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VIII

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Enfin la connaissance était faite.

Mais cette banale poignée de main n'était pas pour Aurélien un engagement suffisant, et il importait qu'en cette première rencontre des relations plus solides s'établissent entre lui et le frère de Bérengère.

—Est-ce que le Saint-Père reçoit à l'heure précise fixée par la lettre d'audience? demanda-t-il.

—Ma foi, je n'en sais rien, c'est la première fois que je viens ici.

—Ah! vraiment.

—Cela vous paraît drôle que je n'aie pas encore vu le pape; cela est, cependant. D'ailleurs, il me semble que c'est souvent ainsi que les choses se passent; les habitants d'une ville n'ont jamais vu les curiosités de leur pays que tous les étrangers connaissent. Enfin ça devenait ridicule de n'être pas encore venu au Vatican. J'ai fini par faire demander une lettre d'audience, et me voilà.

—Alors vous ne connaissez pas les habitudes pontificales?

—Pas plus que vous; seulement il me semble que l'exactitude est la politesse des souverains; c'est comme cela qu'on dit, n'est-ce pas? Et pour le moment je voudrais bien qu'il en fût ainsi, car je n'ai pas déjeuné.

Aurélien arrêta ce mot au passage.

—Il est de fait que moi aussi je commence à avoir faim.

Cela n'était peut-être pas très-exact, car il avait déjeuné avant de monter en voiture; mais c'était un jalon qu'il pouvait être utile de planter dès maintenant.

—Enfin, continua Michel, espérons que le pape va bientôt nous recevoir.

Aurélien ne répondit pas, mais tout bas il fit des voeux pour que ce moment n'arrivât pas de si tôt.

Tout en parlant, Michel avait atteint sa lettre d'audience pour voir de nouveau l'heure qu'elle fixait.

—Elle porte bien onze heures, dit-il.

Puis, du corps de la lettre, ses yeux allèrent à une note imprimée en marge.

Alors, montrant cette note à Aurélien, il lut en traduisant:

«Les dames seront reçues en robe noire, avec un voile sur la tête, et les hommes en uniforme ou en frac noir et en cravate blanche.»

Et se mettant à rire:

—Est-ce que ces exigences ne sont pas étranges chez le vicaire de celui qui a voulu naître dans une étable? dit-il.

Avec tout autre, Aurélien aurait vertement relevé cette observation inconvenante, mais avec Michel, il garda un silence prudent; à quoi bon engager une discussion qu'il n'aurait pas la liberté de mener à bonne fin?

—Pendant qu'on prenait ces précautions d'étiquette, continua Michel, on aurait bien dû parler des gants: voilà deux Français, là-bas, qui vont s'attirer des observations de quelque majordome, parce qu'ils sont irréprochablement gantés; pourquoi n'avoir pas dit qu'on ne paraît plus ganté devant le Saint-Père depuis que Colonna mit sa main gantée sur la joue d'un pape, lequel gant, au lieu d'être en chevreau, était en fer.

Cette fois Aurélien ne fut pas maître de retenir sa langue.

—Vous savez que c'est une fable, dit-il; jamais Sciarra Colonna n'a donné de soufflet à Boniface VIII.

—Vous croyez? je le veux bien; en réalité, cela m'est égal.

Ils parlaient dans l'embrasure de la fenêtre, tournés vers la ville, et devant eux, dans la prairie qui s'étend au bas des jardins du Vatican et va jusqu'au château Saint-Ange, des fantassins et des cavaliers de l'armée italienne faisaient l'exercice; de temps en temps, quand la bise soufflait, les roulements du tambour et les éclats du clairon faisaient résonner les vitres.

—Vous voyez, dit Michel en étendant la main dans la direction de cette prairie, qu'on peut en tout temps manquer de respect ou d'égard envers un pape. Ces soldats, ce bruit du tambour et du clairon vous le prouvent. J'aimerais mieux avoir reçu un soufflet comme Boniface VIII, que d'entendre tous les jours, comme Pie IX, ces clairons et ces tambours.

—C'est une infamie.

—Je ne sais pas, mais à coup sûr c'est une maladresse; il y a à Rome d'autres places que cette prairie pour faire l'exercice du clairon et du tambour; on ne parade pas sous les yeux de ceux qu'on a vaincus. Le chanoine ne vous a pas parlé de ces soldats?

—Nullement.

—Pourtant l'occasion était bonne pour vous faire causer.

—Ne vous trompez-vous pas? êtes-vous bien sûr que cet ecclésiastique soit un chanoine de Saint-Pierre?

—Oh! parfaitement sûr; je ne sais pas son nom, mais je l'ai vu il y a deux ou trois jours dans sa stalle de la chapelle Clémentine, et je l'ai remarqué tout particulièrement, à cause de sa désinvolture et de sa façon de tourner sur les talons, quand il venait saluer l'autel. Je n'ai pas des habitudes de dévotion, mais je vais quelquefois, quand je n'ai rien de mieux à faire, assister aux offices dans Saint-Pierre: on est certain de rencontrer là des étrangères plus ou moins jolies, qui sont curieuses à étudier, quand elles cherchent à apercevoir les castrats qui, dit-on, chantent encore dans la tribune.

—Vous avez été distrait par ces étrangères?

—Je vous assure que j'ai parfaitement reconnu votre chanoine, qui maintenant fait métier de mouton, comme on dit dans les prisons. On a voulu vous tâter, et l'on ne vous a abandonné que quand on a vu que vous ne vous livreriez pas.

Le temps s'écoula; la demie, les trois quarts, midi sonnèrent.

Michel déclara qu'il allait attendre encore dix minutes, puis qu'il s'en irait.

Il ne voulait pas crever de faim; ah! non, par exemple.

Mais à midi cinq minutes la porte opposée à celle par laquelle ils étaient entrés s'ouvrit devant un camérier qui annonça que «Sa Sainteté» allait paraître.

Il se produisit un mouvement général et un brouhaha.

Une voix dit:

—A genoux.

—Comment, à genoux? murmura Michel.

—Mais, sans doute, dit Aurélien.

—Au fait, qu'importe? je me traînerais bien à quatre pattes pour voir le grand lama.

Et il s'agenouilla à son tour auprès d'Aurélien.

Ils étaient tous disposés sur une seule file: les trois ecclésiastiques près de la porte par laquelle le pape devait entrer, après eux venaient le monsieur au carnet, Aurélien, Michel, les deux Français, et à la fin le personnage aux paquets enveloppés de papier blanc.

On entendit un murmure de voix, puis comme le bruit d'un bâton frappant des coups irréguliers sur le parquet, et le pape parut entouré de cardinaux en soutane noire ourlée de rouge, d'évêques en violet, d'un majordome, de camériers et de deux gardes-nobles.

Au milieu de ces costumes plus ou moins sombres, le pape, tout en blanc, formait un centre lumineux; il s'avançait en s'appuyant sur une grosse canne, traînant un peu la jambe, et sa figure, bien que pâle, respirait la santé et le contentement; la physionomie générale était noblement bénigne avec quelque chose de spirituel et de malicieux dans le sourire.

Les deux prêtres en soutanes neuves s'étaient prosternés devant lui et ils tâchaient de baiser ses souliers de cuir rouge brodé d'or, mais il les releva avec un geste qui disait que ces adorations n'étaient pas pour lui plaire.

Alors ils lui tendirent une tabatière, dans laquelle on entendit sonner des pièces d'or; il la prit d'un air assez indifférent et la passa à une des personnes de sa suite; puis doucement, avec bienveillance, il leur adressa en français quelques questions sur leur pays, qui était le Canada.

Le monsignore, qui le précédait, demandait les lettres d'audience aux personnes agenouillées, et nommait ces personnes au pape, en disant par qui elles étaient présentées.

—Que voulez-vous de moi? demanda le pape, en arrivant devant le personnage au carnet.

Celui-ci parut interloqué et hésita un moment.

—Présenter mes hommages à Votre-Sainteté.

Le pape le regarda pendant une ou deux secondes.

—Il faut me demander quelque chose.

Il n'y eut pas de réponse.

Alors le pape le regarda plus attentivement; puis, lui mettant la main sur le front:

—Eh bien! je vous donne ma bénédiction.

Et il passa à Aurélien, qu'il questionna assez longuement sur l'université de Louvain.

—Restez-vous longtemps à Rome?

—Je l'espère, Saint-Père.

—Alors je vous reverrai.

A Michel, au contraire, il ne demanda rien, et lui donna seulement son anneau à baiser en passant rapidement devant lui.

Mais avec les deux jeunes Anglais, il ne garda pas cette réserve, et il leur adressa plusieurs questions en français.

Puis, avant de s'éloigner d'eux, il les regarda en souriant:

—Puisque vous êtes venus à moi, dit-il, il faut rester avec moi.

Ils montrèrent un véritable ébahissement.

Alors il leur donna son anneau à baiser; puis, se tournant vers un des cardinaux de sa suite, en gardant son sourire:

—Expliquez à ces jeunes gens, dit-il, le sens des paroles que je viens de leur adresser; ils ont besoin d'être catéchisés.

Et il ajouta en parlant à tous:

—Il faut qu'ils restent avec moi.

Il était ainsi arrivé au monsieur qui avait déposé sur le fauteuil sa provision de boîtes et de paquets.

Profitant de ce que personne ne faisait attention à lui, celui-ci avait développé ses papiers et avait étalé autour de lui, sur le tapis, tout un déballage de chapelets, de médailles, de statuettes, de madones; il y avait des vierges en cuivre doré, une statuette en bronze d'après le saint Pierre de Saint-Pierre, des saints, des saintes.

Le nom que le monsignore prononça ne fut pas celui d'un marchand d'objets de piété, comme on aurait pu le supposer, ce fut celui d'un dignitaire de la cour de Munich.

On se releva et on accompagna le pape jusqu'aux portiques de la cour Saint-Damasse. Sur son passage les hallebardiers s'agenouillaient la tête inclinée.

Aurélien n'avait eu garde de se séparer de Michel.

Et ils descendirent ensemble l'escalier qui mène à la sortie.

—Il a l'esprit d'à-propos, le saint-père, dit Michel; avez-vous vu comme il a imposé sa bénédiction à ce monsieur qui ne voulait pas la lui demander, et les jeunes Anglais, les a-t-il bien collés! Je me retenais pour ne pas rire.

Et libre maintenant, il se mit à rire aux éclats.

Mais tout à coup s'arrêtant:

—C'est égal, il a fallu payer ce plaisir trop cher; je meurs de faim; jamais je ne pourrai gagner le Corso sans défaillance.

—Est-ce qu'il n'y a pas un café, un restaurant sur la place Rusticucci?

—Une gargote.

—Quand on meurt de faim... Pour moi, je m'arrêterai là volontiers, et, si vous voulez me faire l'honneur d'accepter le pauvre déjeuner que je vais me faire servir, je serai heureux de le partager avec vous.

—Au fait, pourquoi pas; il est bon de tout connaître.

Et comme deux amis, ils entrèrent dans un restaurant qui, à vrai dire, n'avait rien d'engageant.

Mais Aurélien avait bien souci de ce qu'on pouvait leur servir: maintenant qu'il tenait le frère de Bérengère, il s'agissait de ne pas le laisser échapper.


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