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VI
ОглавлениеQuand le caïd Hamda-bel-Hassen arriva, vers huit heures, on lui montra le cadavre. Il était là, à la même place, sur le ventre, frappé par derrière, comme un fuyard, de deux coups de feu, l'un à l'épaule, l'autre au flanc.
Il inclina la tête. Rien à dire. C'est la loi de guerre. Toute tentative d'évasion est punie d'une balle.
Il s'en alla sans se plaindre. Les femmes de son douar l'accueillirent par des huées et, du samedi au vendredi, sa plus jeune épouse lui refusa sa couche; mais il jura à toutes que, pour racheter la tête de son nègre, il leur jetterait dix têtes de Roumis.
Le pays, jusque-là relativement tranquille, devint agité, plein de convulsions. Les volcans de colère éclataient de toutes parts. Les prairies somnolentes s'éveillèrent, les montagnes et les gorges tressaillaient.
Le caïd Hamda-bel-Hassen tenait parole. Il prit les dix têtes les unes après les autres, les cueillant des épaules comme des fleurs de leurs tiges, pour apaiser les femmes irritées des Ouled-Ali. Il s'était réfugié dans les abrupts rochers du Djebel, mais chaque fois qu'il descendait dans la plaine, il y laissait sa marque: une large tache de sang.
L'escadron de spahis et la compagnie de zouaves devenus comme autrefois insuffisants, furent renforcés de troupes de Souk-Arras et de Tebessa.
Les bords de l'Oued-Horrirh et de l'Oued-Mellegue s'ensanglantèrent. Deux tribus s'étaient jointes à celle d'Hamda-bel-Hassen, le tout montant à 800 chevaux et environ 1,200 fusils; ce fut l'affaire de quelques semaines. La chasse à l'homme commença. Traqués comme des fauves, ils durent se rendre à merci. Pas de quartier, c'était la consigne. Pris en armes ou sans armes, on les tua comme des chiens. On brûla le pâté de montagne où se retranchait encore Hamda-bel-Hassen. Vignes, moissons, oliviers, figuiers, tout fut bientôt en cendres.
Les vieilles forêts de chênes-lièges flambaient comme des boîtes d'amadou. Les insurgés se défendaient toujours. Hachés, sabrés, minés, roussis, ils brûlaient leur dernière cartouche. Sans cartouche, ils luttèrent avec leurs flissas. La lame brisée, ils mordirent. A coups de crosse on leur brisa les mâchoires.
N'ayant pas de Bazaine, ils n'eurent pas de Metz… mais ils eurent leur Sedan. Et ne possédant ni tribuns, ni avocats, ni politiciens pour les diviser et les corrompre, les derniers qui restaient marchèrent ensemble à la mort.
Cernés dans un creux de rocher au nombre de deux à trois cents, dépenaillés, demi-nus, exténués de fatigue, mourant de soif et de faim, deux mille hommes les mitraillèrent. Ils tombèrent jusqu'au dernier. Encore une fois, la civilisation eut raison de la barbarie.
Fortescu, dans cette bagarre, ramassa son képi de capitaine. Il s'était bravement conduit et ne l'avait certes pas volé.
Il retourna au bordj qu'il commandait en second et, fumant sa vieille bouffarde avec son vêtement de coutil et son képi bleu de ciel tout neuf, il regarda souvent du plateau où se dresse fièrement le bord d'El Méridj, le pays désert, les forêts brûlées qui fumaient encore, et souriant en homme heureux de son oeuvre.
—Et tout ça pour une poule volée, disait-il. Mais nous n'avons pas de reproche à nous faire. On ne peut pas dire que c'est nous qui avons commencé.
—Non, mon capitaine, répondit le sous-lieutenant Péchivé, se souvenant du surnom du nègre Salem (El Kénine), c'est le lapin!