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III

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Cependant les mercantis, débitants d'absinthe empoisonnée et de vins frelatés, escrocs, banqueroutiers, repris de justice, marchands de tout acabit, debout sur le seuil de leurs huttes, de leurs tentes, de leurs gourbis, gorgés de denrées malsaines, criaient au brigadier de spahis:

—Encore un Kroumir, «grand champêtre!» A quoi bon le conduire à Tebessa? Démolis-le donc dans la broussaille, imbécile. Ce sera toujours une canaille de moins.

—Marche, marche, homme! disait Bel-Kassem, sans même daigner jeter un regard sur cette gueusaille.

Et l'homme passait, la tête haute, l'oeil fixe, plein de dédain aussi, mais pressant le pas, car il sentait siffler à ses oreilles, lui, le hardi voleur arabe, les rires et les insultes des lâches filous chrétiens.

On sortait du village; on s'engageait sur le sentier pierreux de Tebessa, au milieu des genêts des palmiers nains et des bruyères, ce que les mercantis appellent la broussaille, sous les morsures déjà brûlantes du soleil du matin.

L'homme marchait vite. Il n'entendait plus les rires des roumis, mais il sentait sur sa nuque le souffle chaud du cheval.

Bientôt une bonne odeur d'eau fraîche montait avec un bruit de cascade. Il y avait là, où le chemin fait un coude, une place ravissante, enveloppée de lauriers-roses.

Quand les fleurs s'épanouissaient éclatantes sur le vert sombre, c'était un coin du paradis. Les papillons, les scarabées d'or et les libellules s'y donnaient rendez-vous, et les souffles de la brise y avaient d'énervantes mollesses. Il n'y manquait que les houris, et on les voyait parfois dévaler en groupe des douars, jambes et bras nus, pour puiser l'eau dans la rivière qui clapotait au-dessous, au milieu des quartiers de roc détachés de ses flancs pendant le dernier orage. Des chutes, des bouillonnements, des écumes irisées des sept couleurs. Les perdrix rouges venaient y boire, tandis que les grands lièvres au poil fauve regardaient curieusement, oreilles dressées, au milieu des touffes de diss.

C'était là où nous attendions, dans les étouffantes après-midi, les filles des chaouias et où nous faisions l'amour, le pistolet à portée de la main et au poignet la bride du cheval.

C'était la frontière, à trois quarts d'heure du bordj et du village d'El-Meridj, et Ali-bel-Kassem, l'oeil aux aguets, ralentissait son allure.

Et l'autre ralentissait aussi son pas, et, ne sentant plus le naseau du cheval sur sa nuque, reprenait haleine.

Il humait l'air frais, heureux de ce coin d'ombre, et, se retournant, disait:

—Je te prie, Sidi, depuis huit jours, tu le sais, j'étais enterré vivant et privé d'eau dans les ordures d'un silo; au nom du Prophète, permets que je fasse l'oudou el serir.

Un vrai serviteur de Dieu peut-il refuser à un prisonnier qui passe près d'une rivière le droit à la petite ablution? L'ablution est sainte et obligatoire comme la prière, et ce n'est pas le dévot Bel-Kassem, qui eût songé à s'y opposer.

—Fais, répondait-il en détachant le chapelet de son cou, je te donnerai tout te temps que je mettrai à prononcer les quatre-vingt-dix-neuf noms d'Allah!

Et il égrenait les grains d'ivoire un à un, sans se presser, murmurant sur chaque, un des noms de Dieu:

Dieu le Grand;

Dieu le Miséricordieux;

Dieu le Juste;

Dieu l'Immuable;

Dieu le Maître de l'heure.

Pendant que le bédouin se laissant glisser le long de la pente crayeuse, et s'accroupissant, baignait sa face et plongeait avec délices ses jambes et ses bras dans l'eau.

Du haut de sa monture, immobile sur le bord, le grand champêtre ne le quittait pas de l'oeil, continuant sa litanie:

Dieu le Vivant;

Dieu le Très-Haut;

Dieu le Clément,

Et quand il avait fini, il se récitait le verset:

…. Le Prophète a dit: «Celui que la mort surprendra la prière au lèvres ou au moment d'une action louable ou d'un acte religieux, celui-là est béni.»

Puis il replaçait méthodiquement le chapelet à son cou, par dessus son burnous rouge, portait la main sur la poignée de son pistolet, le tirait lentement de sa gaine, et l'armait sans bruit.

Et le corps penché, l'avant-bras appuyé sur l'épaule du cheval, il visait à son aise pendant une ou deux secondes.

—Les chrétiens maudits l'ordonnent, mais, par le Koran glorieux, tu te feras leur accusateur lorsque le soleil sera ployé et qu'on déroulera la feuille du Livre. Alors leur compte sera affreux, leur demeure la géhenne. Et tu te féliciteras, car tu auras passé le Sirak! Adieu, homme, l'archange Gabriel va te prendre pour que tu contemples la face du Maître.

Il marmottait cela entre ses dents, comme un dévot qui prie, tout en ajustant la nuque.

—Va, mon fils, c'était écrit.

Et il lui cassait la tête. Rarement il manquait son but. En ce cas, il achevait la besogne à coups de sabre. Le corps roulait et s'abîmait dans le torrent. Quelquefois, le vent qui soufflait des crêtes du Bou-Djaber apportait jusqu'au village d'El-Meridj le bruit de la détonation.

—Entendez-vous? disaient les mercantis. Encore ces cochons de Kroumirs qui assassinent en plein jour. Ont-ils du toupet, ces gueux-là!

Sous le burnous

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