérente à l’existence samsarique conditionnée. Notre corps et notre esprit, soit nos agrégats psycho-physiques, en sont les constituants. Reconnaître la souffrance dans ce que nous appelons habituellement le bonheur, voir que ces bien-être se transforment presque instantanément en souffrance n’est, à vrai dire, pas très difficile si l’on veut bien y réfléchir. Mais comprendre que nos agrégats psycho-physiques, que les composants mêmes de notre personnalité sont souffrance est infiniment plus délicat et plus ardu. Supposons que nous ayons une blessure au bras; si nous y étalons une pommade ou que nous soufflons dessus, nous éprouvons une sensation apaisante. Par contre, si nous appuyons sur la plaie, que nous nous cognons dessus ou que nous y mettons du sel, nous ressentons une vive douleur. Cette blessure est la base dont sont issues tour à tour sensation plaisante et sensation déplaisante. Elle est souffrance par nature, même si nous ne sentons rien en dehors de l’intervention d’un agent extérieur. La douleur réveillée par le choc illustre la souffrance de la souffrance. Le bien-être que nous procurent les soins qui l’apaisent est un exemple de la souffrance du changement. Sans aucune action extérieure, nous ne sentons rien, mais la blessure est là. Elle est une illustration de la troisième sorte de souffrance : dans sa nature même, elle est souffrance.
Les trois niveaux de souffrance vous ont été brièvement expliqués, mais j’aurai l’occasion d’y revenir par la suite. En résumé, notre situation est celle d’individus prisonniers des maux qui les accablent. L’important, à présent, est de consacrer toute votre attention à des réflexions poussées sur ce que vous venez d’entendre.
S’il n’existait aucun moyen d’échapper à la souffrance, nous n’aurions rien à faire ici et nous pourrions tous continuer à vivre comme avant. Or, ce moyen existe et nous l’avons en nous. Il consiste en une utilisation juste et appropriée de notre esprit, de notre faculté de penser, de réfléchir, de raisonner. Nous n’avons pas à l’obtenir d’autrui moyennant paiement ou autre contrepartie d’un échange. Il ne s’achète pas comme un bien commercial. S’il en était ainsi, nous pourrions craindre certaines difficultés. Mais, tous, mendiants ou richissimes, nous en sommes détenteurs. Tout le monde, pauvre, nanti, homme, femme... peut se libérer de la souffrance et l’éliminer définitivement. La méthode consiste à appliquer son esprit à la pratique du Dharma. Pour cela, nous devrons parvenir à le contrôler afin d’en disposer à notre guise. Pour l’instant, notre esprit est comme un bien sans propriétaire. Il va où il veut, pense ce qu’il veut. Nous sommes impuissants à le diriger. Il nous suffit de l’observer un peu pour en faire le constat. La pratique du Dharma va nous amener à exercer sur lui un contrôle, à le dompter, à nous en rendre maîtres. Il est à présent comme un éléphant sauvage et dangereux que rien n’arrête. Comme on capture l’éléphant pour le domestiquer et, par le dressage, le transformer en animal docile au service de l’homme, on peut, de même, prendre possession de son esprit et le discipliner. Or, la maîtrise de l’esprit s’acquiert par la méditation.
Si nous étions moins limités par la durée de ce cours, il aurait été préférable de vous donner d’abord une vue d’ensemble des enseignements pour que vous les méditiez ensuite. Mais, puisque nous avons peu de temps, nous procéderons à des séances de méditation au fur et à mesure des sujets exposés, alternant sessions d’enseignement et sessions de méditation.