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IV

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Le caïd Hamda-bel-Hassen était mal noté au bureau arabe. Il avait pris part autrefois à tous les soulèvements des Nememchas et, bien qu'ayant fait sa soumission, dans les troubles récents de la frontière, il fut visible à tous qu'il ne nous fournissait qu'à regret son goum.

Cependant, depuis l'installation du camp d'El-Meridj et la construction du bordj collé comme une menace aux flancs de son territoire, il vivait paisiblement en philosophe, entre ses femmes et ses slouguis, se rendant deux fois chaque année à Tebessa avec son trésorier et son secrétaire pour y payer l'impôt, et ne manquant jamais de se faire accompagner d'un mulet chargé d'étoffes de Tunis, de djebiras soutachées, d'oeufs d'autruches, d'armes forgées dans les ksours; cadeaux de peu de valeur, mais qui entretiennent l'amitié et que pouvaient, sans se compromettre, accepter les officiers du bureau arabe.

Aussi parut-il fort surpris de l'irruption des cavaliers rouges; mais faisant une mine souriante, il s'avança à leur rencontre, escorté des kebirs de son douar:

—Soyez les bienvenus, ô les envoyés de Dieu! cria-t-il. Que le salut se répande sur vos têtes! En croirais-je mes yeux ravis? Oui, c'est bien lui, c'est mon ami, l'illustre et vaillant lieutenant Fortescu, le maître du sabre! Comment es-tu, comment vas-tu? Comment vont les tiens, mon cher frère?

—Pas tant de compliments, répliqua brutalement Fortescu qui professait le plus grand mépris pour la civilité puérile et honnête, aussi bien française qu'arabe. Nous savons qui tu es, mon noble seigneur, et ce dont tu es capable. Des hommes de ta tribu ont tiré ce matin même sur des officiers du bordj.

—Des hommes de ma tribu! s'exclama Hamda-bel-Hassen. Est-il possible? Tu me plonges dans la stupéfaction. Tu as été induit en erreur, mon fils.

—Induit en erreur, nom de Dieu! Mais deux balles ont sifflé à mes oreilles, et mon chapeau a été troué.

—Puisque tu l'affirmes, je le crois, car il ne peut sortir que la vérité de ta bouche. Dis-moi donc le nom des maudits et qu'Allah vide ma selle et donne à ma jument un juif pour cavalier, si je n'en fais prompte justice.

—Tu te moques de moi, caïd. Est-ce que je connais tes sauvages. Un négro se trouvait avec eux.

—Un négro! Il n'y de nègre au douar que mon serviteur Salem. Salem, viens ici.

Un grand nègre, jeune et vigoureux, sortit d'une tente, étonné et riant, montrant ses éblouissantes molaires.

—C'est lui! s'écria Fortescu, je le reconnais. Je l'ai chassé du bordj il y a trois semaines. Il nous volait nos poules.

—Ce que tu me dis m'étonne, mon très cher ami, répliqua le caïd. Cet homme ne peut t'avoir volé tes poules; car il nous est arrivé de Souk-Arras, exténué de fatigue et de faim, portant sur ses épaules le corps de son père, le vieux Bou-Beker, mort de fièvre dans la nuit pluvieuse. Nous l'avons accueilli parmi nous.

—Plus de doute, alors. C'est bien lui! Spahis, empoignez cette canaille.

—Arrêtez, mes enfants. Vous êtes musulmans; ne commettez pas un acte injuste. Je veux qu'Allah m'abandonne entre deux cavaleries, si Salem a quitté le douar ce matin!

Devant ce serment, les spahis hésitèrent.

—C'est une rébellion, vociféra Fortescu. Caïd Hamda-bel-Hassen, fais bien attention. Je vais envelopper ton douar et vous pousser tous au bordj. L'ordre que je donnerai est au bout de ta réponse. Livre l'homme de bonne volonté, sinon je le prends de force et alors gare la casse. S'il est innocent, on te le rendra.

En entendant ces mots, le nègre Salem saisit le bas du burnous de son maître et se prosternant:

—Caïd, s'écria-t-il, mon bon seigneur, ne me livre pas. Je m'abrite la tête du pan de ton burnous. Je suis ton esclave et ton hôte. Ne me livre pas, ils ne me rendront plus.

A quelque distance, les gens du douar regardaient farouches et silencieux. Mais sur le seuil des tentes, les femmes écoutaient, et plus ardentes que les hommes, plus nerveuses et aussi plus sensibles à l'injustice et au manque à la foi jurée, elles crièrent:

—Ne le livre pas, caïd. Il est l'hôte de la tribu. Par la tête du Prophète et le serment d'Ebrahim, ne le laisse pas aller. Tu sais bien que ce n'est pas lui qui a tiré sur l'officier français; c'est son frère El Kenine (le lapin), qui court maintenant dans la montagne. Le Roumi a chassé son père mourant, il a tenté de se venger. C'est bien!

Et tous les hommes répétèrent:

—C'est bien.

Le lieutenant fit tirer les sabres.

Vingt-quatre lames nues étincelèrent aux feux du soleil couchant. Cette vue acheva d'exaspérer les femmes.

—Oh! les maudits! hurlèrent-elles, les chiens, fils de chiens! Holà! hommes, nos époux et nos fils, n'est-il donc plus de balles dans vos cartouchières?

Mais le caïd, levant le bras et se tournant vers les crieuses, dit d'une voix impérieuse et grave:

—Paix, femmes! vos langues sont semblables à la queue du scorpion noir; quand elles blessent, elles tuent. Silence! les hommes savent ce qu'ils ont faire.

Puis s'adressant à l'officier:

—Ecoute. Ce qui est écrit est écrit. Mais ton acte est un acte de violence. Je n'aurais qu'à faire un geste et la poudre parlerait. Mais je suis l'ami des Français et avec eux je veux vivre sans dispute. Prends cet homme: je ne te le livre pas, car il est mon hôte, mais je te le confie. Demain, au milieu du jour, j'irai le réclamer à ton bordj; d'ici là, tu auras réfléchi… Femmes, paix! L'officier a dit: S'il est innocent, on le rendra. J'ai sa parole. Que ma tête soit maudite si l'on touche un cheveu de la sienne.

Sous le burnous

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