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XI

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Table des matières

Un matin, comme madame Prétavoine se préparait à sortir pour se rendre à l'église, on frappa à sa porte quelques petits coups discrets qui ne ressemblaient en rien à ceux par lesquels les gens de l'hôtel s'annonçaient ordinairement.

Elle alla ouvrir et se trouva en face du domestique de Mgr de la Hotoie.

—Comment c'est vous, monsieur Baldassare!

Dans la bouche de madame Prétavoine, le «Monsieur» prit une importance considérable, qui montrait bien en quelle estime elle tenait la personne à laquelle elle s'adressait.

—Je viens pour vous dire...

—Avant tout entrez, je vous prie, et dites-moi comment se trouve ce matin votre charmante petite fille.

—Mais bien, je vous remercie: je viens pour vous dire...

—Vous me direz ce qui vous amène tout à l'heure: présentement je ne veux qu'une chose, des nouvelles de votre chère, de ma chère Cécilia.

—Mais bien, très-bien comme à l'ordinaire.

—Quel bonheur! figurez-vous que j'ai rêvé d'elle toute la nuit; cela n'est pas étonnant, je pense si souvent à elle, je l'aime tant la mignonne enfant, car elle est mignonne comme il n'est pas possible de l'être, j'ai donc rêvé d'elle; un rêve affreux; elle était malade.

—Ah! sainte Vierge, s'écria Baldassare, superstitieux comme un vrai Romain et voyant dans ces paroles un funeste présage.

—Alors je sortais ce matin pour aller chez vous prendre de ses nouvelles; mais vous voilà, vous me dites qu'elle est bien, cela me rassure.

Si madame Prétavoine était rassurée, Baldassare était inquiet; on ne rêve pas ainsi qu'une enfant est malade sans que ce rêve ait une signification; il avait hâte de rentrer près de Cécilia, il se dépêcha donc de dire à madame Prétavoine ce qui l'amenait à la Minerve; Monseigneur venait d'arriver; il resterait chez lui toute la journée.

Puis il se sauva pour courir auprès de Cécilia, qui malgré le rêve de madame Prétavoine, était en bonne santé comme à l'ordinaire et ne pensait qu'à jouer, inquiète seulement de l'arrivée de monseigneur, parce qu'il allait la reprendre lorsqu'elle oublierait qu'en français l'u ne se prononce pas ou.

Madame Prétavoine avait longuement agité la question de savoir si elle se ferait accompagner par Aurélien pour se présenter chez Mgr de la Hotoie, ou bien si elle irait seule, et tout bien examiné elle s'était arrêtée à ce dernier parti, la présence d'Aurélien pouvant rendre l'entretien plus difficile.

Quand Baldassare ouvrit la porte à l'amie de sa fille, il commença par rassurer celle-ci sur la santé de Cécilia.

—Décidément le rêve était faux, l'enfant était en bonne santé.

Puis cela dit, à la grande joie de madame Prétavoine qui montra sa satisfaction d'une façon démonstrative, il la conduisit dans la pièce où Mgr de la Hotoie donnait ses audiences.

Ne voulant pas exciter la jalousie, ce qui à Rome est très grave, ni s'exposer à la réputation de savant, ce qui ne l'est pas moins, Mgr de la Hotoie avait trouvé une manière ingénieuse de faire entrevoir à ses visiteurs sa belle collection, malgré lui et malgré eux. Pour cela il avait établi son cabinet de travail dans la pièce située à l'extrémité du palais, de sorte que pour arriver jusqu'à lui, il fallait traverser une enfilade de neuf grandes salles dans lesquelles cette collection était exposée: salle des monnaies et des médailles, salle des antiquités étrusques, salle des ustensiles de ménage en terre et en bronze analogues aux petits bronzes du musée de Naples, salle des antiquités chrétiennes provenant des catacombes, salle des inscriptions, salle des tableaux, salle des livres, etc., etc. S'il n'avait obéi qu'à ses goûts il eût habité cette salle des livres. Mais voulant éloigner ce qui pouvait rappeler le savant, il s'était entouré de tout ce qui dans sa collection était simplement curiosité ou objet d'art, et par ses meubles, par ses tableaux, par ses bronzes, par ses marbres, par ses poteries, par ses faïences, par ses tentures, son cabinet était plutôt le salon d'un amateur qu'un véritable cabinet de travail; la table sur laquelle il écrivait était un simple petit guéridon sur lequel il n'y avait place que pour un tout petit encrier, une plume et un cahier de papier à lettre; assurément cela n'indiquait ni le savant, ni le travailleur. Car il connaissait bien Rome, et savait qu'il n'est permis qu'à celui qui ne veut rien et qui a renoncé à l'ambition, d'étudier et de travailler sérieusement: le père Secchi ne sera jamais que le père Secchi, un savant astronome, rien de plus; les pères Marchi et Tongiorgi n'ont été que de savants archéologues; et Mgr de la Hotoie ne voulait pas n'être qu'un savant.

Lorsque madame Prétavoine, précédée par Baldassare, entra dans ce salon, elle trouva Mgr de la Hotoie assis devant ce guéridon et occupé à écrire.

Elle lui tendit la lettre de l'abbé Guillemittes, et pendant qu'il la lisait elle l'examina à la dérobée.

C'était un homme de moyenne taille, un peu grosse, mais qui dans sa jeunesse avait dû être élégante; la tête belle et noble, mais avec quelque chose de bizarre dans les yeux qui troublait et inquiétait; ces yeux étaient la mobilité même et ne se fixaient sur rien; on ne voyait d'eux qu'un éclair aussitôt éteint qu'allumé; pendant la lecture de sa lettre, qui était longue, il est vrai, madame Prétavoine perçut plus de vingt fois la sensation de cet éclair qui glissait jusqu'à elle et se voilait aussitôt; cela la mit si mal à l'aise qu'elle n'osa plus l'étudier, et vit seulement qu'il était plus soigné, plus coquet que ne le sont ordinairement les ecclésiastiques; par la manche de sa soutane on voyait les manchettes en dentelle; ses cheveux étaient frisés et parfumés.

—Madame, je suis tout à votre disposition et entièrement à vous aussi bien qu'à Guillemittes; que puis-je pour vous?

Parlant ainsi, il tint ses yeux levés sur madame Prétavoine, ou plus justement dans sa direction, car son regard, au lieu de s'arrêter sur elle, allait jusqu'à une glace de Venise à laquelle elle tournait le dos.

C'était en effet l'habitude de Mgr de la Hotoie de parler en se regardant dans cette glace, et pour cette contemplation seulement, qui sans doute lui était agréable, ses yeux gardaient une certaine fixité; son siége et celui qu'occupait la personne qui le visitait étaient placés à l'avance, de manière à ce que le visiteur tournât le dos à la glace, tandis que lui-même lui faisait face, de sorte que, tout en paraissant s'adresser à son interlocuteur et le regarder, c'était à lui-même qu'il souriait avec des mines gracieuses qui étaient pour lui seul.

Madame Prétavoine fut un moment interloquée par cette question directe et précise qui lui était posée de façon à l'obliger de s'expliquer franchement, ce qu'elle n'aimait guère.

—Je croyais, dit-elle, que l'abbé Guillemittes...

—Guillemittes, dans sa lettre qui est un peu entortillée, me dit que vous venez à Rome pour y trouver le moyen de marier, dans votre pays, M. votre fils à une jeune personne appartenant à la haute noblesse; il faut que pour cela vous obteniez de notre Saint-Père un titre de noblesse pour M. votre fils; il me demande donc de vous guider dans vos démarches pour l'obtention de ce titre, et il me prie de mettre mon influence, l'influence qu'il me suppose et que son amitié m'attribue, à votre disposition. De plus, il me dit encore qu'il a besoin de mes services pour lui-même dans des conditions qui me seront expliquées par vous, madame. Je vous prie donc de me dire comment je puis vous être utile et comment je puis servir Guillemittes. Pour vous, madame, aussi bien que pour lui, je suis prêt.

C'était une confession entière que l'évêque de Nyda voulait, et il était évident qu'il fallait la faire.

Madame Prétavoine la fit donc; seulement elle l'arrangea un peu dans certaines parties.

—Son fils aimait passionnément mademoiselle Bérengère de la Roche-Odon, petite-fille du comte de la Roche-Odon.

—Celui qui, malgré son âge, n'hésita pas à s'engager dans l'armée pontificale et à combattre à Castelfidardo et à Ancône?

—Lui-même.

—Par conséquent, cette jeune personne est la fille de madame la vicomtesse de la Roche-Odon, autrefois princesse Sobolewska, qui présentement habite Rome?

—Précisément.

Et madame Prétavoine continua sa confession ou plutôt son récit.

—Cette passion était telle que si son fils n'obtenait pas la main de mademoiselle de la Roche-Odon, il pouvait mourir de désespoir. Il fallait donc que ce mariage réussît. Le principal obstacle, le seul qu'on rencontrât, était la naissance de mademoiselle de la Roche-Odon; car, pour la fortune, il y avait à peu près égalité; la jeune fille ne possédant rien présentement, et la fortune du vieux comte de la Roche-Odon, autrefois considérable, ayant été gravement endommagée par des dettes énormes que le vicomte avait contractées et que son père avait tenu à payer intégralement. C'était pour aplanir cet obstacle que l'abbé Guillemittes avait pensé, car l'idée venait de lui et de lui seul, à obtenir du Saint-Père un titre de noblesse.

Pendant que madame Prétavoine parlait, l'évêque continuait à se regarder dans la glace; à cette conclusion, il se fit un signe de tête que madame Prétavoine prit pour elle, et qu'elle interpréta comme un blâme, ou tout au moins comme un doute.

—Qu'elle voulût ce mariage qui devait assurer le bonheur de son fils, cela était tout naturel, car elle adorait ce fils qui était tout pour elle, sa consolation,—elle avait la douleur d'être veuve,—et son espérance. Mais ce n'était point par des considérations de ce genre que l'abbé Guillemittes désirait ce mariage, et l'appuyait de toutes ses forces. C'était parce qu'il devait puissamment venir en aide à la religion menacée en France, à l'Église indignement persécutée. En effet, c'était pour être le défenseur de la religion et de l'Église, que ce fils avait été élevé. C'était là le but de sa vie, et la tâche qu'il s'était imposée. Élève de l'université de Louvain, il s'était préparé, par de fortes études, à cette mission, et il la remplirait courageusement sans se laisser distraire par aucun intérêt terrestre. Quelle influence, quelle autorité n'aurait pas un homme ainsi préparé, ainsi résolu, alors qu'il serait devenu le gendre du comte de la Roche-Odon? Ainsi considéré, ce mariage n'était plus une affaire personnelle du succès de laquelle dépendait le bonheur de celui-ci et de celle-là, c'était le triomphe de la religion et de l'Église. Ce que M. l'abbé Guillemittes demandait au Saint-Père, ce n'était point un vain titre, c'était une arme pour résister à l'envahissement des mauvais principes, et assurer le triomphe des bons. Elle, mère, avait offert son fils à Dieu; maintenant elle demandait au Saint-Père de prendre ce fils et d'en faire le soldat de l'Église.


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