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II

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Jean Sennerède avait trente-huit ans. C’était un grand et robuste gaillard, un solide Breton de la ville, dont les longs cheveux bruns couvraient les épaules carrées. Son père, François Sennerède, était un de ces paysans de l’Ouest, qui avaient pris les armes, en 1757, pour ne point payer les taxes nouvelles sur le sel. Les gabelous de Louis XV l’avaient tué.

Depuis ce temps, et malgré son jeune âge, Jean avait voué une haine instinctive aux gouvernements absolus. A mesure qu’il avait grandi, il avait senti plus vivement les iniquités de l’ordre social. Il souffrait des nombreux privilèges de la noblesse et du clergé. Des impôts trop lourds appauvrissaient l’agriculteur; les corvées et les dîmes achevaient de le ruiner. Aussi avait-il salué la Révolution avec enthousiasme. On l’avait vu pleurer de joie quand le peuple avait planté l’arbre de la liberté. Ce n’est qu’alors qu’il s’était marié avec Marie Bouvier, la fille d’un riche fermier du pays, qui depuis longtemps était sa promise. Il avait eu deux enfants, dont l’un avait alors deux ans à peine et l’autre six mois. Les maîtrises et les jurandes supprimées, le travail rendu libre, il avait pris l’état de tourneur. Ses rouets se vendaient dans tout le district de Fougères. Rapidement, il était devenu presque riche. Tous le savaient républicain de la première heure, et comme il était serviable et bon, tous l’aimaient.

Renart prit un tison pour allumer sa pipe (page 22).


Mais, ce que tous ne savaient pas, c’était un bout d’histoire ancienne, que Jean Sennerède cachait au fond de son cœur et qu’il n’oubliait point. Son père n’avait été tué par les gabelous que parce qu’il avait été trahi et livré à eux par un métayer de M. de Haute-Roche, un certain Jean-Marie Renart, qui, en apparence, faisait cause commune avec les paysans. On ne savait pas non plus que le fils de cet homme, Baptiste Renart, continuait, par esprit de famille sans doute, à haïr Sennerède, et comptait bien tirer vengeance de lui à la faveur des troubles qui menaçaient le pays.

Depuis deux ans déjà, depuis que le marquis de la Rouarie et Thérèse de Mollien avaient tenté de provoquer un soulèvement en Bretagne, cet homme était l’âme de la contre-révolution de Fougères à la Pèlerine. C’était chez lui que les chouans se réunissaient, que les prêtres réfractaires officiaient secrètement et tramaient leurs complots contre la République. On disait aussi que M. de Haute-Roche, en émigrant, lui avait laissé tout son argent et lui avait fait connaître l’endroit où étaient déposés la poudre et le plomb qui devaient servir à la guerre sainte.

Cet homme devait être surveillé de près. Justement le propriétaire de l’auberge de Fleurigné, le père Palicot, était un vieil ami de Sennerède. Et comme cette auberge était située à quatre cents mètres de la métairie de Renart, on pouvait trouver là des renseignements précieux.

Sennerède attendit jusqu’au soir pour que son départ ne fût point remarqué. L’heure venue, il embrassa sa femme et ses enfants et partit.

Les coeurs héroïques

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