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II

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On les f…icha dehors. Ça ne traîna pas, je vous jure. La pluie redoublait de violence. Le vent soufflait au corps, y collant les vêtements mouillés. Ils allèrent, je ne sais où, emportant leurs hardes humides, pensifs, silencieux, sans un murmure, le ventre creux, l'estomac vide, courbés sous le destin maudit.

Et quand le dernier eut disparu, l'adjudant promena partout sa lanterne.

Il remontait l'escalier lorsqu'il entendit un gémissement. Il fouilla de nouveau et dirigeant le rayon dans un recoin ténébreux, il éclaira soudain un groupe de deux hommes.

—Eh! là! qui est-ce?

Dans le retrait le plus obscur, sous l'escalier de la cave était blotti un vieux nègre secoué par la fièvre ou le froid; et accroupi à ses côtés, lui soutenant la tête, un second nègre, celui-là, jeune et vigoureux, essayait de le réchauffer. Il s'était dépouillé à cet effet de son burnous et de sa goudourah, et entièrement nu, grelottant lui-même, il se penchait sur l'autre, l'enlaçant; mais les dents du vieux claquaient avec un bruit de castagnettes, et l'on voyait, spectacle lamentable, sa barbe blanche, courte et laineuse, frisottant sous le menton, monter et descendre avec des mouvements saccadés et rapides, tandis que les yeux se fixaient hébétés et immobiles sur le feu de la lanterne.

Le jeune, collé au vieux, le couvrait de son corps et de ses bras comme un enfant qu'on cache, se faisant aussi étroit que possible, cherchant encore à se dissimuler.

—Ah! les sauvages, cria l'adjudant. Encore deux ici. Plus moyen de se débarrasser de cette vermine. Dehors, nom de Dieu! dehors!

Il cherchait à s'exciter lui-même, à se mettre en colère, mais ce n'était pas un méchant garçon, et au fond il se sentait le coeur gros, de jeter ainsi dans la nuit pluvieuse ce vieillard mourant de fièvre.

Alors le jeune se leva, et humble, caressant, suppliant:

—Sidi, je t'en prie, laisse-nous. C'est mon père. Tu vois, la fièvre le ronge. Je l'ai amené aujourd'hui de Souk-Arras, mais il ne peut aller plus loin. Ne nous chasse pas, Sidi, nous n'avons fait aucun mal. S'il y avait eu un douar près d'ici, nous serions allés jusqu'au douar. Je l'aurais porté sur mes épaules, mais il n'y en a pas. Laisse-nous pour cette nuit, dans ce petit coin noir. Nous ne ferons pas de bruit, nous ne bougerons pas et nous te débarrasserons demain avant l'aube.

L'adjudant remonta l'escalier.

—Tous partis? demanda l'officier.

—Oui, mon lieutenant… à l'exception d'un vieux négro qui ne peut marcher.

—Un vieux! Il est plus canaille que les autres, alors. C'est lui qui a volé les poules, c'est certain.

—Je ne pense pas. Il est malade et arrive de Souk-Arras.

—Que chantez-vous qu'il ne peut marcher alors? De Souk-Arras, dites-vous? C'est un voleur envoyé par les Kroumirs et il est malade d'indigestion pour avoir dévoré gloutonnement ma poule. Ah! le cochon! vous allez me le flanquer dehors, et vivement, hein!

L'adjudant redescendit, et, honteux de la consigne qu'il exécutait, hésitant encore à l'exécuter, il dit au jeune:

—Allons! négro, va-t-en. Emporte ton père. Le capitaine ne veut pas qu'on reste ici.

Et il s'en alla sans insister davantage et sans regarder en arrière, pensant bien que le négro ne le suivrait pas, esquiva le lieutenant Fortescu et courut à la cantine où son dîner refroidissait.

Mais Fortescu enveloppé dans son caban et tirant d'énormes bouffées de sa pipe, sur le seuil de la porte du Bordj, ne voyant pas sortir ce vieux qu'il se préparait à apostropher au passage, s'impatienta, descendit dans les caves où il finit par découvrir les deux nègres, et se mit à pousser de terribles jurons.

—Sidi, répéta le jeune, c'est mon père. Peut-être as-tu, toi aussi, un père vieux et infirme. Au nom du tien, laisse pour quelques heures le mien ici. Aie pitié de lui, Sidi? Le Prophète a dit: «Aie pitié de ton père et de ta mère infirmes, comme ils ont eu pitié de toi quand tu étais tout petit.» Tu vois, il tremble comme un pan de burnous secoué par le vent.

—A la porte! vociféra Fortescu furieux; mon père est-il un vagabond comme le tien? Filez tous deux, ou je vous fais chasser à coups de fourreau de sabre.

Et il poussa de sa botte le vieux, qui rassemblait toutes ses forces débiles pour se soulever et obéir.

—Sidi, ne le touche pas, sur ta tête, ne le touche pas, s'écria le fils, l'oeil en feu, la lèvre tremblante, poings crispés, menaçant.

La lueur fauve de la lanterne jetait sur le bronze de son corps des teintes de pourpre. Musculeux et terrible, il fit presque peur à Fortescu, peu soucieux de se colleter dans cette cave avec ce géant noir; aussi, reculant jusqu'à l'un des soupiraux ouverts près du poste, il appela:

—Hommes de garde, ici!

Et quand cinq ou six spahis entourèrent le nègre, il lui cingla le dos de sa canne de jonc.

La colère fait commettre des lâchetés aux plus braves.

Et désignant le vieux qui râlait:

—Qu'on jette cela dehors, dit-il, et il ralluma sa bouffarde.

L'oeil du fils s'ensanglanta; cependant il se baissa sans mot dire, souleva son père, l'enveloppa avec soin, et tout nu, le chargeant sur ses épaules, comme Enée fit du vieil Anchise, il sortit du bordj en crachant derrière lui.

La pluie redoublait. La petite maman Jardret, couverte du burnous du marchef, accourut en riant, pour voir ce grand nègre tout nu, emportant ce vieux huché si drôlement sur son dos, tandis que derrière elle, le marchef, abusant des droits que lui octroyait le prêt de son burnous, et profitant de l'ombre, la chatouillait aux endroits sensibles, ce qui lui faisait pousser de petits cris étouffés, pendant que là-bas, la silhouette chancelante, fouettée du vent et battue par l'averse, se perdait peu à peu dans la nuit.

Sous le burnous

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