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III

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Le quartier de Rome habité par les étrangers, par les forestiers, comme on dit, est celui de la place d'Espagne, avec ses rues environnantes, via Sistina, via Gregoriana. En effet, il n'y a guère que là qu'on trouve un peu de confort dans le logement et dans son ameublement; ailleurs, les appartements sont généralement distribués et meublés à la romaine, c'est-à-dire d'une façon un peu trop primitive pour qui veut faire un long séjour à Rome. Et puis, raison meilleure encore, ce quartier est à la mode.

C'était rue Gregoriana que demeurait madame la vicomtesse de la Roche-Odon, dans une maison neuve et de belle apparence.

Ce fut à la porte de cette maison qu'Aurélien déposa sa mère.

Au coup de sonnette discret de madame Prétavoine, un petit domestique italien de treize à quatorze ans vint ouvrir la porte.

—Madame la vicomtesse de la Roche-Odon?

Il parut hésitant, mais il y avait cela de particulier dans son hésitation qu'il se montrait beaucoup plus disposé à rejeter la porte sur le nez de la personne qui se tenait devant lui, qu'à la lui ouvrir.

Mais madame Prétavoine ne lui permit pas d'accomplir son dessein, car se glissant vivement et adroitement par la porte entre-bâillée, elle était dans le vestibule avant qu'il se fût décidé.

Il la regarda un moment interloqué, puis lui tournant le dos, il alla à une porte et il appela avec son accent italien:

—Mademoiselle Emma.

Presque aussitôt arriva une personne de tournure imposante, âgée de quarante ans environ, parée, attifée avec prétention, et qui devait être une femme de chambre maîtresse ou une dame de compagnie.

Madame Prétavoine lui exposa son désir, qui était de voir madame la vicomtesse de la Roche-Odon.

Pendant qu'elle parlait, mademoiselle Emma la toisait des pieds à la tête et la dévisageait.

Cet examen ne fut sans doute pas favorable, car mademoiselle Emma répondit que sa maîtresse ne pouvait pas recevoir.

Madame Prétavoine reprit ses explications, d'une voix douce, et elle entra dans des détails qui devaient faire comprendre à cette femme de chambre l'importance qu'elle lui reconnaissait.

—Elle venait de Condé-le-Châtel, le pays de M. le comte de la Roche-Odon, beau-père de madame la vicomtesse.

—Il y a longtemps que je suis avec madame; je connais M. de la Roche-Odon, dit la femme de chambre d'un ton qui montrait que le moyen pour se mettre bien avec elle, n'était pas de lui parler «du beau-père de la vicomtesse.»

—Alors, poursuivit madame Prétavoine sans s'émouvoir, vous devez connaître M. Filsac, avoué à Condé, et qui s'est occupé des affaires de madame la vicomtesse; c'est de sa part que je me présente avec une lettre de lui.

Disant cela, elle tira en effet une lettre de sa poche.

—C'est différent, je vais alors prévenir madame; mais en tous cas, elle est occupée en ce moment.

—J'attendrai.

Mademoiselle Emma la fit entrer dans un tout petit salon qui communiquait avec le vestibule; puis elle se retira pour aller prévenir sa maîtresse, et en s'en allant elle tira la porte de ce vestibule, mais néanmoins sans la fermer complétement.

Madame Prétavoine s'était tout d'abord assise, et elle avait tiré de sa poche un petit livre relié en chagrin noir qui devait être un livre d'heures ou de prières, qu'elle avait ouvert; mais la femme de chambre partie, au lieu de se mettre à lire dans son livre, elle le posa tout ouvert sur une table qui était devant elle, et se levant vivement, en marchant avec précaution sur le tapis, elle commença à examiner curieusement les choses qui l'entouraient, meubles, tentures et gravures de la calcographie accrochées aux murs.

Mais ce qui provoqua surtout son attention, ce furent des cartes de visite jetées pêle-mêle dans une coupe de bronze.

Elle les prit et commença à les lire, mais les noms qu'elles portaient étant pour la plupart étrangers et par suite assez difficiles à retenir; elle tira un carnet de sa poche et se mit à les copier rapidement.

Pour ce qu'elle se proposait, il pouvait lui être utile de savoir avec qui madame de la Roche-Odon était en relations, et puisqu'une sotte habitude permet qu'on fasse ostentation des cartes qu'on reçoit, elle eût été bien simple de ne pas profiter de cette bonne occasion.

Un coup de sonnette vint l'interrompre dans son travail; rapidement elle abandonna les cartes et reprit son livre, de peur d'être surprise par un nouvel arrivant.

En reculant d'un pas, il se trouva que par la porte entre-bâillée elle pouvait voir dans le vestibule.

Son livre à sa main, elle glissa ses yeux jusque-là.

Le petit domestique qui l'avait reçue venait d'ouvrir la porte, mais en reconnaissant celui qui se présentait, il lui avait fait signe qu'on ne pouvait entrer, en l'arrêtant d'une main et en mettant l'autre sur ses lèvres.

Ce nouvel arrivant était un jeune homme vêtu avec élégance, portant au cou une cravate voyante et aux mains des pierreries qui jetaient des feux; son visage était rasé comme celui d'un prêtre ou d'un comédien, ses cheveux noirs étaient frisés.

Comme le dialogue qui s'était engagé entre lui et le petit groom, avait lieu à voix basse et en italien, madame Prétavoine n'entendait pas les paroles qu'ils échangeaient rapidement, et deux mots seulement arrivaient jusqu'à elle: «mylord et Ardea.»

Mais lorsque deux Italiens s'expliquent, il n'est pas indispensable bien souvent d'entendre ce qu'ils disent, pour les comprendre il n'y a qu'à les regarder, tant leur mimique est expressive.

Et madame Prétavoine ne perdait pas un de leurs mouvements.

—Ma maîtresse est avec «mylord,» disait le groom, vous ne pouvez pas entrer.

Là-dessus la physionomie du jeune élégant avait exprimé un vif mécontentement.

—Ardea, avait-il dit en accompagnant ce nom de pays d'autres mots que madame Prétavoine n'avait pas entendus.

—Revenu à l'improviste, avait répliqué le groom.

—Et va-t-il bientôt s'en aller?

Deux bras grands ouverts, la tête baissée en avant furent une réponse qui n'avait pas besoin de traduction.

Pendant ce temps mademoiselle Emma était arrivée et apercevant celui qui se tenait dans la porte entrebâillée, elle avait laissé échapper une sourde exclamation de mécontentement.

Puis s'avançant vivement:

—Mylord est revenu d'Ardea, dit-elle.

—Reste-t-il?

—Je crois qu'il va repartir; je vous ferai prévenir.

Et moitié par persuasion, moitié par force, elle l'avait repoussé et lui avait mis la porte sur le nez.

Immédiatement madame Prétavoine avait repris son livre, et s'asseyant elle s'était plongée dans une lecture si attentive, qu'elle allait jusqu'à prononcer des lèvres les mots qu'elle lisait.

Bien lui avait pris de se hâter, car Emma, après avoir congédié le visiteur, s'était retournée, et elle avait aperçu la porte du salon entre-bâillée.

Alors la pensée s'était présentée à son esprit que la dame qu'elle avait fait entrer dans ce salon, avait pu entendre ou tout au moins voir ce qui venait de se passer, et vivement elle était venue s'assurer de la réalité de ses soupçons.

Mais la dame introduite dans le salon était si profondément absorbée dans sa pieuse lecture, qu'elle ne leva même pas la tête quand Emma entra; ce fut seulement quand celle-ci se trouva devant elle qu'elle l'aperçut.

—Eh bien? demanda-t-elle, reprenant les choses au point où elles avaient été interrompues.

—Madame la vicomtesse prie madame de vouloir bien l'attendre.

—Vous voyez, c'est ce que je fais, dit madame Prétavoine, gracieusement.

Et aussitôt elle s'enfonça de nouveau dans son livre.

—Voilà une bigote, se dit Emma, qui ne voit pas plus loin que son nez.

Et comme elle était Parisienne, elle ajouta en riant toute seule:

—... Un nez de province encore; ils sont jolis les indigènes du pays du comte de la Roche-Odon.

Et le mépris qu'elle professait pour ce vieil avare qui ne voulait pas mourir, se trouva singulièrement augmenté par le mépris que cette femme noire lui inspirait. Elle avait de la religion, mademoiselle Emma, «comme tous les gens comme il faut,» mais elle n'aimait pas les dévots.

Pour madame Prétavoine, restée seule, elle avait de nouveau abandonné son livre pour réfléchir.

Ce qu'elle venait de voir et d'entendre était assez clair pour qu'un grand effort d'esprit ne lui fût pas nécessaire.

«Mylord» était l'amant de madame de la Roche-Odon, l'amant en titre, celui pour lequel on avait des égards et dont sans doute on dépendait à un titre quelconque et ce titre n'était pas bien difficile à deviner pour qui connaissait la position embarrassée de la vicomtesse: on n'habite pas un appartement complet, au premier étage de la via Gregoriana, avec plusieurs domestiques, sans de grosses dépenses. Qui fournissait à ces dépenses?—Mylord.

Quant au jeune élégant qu'on renvoyait, c'était un amant subalterne, avec qui l'on ne se gênait point, et qui malgré son mécontentement acceptait assez volontiers son rôle.

Comme elle en arrivait à ce point de son raisonnement, elle entendit un bruit de voix dans le vestibule.

Rapidement elle reprit son livre.

Et presqu'aussitôt la porte s'ouvrit devant la vicomtesse de la Roche-Odon.


Comte du Pape

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