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III

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Table des matières

L’auberge de Fleurigné est à deux petites lieues de Fougères, sur la route d’Ernée, par la Pèlerine et Mégaudais. Elle est bâtie dans un endroit désert; à droite et à gauche, tout à l’entour des bois, des landes, des champs de genêts et d’ajoncs.

La nuit vint brusquement, vers cinq heures, une vraie nuit d’hiver en Bretagne avec de pâles rayons de lune à travers des brouillards épais. Un vent froid sifflait dans les branches dépouillées des chênes. Au loin, dans les guérets noirs, des compagnies de perdreaux jetaient des cris de rappel de plus en plus rares. Jean Sennerède marchait hardiment. De temps en temps un lapin traversait prestement la route, à deux pas de lui, des chouettes et des orfraies, sortant des émousses creuses, poussaient des hululements sinistres et prolongés.

Jean songeait à sa femme et à ses enfants. Il avait peur de mourir à présent, de les laisser tout seuls pour affronter les batailles de la vie. Le sentiment du devoir le soutint.

— Après tout, dit-il, la patrie en aura soin, et la République n’oubliera pas que je suis mort pour elle.

Il arriva.

L’auberge était une maison basse. Elle n’avait qu’un étage, et sa toiture écrasée était faite de chaume et de lattes de bois. Elle s’ouvrait par deux portes à doubles battants, comme sont les portes du pays. L’une, près d’une fenêtre étroite, donnait sur la route; l’autre, derrière, conduisait dans un enclos de pommiers, d’où partait un sentier qui s’enfonçait dans les champs.

La nuit était complète. Peu à peu tous les bruits s’étaient dissipés. Seul, au loin, un chien-loup hurlait dans quelque masure de la lande.

Jean Sennerède frappa doucement à la porte.

— Qui va là ? fit une voix.

— Un ami. Sennerède de Fougères... Ouvre vite, je suis gelé.

Le père Palicot vint ouvrir, absolument déconcerté par cette visite inattendue. Il était en chemise, et sa figure ensommeillée était à moitié enfouie dans un bonnet de laine bleue acheté à la dernière foire d’Ernée, le pays des bonnes tricoteuses.

— Ah çà ! que se passe-t-il, et que viens-tu faire ici?

Sennerède le regarda bien en face.

— Père Palicot, je puis compter sur toi?

— Tu le sais bien.

— Y a-t-il des chouans dans le pays?

— Malheureux!... J’aurais dû le deviner!... Oui, il y en a beaucoup. Ils viennent souvent. ici... C’est précisément ton ennemi Renart qui les conduit.

— Je le savais. Peux-tu, quand ils viendront, me cacher de façon à ce que je les entende parler?

Le père Palicot allait répondre; mais, tout à. coup, la porte qu’on avait négligé de fermer s’ouvrit brusquement et livra passage à quatre individus.

Jean Sennerède n’eut que le temps de s’asseoir, dans un coin de la cheminée, sur un escabeau, près d’un reste de feu devant lequel tiédissait une cruche de cidre. Puis, il prit dans sa poche un morceau de galette de sarrazin, et, lentement ,il se mit à manger, l’air assoupi.

Les nouveaux venus étaient jeunes. C’étaient des réfractaires qui s’étaient jetés dans les bois quand ils avaient reçu l’ordre de rejoindre leur brigade, suivant les décrets de la Convention. Ils portaient les cheveux très longs, sous le chapeau de velours, et la blouse bleue du pays sous la peau de bique. Renart les trouvant solides et d’autant plus souples qu’ils avaient plus peur, en avait fait des chouans qui ne demandaient qu’à mourir pour Dieu et pour le roi.

Tout en gardant leurs fusils entre leurs jambes, ils se mirent à boire des bolées de cidre fortement mélangé d’eau-de-vie blanche. Peu à peu leur langue se délia. Ils parlaient de la République, de la révolution, de la guerre qu’on faisait à la frontière, quand les pauvres gens ne voulaient que rester chez eux, bien tranquillement. Ils ne comprenaient rien à cette liberté dont on leur avait vaguement parlé et qu’ils payaient du sacrifice de tous leurs privilèges locaux. Était-ce au nom de la liberté qu’on supprimait la religion, qu’on emprisonnait les prêtres, et qu’on avait guillotiné le roi? Leurs curés n’avaient-ils pas été les premiers à supprimer la dîme? En mourant pour eux, on allait directement au ciel, et même, il y en avait, ceux-là qui n’avaient rien à se reprocher, qui ressuscitaient après leur mort.

Ils parlaient avec un extrême emportement, absolument convaincus de ce qu’ils disaient, jetant comme un acte de foi toutes les théories fausses dont on avait bourré leur esprit enfantin dans de mystérieuses prédications au fond des bois.

Soudain l’un d’eux avisa Jean Sennerède, qui achevait tranquillement son morceau de galette.

— Eh! l’homme, d’où es-tu? dit-il en lui touchant l’épaule.

— De Fougères.

— Où vas-tu?

— A Ernée, pour acheter des pièces de bois.

— Reste avec nous.

— Je ne peux pas, j’ai femme et enfant.

Tout semblait terminé ; mais un réfractaire, plus échauffé que les autres, reprit:

— Es-tu chouan ou pataud?

Sennerède tressaillit, mais il se remit vite:

— Je ne suis qu’un pauvre homme, et je ne fais point de politique.

Dans un coin, le père Palicot feignait de dormir. Les réfractaires se mirent à parler bas. Jean Sennerède crut distinguer les mots de «pataud de Fougères», «d’éclaireur ennemi», «d’exemple à faire!»

A tout hasard, en se baissant pour remettre devant le feu la cruche de cidre tiède dont il avait bu une gorgée, il prit une grande poignée de cendres qu’il mit dans la poche de sa veste. Puis, il fit semblant de dormir et ferma les yeux.

Les autres, de plus en plus surexcités, parlaient à haute voix. Une colère passa sur leurs visages enflammés par la boisson. Ils commencèrent à proférer des menaces contre le pataud qui commença à avoir peur.

— Parlez plus haut, ne vous gênez pas! dit la voix d’un homme qui venait d’entrer par la porte du jardin.

Les chouans se calmèrent subitement.

— Maître Renart, firent-ils.

— Lui-même, et qui vient vous dire que tous les ordres sont donnés, et qu’à l’aube, demain matin, on marchera sur Fougères. La surprise arracha un mouvement brusque à Sennerède. L’escabeau fit du bruit, et Renart, en se retournant, distingua une ombre à la lueur du feu mourant.

— A propos, fit-il, quel est celui-là ?

— C’est vantié un pataud de Fougères, dit un réfractaire. Il nous a dit qu’il allait à Ernée. Sennerède continuait à rester immobile, la figure engoncée dans le col de sa veste, la main dans sa poche, sur la cendre.

Renart s’approcha du feu et y prit un tison pour allumer sa pipe. Quand il en eut aspiré quelques bouffées, il secoua rudement le dormeur.

— Veux-tu bien te réveiller, animal? Voyons, montre ta face.

Sous le ciel pâle et froid, ce fut une course échevelée.


Sennerède leva la tète et le regarda fièrement. L’autre rugit.

— Ah! coquin! cette fois nous allons régler nos comptes. Voyez-vous, mes amis, cet homme-là est un pataud de Fougères, c’est un garde national qui vient nous espionner, faites-lui son affaire, et vite!

Sennerède ne leur laissa point le temps d’arriver. Il se dressa devant Renart et lui lança violemment une poignée de cendre dans les yeux. Pendant que le chouan aveuglé laissait tomber sa pipe et portait les mains à son visage, Sennerède bondit de côté et disparut par la porte entr’ouverte.

Les réfractaires déchargèrent leurs fusils sur lui, pendant qu’il franchissait l’escalier de l’enclos, le manquèrent et s’élancèrent sur ses traces.

Sous le ciel pâle et froid ce fut une course échevelée. L’homme qui veut tuer poursuivant l’homme qui veut vivre, quatre contre un. Les souliers ferrés sonnaient sur le gravier de la route. Au loin, la voix de Renart criait: Tuez-le! tuez-le!... Le tuer n’était point chose facile, Sennerède ayant de bonnes jambes. Malheureusement pour lui, il était fatigué des courses faites dans la journée et n’avait pris qu’un repos insuffisant.

Derrière lui, les jeunes gâs soufflaient bruyamment. Ils criaient par intervalles:

— Arrête, pataud! Arrête, pataud 1

Un d’entre eux ajouta:

— Tu n’auras qu’un bras de cassé !

Sennerède était épuisé. Il savait les chouans observateurs de la parole donnée, et il songea qu’avec un bras de cassé, il pourrait arriver à temps pour avertir les Fougerais et sauver la ville.

Il s’arrêta, et, sans dire un mot, il tendit aux chouans son bras droit.

D’un coup sec de penbas, l’un d’entre eux cassa l’os entre le coude et l’épaule. La douleur dut être horrible. Sennerède ne poussa pas un cri.

Leur besogne faite, les réfractaires revinrent sur leurs pas. Quant à Sennerède, il quitta la grande route et se jeta sur la droite dans une haie épaisse. Il fit bien.

Renart, en apprenant qu’on l’avait épargné, était entré dans une violente colère. Il regrettait de laisser sa vengeance incomplète, et peut-être aussi d’avoir trop parlé devant le Bleu.

Les chouans retournèrent sur la route. Elle était déserte. Jean Sennerède les vit passer et repasser devant lui. Quand le bruit de leurs pas se fut perdu dans l’éloignement, il courut à Fougères.

Le lendemain, à l’aube, les chouans se présentèrent devant la ville. Tous, les hommes et les femmes étaient aux murailles. Les brigands durent rentrer dans les bois.

Les coeurs héroïques

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