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II

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Au premier coup de cloche que sonna le guetteur de la cathédrale, la foule fut avertie. Les tambours roulèrent, les clairons firent entendre la sonnerie du rappel, et les gardes nationaux, sans perdre une minute, coururent aux armes.

Il était temps. Déjà les chouans avaient atteint les premières maisons de la ville.

Les Bleus eurent d’abord l’avantage de la situation. Cachés dans les maisons, ils tiraient par les fenêtres sur les masses rebelles, à coup sûr. Mais la fureur des partis était telle, qu’on s’aborda bientôt à l’arme blanche et que les tirailleurs durent entrer dans la mêlée.

Ce fut une bataille terrible, ou, pour mieux dire, une sanglante tuerie.

Le bruit des détonations avait cessé. C’était un cliquetis de sabres, de baïonnettes, de coups de bâtons choquant des couteaux. La terre était rouge: des hurlements et des cris rauques dominaient parfois le tumulte avec des clameurs d’enthousiastes et de forcenés: Vive le Roi! Vive la République!

Au moment même où la bataille était pleinement engagée, Renart et le curé Rousseau qui avaient caché leurs troupes dans des plis de terrain, sur les bords du Couesnon, débouchèrent dans la partie basse de la ville.

Quelques gardes nationaux, une vingtaine tout au plus, ayant à leur tète Jean Sennerède, dont le bras était à peine guéri, défendaient le château de Fougères. Vainement ils luttèrent comme des lions; vainement les femmes elles-mêmes prirent part à la défense, il fallut reculer. Les chouans entrèrent dans la rue de la Beuverie, pendant que le curé Rousseau faisait occuper la grosse tour du Couesnon et l’église de Saint-Sulpice.

Dans la rue de la Beuverie, Renart trouva un obstacle inattendu. Sennerède et les dix hommes qui lui restaient avaient renversé une charrette en travers et se défendaient héroïquement derrière cette barricade improvisée. Renart tua cinq hommes aux Bleus, en perdit sept, et passa.

Ce moment d’arrêt dans la marche des chouans permit à quelques gardes nationaux d’accourir au secours de leurs camarades trop faibles pour résister. Un coup de clairon se fit entendre au bout de la rue, et Sennerède se trouvant en face de sa maison, s’y jeta avec la poignée de braves qui vivaient encore.

De part et d’autre ce fut un moment décisif. La fusillade éclata sur tous les points, couchant alternativement les Blancs et les Bleus.

Un homme, monté sur une table, à la hauteur de sa fenêtre, tirait sur les assaillants. Soudain, il ouvrit les bras, son fusil tomba et lui-même dans son agonie bondit dans la rue: une balle lui avait percé le front. Plus loin, dans un angle, une vieille maison de bois et de terre battue, trouée de balles, menaçait de s’écrouler. Une femme en sortit avec un enfant sur les bras. Une balle la renversa. L’enfant criait épouvanté serrant le cou sanglant de sa mère.

Se battre de loin n’est pas l’affaire des chouans. Ils se ruèrent en avant comme il était convenu. Renart resta en arrière avec un gros de troupes, pour occuper et piller les maisons d’où partaient toujours quelques coups de feu.

Il en voulait surtout à Sennerède, dont il connaissait parfaitement la demeure.

La maison dominait complètement la rue. De ses trois étages tombait une pluie de balles. La porte, verrouillée à l’intérieur, était de vieux chêne. Il fallut une poutre pour l’enfoncer.

Les gardes nationaux sautèrent dans le jardin et gagnèrent les maisons voisines où la bataille continua.

Sennerède restait seul, au rez-de-chaussée, dans son atelier de tourneur, avec un de ses ouvriers.

Les chouans ouvrirent la porte et reçurent à bout portant deux coups de fusil. Deux hommes tombèrent. Les assaillants ripostèrent par une décharge générale qui tua l’ouvrier, et ils entourèrent Sennerède qui n’avait pas eu le temps de recharger son arme.

Renart était au premier rang.

— Ah! crapule de républicain, hurla-t-il, cette fois-ci, je te tiens.

— Et moi aussi, riposta le tourneur.

Il fit un bond et lança un violent coup de pied dans le ventre de Renart qui tomba, les mains sur ses entrailles broyées.

— C’est le Pataud de Fleurigné, dit un assaillant qui se rua sur Sennerède et d’un coup de poing le renversa à terre.

Dehors, la bataille continuait. Par la fenêtre défoncée, les balles entraient et crevassaient la muraille.

La maison de Sennerède tout entière fut pillée, les chouans n’oubliant jamais leurs intérêts. Les lits à chapelle aux longs rideaux de soie verte furent détruits, les armoires dévalisées et tout ce qu’elles contenaient jeté à la rue.

Au rez-de-chaussée se dénouait un drame sanglant: Renart agonisant voulait voir supplicier son ennemi. Il fit enlever ses habits, et quand le malheureux fut complètement nu, il commanda de le couper en deux avec une des scies de l’atelier.

Il fut promptement obéi: un pareil meurtre était une fête pour les chouans.

Au contact des dents d’acier, Sennerède poussa un effroyable cri de douleur et s’évanouit. Renart était vengé, il mourut heureux...

Vive la République! cria Jean Sennerède (page 41).


Au cri du supplicié avait répondu un autre cri; sa femme qui jusque-là s’était tenue cachée dans la cave accourut, ses deux petits sur les bras. Elle poussait des plaintes navrantes, suppliait les bourreaux, se mettait à genoux devant eux, demandant la grâce de son homme.

— Toi, fiche-moi le camp, dit un chouan, ému malgré lui par la sauvagerie de cette scène.

Elle se retira tout hébétée dans un coin de l’appartement, couvrant de pleurs silencieux les têtes brunes des enfants muets.

Le corps de Sennerède saignait horriblement. Le malheureux râlait et demandait à boire. Les chouans riaient.

— «Sauve qui peut», cria tout à coup l’un d’eux qui regardait par la fenêtre. La fusillade se rapprochait. Les brigands n’eurent que le temps de fuir dans les jardins. La défaite des chouans s’explique. Ils étaient déjà maîtres de la ville quand deux émigrés, déguisés en paysans, étaient venus trouver leurs chefs. Il fallait marcher sur Granville, que des traîtres devaient livrer et où l’escadre anglaise aborderait aussitôt. La Rochejacquelein, sans attendre, avait pris la route d’Avranches, et les chouans du pays, abandonnés par leurs nouveaux alliés, n’eurent que le temps de battre en retraite.

Une demi-heure après, au coucher du soleil, ils avaient disparu, laissant six cents des leurs sous les murs et dans les basses rues de la ville.

A leur tour, les Bleus comptèrent leurs pertes. Quatre cents gardes nationaux étaient morts. Plus d’un brave manquait à l’appel, entre autres, Jean Sennerède.

Des amis coururent chez lui.

Dans le rez-de-chaussée de la maison dévastée, ils trouvèrent la femme de Sennerède à genoux près du corps de son mari. Les deux petits dormaient dans un coin sur la peau de chèvre sanglante d’un chouan mort.

On lava à grande eau les chairs meurtries, et une blessure rouge, une entaille profonde au flanc gauche apparut. La sensation aiguë de l’eau froide ramena dans le corps un reste de vie. Sennerède entr’ouvrit les yeux et reconnut ceux qui l’entouraient.

— Ma femme, mes pauvres petits, je les laisse à la République. Vous en aurez soin, n’est-ce pas? balbutia-t-il. Il referma les yeux. De la salive rose filtrait au coin de ses lèvres.

Et les chouans?

— Battus et en fuite.

Il ne répondit pas. Soudain, il se dressa sur le coude, les yeux effarés, et en mourant, il s’écria:

— Vive la République!

Les coeurs héroïques

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