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CHAPITRE V

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Table des matières

L’Enfant de Foix s’en alla donc jusqu’à Pampelune, ayant dit grand adieu à sa mère. La pauvre dame pleurait fort et était toute désespérée.

«Ah! disait-elle, quelque chose me dit au cœur que je ne vous reverrai plus, mon beau fils, vous qui avez été toute la joie de mes yeux, depuis que je vous nourris de mon sein. Monseigneur votre père ne vous laissera plus revenir ici.»

L’Enfant la réconfortait et consolait de son mieux.

«Jamais monseigneur mon père ne mettra empêchement à ce que je vous vienne voir, disait-il; il sait trop bien ce que je vous dois, et d’ailleurs ne suis-je plus un enfant à la mamelle; je vous veux amener une autre fois Béatrix ma femme, qui vous mettra le cœur en joie, ainsi qu’elle le sait faire à tous. Si elle-même n’eût eu si grande envie de voir le comte d’Armagnac son père, elle m’aurait bien accompagné céans. Venez avec moi, madame, jusqu’à ce point de mon voyage, pour la voir et l’entendre; après quoi vous reviendrez ici si vous voulez.»

La dame comtesse regardait piteusement son fils:

«Je ne saurais le faire, disait-elle, Monseigneur serait encore plus irrité contre moi si j’allais en la cour du comte votre beau-père, au lieu de rentrer en la sienne, et je ne sais même si mon frère me voudrait ensuite recevoir. Allez, allez, Gaston, mon beau-fils, mais sachez bien que jamais vous ne reverrez votre mère, et que votre mère ne vous reverra plus.»

Elle pleurait en l’embrassant, ainsi que femme éplorée; l’Enfant pleurait aussi, mais sans partager ses craintes.

«Pourquoi ne reviendrais-je pas? disait-il dans la confiance de sa jeunesse; nul ne saurait trouver mauvais que je vienne voir madame ma mère.»

Le roi de Navarre se tenait toujours à Pampelune, fort occupé des querelles du pays d’Espagne auxquelles il prenait part; il avait naguère soutenu le roi don Pèdre contre le roi d’Aragon, et il avait ouvert ses passages des montagnes à l’armée que le prince de Galles menait en Espagne au secours de ce prince; partout il avait la main dans les intrigues, et ne se plaisait à rien tant qu’à poursuivre longuement ses ennemis. Après avoir été en bonne paix et intelligence avec le roi Charles le Sage de France, il s’était allié de nouveau aux Anglais et leur avait cédé sa ville et son port de Cherbourg, par où ils avaient belle entrée dans le royaume de France. On le craignait donc en tous lieux, et les oncles du jeune roi Charles VI le redoutaient et le haïssaient autant que l’avaient fait le roi Charles V, leur frère, et le roi Jean leur père. Il était cependant toujours beau chevalier; pour lors âgé de cinquante ans, et si grand et habile parleur qu’en sa présence tous étaient toujours de son avis et ne doutaient pas de ce qu’il disait. L’Enfant de Foix était ravi quand il entendait parler le roi son oncle:

«Mon seigneur de père sait bien dire ce qu’il dit, pensait-il, et chacun prend grand plaisir à ses discours, mais il ne sait pas ou ne veut pas charmer par sa langue comme mon oncle de Navarre, qui semble toujours dire à chacun ce qui le mieux peut lui plaire, et raconte les hauts faits d’armes et belles aventures qu’il a vus, à vous empêcher de dormir pendant dix nuits de suite. Il est aussi sage et de bon conseil, et ne saurais-je croire ce que dit mon seigneur de père qu’il n’y a jamais de vérité dans ce qu’il dit, ni de loyauté dans ce qu’il conseille. Il a toujours été pour moi un bon seigneur et parent.»

Le roi de Navarre s’était en effet montré très joyeux de voir arriver son neveu, et tous les jours lui faisait de nouvelles fêles et lui montrait grands divertissements. Le jeune prince était en chasse tout le jour avec des habiletés qu’il n’avait pas encore connues à la cour du comte son père, et le soir soupait avec belle et grande compagnie, sans que jamais quelque nouveau présent, joyau, armes, chiens, oiseaux ou beaux chevaux, manquât d’être offert à l’Enfant de la part du roi lorsqu’il rentrai au château de Pampelune et qu’il était reposé de sa chevauchée. Ainsi se passèrent dix jours en grands ébattements, et le roi de Navarre pressait son neveu de rester plus longtemps auprès de lui, mais l’Enfant était pressé de revoir sa dame de femme, qui déjà deux fois lui avait envoyé des messages et des gages d’amour. Il savait aussi que le comte son père s’ennuyait de son absence; il ne voulut donc point céder aux demandes de son oncle et fixa son départ au lendemain. Plusieurs fois il avait entrepris de parler au roi de Navarre du dissentiment qui existait entre le comte son père et la comtesse sa. mère, et du désir qu’il avait de le voir cesser; mais il semblait que le roi ne voulût point entendre, et toujours détournait la conversation lorsqu’elle venait sur ce sujet-là. L’Enfant s’était dit:

«Mon oncle ne veut pas que je lui parle de mon père et de ma mère; il la veut retenir auprès de lui; je prendrai l’occasion au moment de partir, quand l’heure sera venue de monter à cheval, et que plus n’y aura-t-il moyen de me répondre. Il sera bien alors obligé de m’écouter, ne fût-ce que par courtoisie et pour ne pas me tourner le dos devant ses chevaliers.»

L’Enfant l’avait ainsi résolu, mais il était triste; il n’avait pu engager son oncle dans cette entreprise que si fort il désirait, de remettre en paix et amour son père et sa mère; aussi fut-il tout content et joyeux lorsque le roi de Navarre entra dans sa chambre la veille de son départ, au soir, et ayant d’abord bien regardé si les serviteurs du jeune prince étaient tous écartés, il tira de son sein une belle boursette en soie rouge, toute brodée d’or et de fines perles, et la lui donna, disant:

«Beau neveu, je vous dirai ce que vous ferez, et faites-le sans faute pour votre joie et pour la mienne. Vous voyez bien comment le comte de Foix votre père a, à son tort, en grande haine votre mère ma sœur. Je sais que vous le voyez, car plusieurs fois vous m’en avez voulu parler, et ne l’ai-je pas voulu, car j’attendais le jour. Ceci me déplaît autant qu’à vous, et j’y veux remédier. Pour préparer les choses en bon point et que votre mère soit bien avec votre père, quand l’occasion se présentera, vous prendrez un peu de cette poudre, qui est dans cette bourse, et vous en mettrez sur la viande de votre père; prenez garde seulement que nul ne vous voie. Et, si tôt qu’il en aura mangé, il n’aura de repos et n’entendra à aucune chose jusqu’à ce qu’il puisse ravoir sa femme votre mère avec lui, et ils s’entr’aimeront toujours si entièrement, que jamais ils ne voudront se séparer l’un de l’autre, et vous devez désirer grandement qu’ainsi il en advienne.

«Aussi, de ce fait, le comte votre père sera aussi bien et en bonne amitié avec moi, comme nous fûmes du temps passé, quand nous étions ensemble dedans Paris pendant que le roi Jean était, prisonnier des Anglais...»

Comme il disait ces mots, l’Enfant de Foix, qui jouait avec la boursette que le roi son oncle venait de lui donner, leva les yeux sur le visage du roi et fut tout effrayé en voyant ses yeux flamboyer et les veines de son front rougir et se gonfler comme c’était sa coutune lorsqu’il était en grand courroux. Dès que le roi se vit observé par le j eune prince, il reprit sa tranquillité et se mit à sourire:

«Ah! beau neveu, dit-il, vous vous étonnez que je paraisse fâché, mais je ne puis à cette heure parler du roi Jean de France, mon oncle et beau-père, sans que le sang me vienne à bouillir dans les veines, quand je me rappelle comment j’étais, sans nul doute ni crainte, à souper au château de Rouen, chez mon cousin et beau-frère le duc de Normandie, qui devait être le roi Charles V de France; là entra le roi Jean mon beau-père que nul n’attendait, et, devant lui, marchait messire Arnould d’Autrehem, qui tira son épée en disant:

«Que nul ne se meuve pour chose qu’il voie, s’il ne veut être tué de cette épée!»

» Comme le roi s’avançait vers les tables, je vis bien à sa contenance qu’il était venu en grand courroux et mauvaise entreprise et que j’étais celui auquel il en voulait. Or, vous dirai-je, beau neveu, encore que je fusse déjà bon chevalier et eusse combattu en plus d’un combat, que j’aurais voulu être autre part qu’en ce château de Rouen, car je savais le roi encore irrité de la querelle que j’avais eue avec messire Charles d’Espagne, son connétable, que tant il aimait, et auquel il avait donné les terres de mon héritage, ce qui avait amené la mort dudit connétable. Pour lors le roi s’avança vers moi, jetant son bras sur mon épaule et me saisissant par les cheveux, en sorte qu’il m’attira rudement contre lui; il était grand et fort et pour lors en toute la vigueur de son âge, je ne me voulais point débattre contre lui, et il me tint serré contre sa poitrine, disant:

«Or sus, traître, tu n’es pas digne de t’asseoir à la table de mon fils! Par l’âme de mon père, je ne pense jamais boire ni manger pendant que tu vivras!»

Ce fut à ce moment que mon bon écuyer Collinet de Béville, qui avait été nourri avec moi d’enfance, se jeta au devant de moi, tirant son coutelas, qu’il appuya sur la gorge du roi, disant qu’il allait l’occire s’il ne me laissait aller. Le roi Jean me lâcha aussitôt, disant à ses sujets:

«Prenez-moi ce garçon-là et son maître aussi.»

L’Enfant de Foix avait écouté ce récit; il partageait la colère de son oncle, et comprenait sa longue rancune.

«Et le duc de Normandie, bel oncle, demanda-t-il, que faisait-il pendant que vous étiez ainsi arrêté dans son château et en sa présence?

— Il était à genoux devant son père, répondit le roi de Navarre avec un sourire étrange, disant à mains jointes: «Ah! monseigneur, pour Dieu merci, vous me déshonorez; que dira-t-on de moi quand j’avais prié le roi et ses barons à dîner chez moi, et que vous les traitez ainsi? On dira que je les ai trahis! Et je ne vis jamais en eux que tout bien et toute courtoisie...

Le roi lui saisit brusquement la main.


— C’est ce que j’aurais dit moi-même, interrompit Gaston de Foix; il parlait bien, mon oncle; comment le roi son père ne l’écouta-t-il pas?

— Ses paroles ne servirent guère, beau neveu, reprit le roi de Navarre, non plus que les miennes qui plus humbles encore étaient, je vous en réponds; mais le roi disait: «Taisez-vous, Charles, ils sont mauvais traîtres, vous ne savez pas tout ce que je sais,» et à moi il disait: «Par monseigneur saint Denis, vous saurez bien prêcher et jouer de fausses menteries, si jamais vous m’échappez.»

— Mais cependant, mon oncle, reprit encore l’Enfant de Foix, vous ne mourûtes point, tandis que les barons qui avec vous avaient été pris furent tantôt occis?

— Je ne fus pas occis à cette heure, parce que ce n’est pas chose aussi facile de décoller un roi qu’un baron, dit le roi de Navarre, mais je souffris mille morts en ma prison quand on venait me dire le soir: «Demain, vous ne verrez pas le jour,» et le matin: «Vous ne verrez pas coucher le soleil.» Je n’ai jamais cru ni pensé que mon cousin et beau-frère le duc de Normandie fût si ignorant qu’il le voulait bien dire du dessein du roi son père. Aussi disait-on que je l’avais fait empoisonner. A cette heure, il est mort, Dieu veuille avoir son âme!»

Gaston de Foix n’écoutait plus; il avait repris la bourse, jouant avec les cordons et mettant son doigt dans l’ouverture; le roi de Navarre lui saisit brusquement la main:

«N’ouvrez pas la bourse et ne touchez pas à la poudre, dit-il vivement; si vous la goûtiez ou si vous la montriez à qui que ce fût, afin que votre père le sût, tout serait perdu et le bien que nous en espérons serait tourné en malheur et colère.

— Bien, dit lE’nfant, nul n’en saura rien, ou ne la verra,» et il cacha la boursette dans sa cotte fourrée, en ajoutant: «Bel oncle, si par votre grand savoir vous remettiez bien ensemble mon père et ma mère, je vous aimerai mieux que jamais neveu n’aima son oncle, et mieux que je ne vous aime à cette heure, ce qui pourtant est déjà beaucoup.»

Là-dessus le jeune homme partit de Pampelune, et s’en alla à Orthez, s’arrêtant seulement un jour sur la route à la cour du comte d’Armagnac, son beau-père. Quand Mme Béatrix le vit, elle sauta de joie, car encore était-elle jeune et tout enfant, et elle dit:

«Monseigneur, il était bien temps que vous me vinssiez chercher, sans quoi vous n’auriez plus trouvé votre gaie Armagnacaise, mais une pauvre veuve toute baignée de larmes. Je commençais d’apprendre à pleurer.

— Vraiment, ma belle, dit Gaston, riant et l’embrassant tout à la fois, il est donc l’heure de chevaucher vite vers Orthez, de peur de gâter vos jolis yeux par les larmes.» Elle riait aussi.

«Ah! je ne pleurerai pas maintenant que vous êtes céans, et bien volontiers resterai-je encore un peu avec vous chez mon père dans dans mon beau pays d’Armagnac.» Mais Gaston hochait la tète.

«Plus tard, nous reviendrons, ma belle, disait-il; j’ai promis à madame ma mère de vous la mener voir, mais qui sait? peut-être reviendra-t-elle faire compagnie à monseigneur mon père, et alors nous serons libres de visiter vos parents à leur tour. Pour lors, il nous faut retourner à Orthez.» Et la dame dit: «Monseigneur, volontiers.»

L’Enfant de Foix et Mme Béatrix chevauchaient.


Ce fut grande joie dans la ville et au château d’Orthez, quand on apprit que l’Enfant de Foix avec Mme Béatrix chevauchaient pour revenir au pays. Partout sonnaient les cloches des églises; dans toutes maisons on préparait les plus beaux habits pour aller dans les rues au-devant de l’Enfant et de sa jeune épouse, les ménagères sortaient des coffres les tapisseries et damas pour en parer les balcons et fenêtres. Nul ne l’avait ordonné et le comte se tenait dans son château, où se préparaient aussi les fêtes du retour; mais tous les gens du pays aimaient le jeune Gaston, et comptaient sur lui comme devant être un jour leur bon seigneur et maître, plus doux et moins fier que le comte son père, tout en sachant comme lui gouverner et défendre sa terre. Un seul cri retentissait dans les rues d’Orthez: «Vive Gaston, l’Enfant de Foix et de Béarn!»

Quand Gaston fut monté jusqu’au château où l’attendait le comte son père, celui-ci lui fit bonne chère et lui demanda des nouvelles de Navarre, sans jamais parler de la comtesse sa femme. Seulement, lorsqu’il eut demandé quels présents le roi son oncle avait faits au jeune homme, celui-ci montra les gobelets d’or, les joyaux précieux, les beaux chiens, les faucons et le cheval que le roi lui avait donnés, puis il dégagea l’agrafe qui retenait son manteau, laquelle était en or ciselé, garnie de grosses perles, et lui dit:

«Ceci m’a été donné par madame ma mère, qui a dit que vous la reconnaîtriez.»

Le comte prit l’agrafe entre ses doigts, la touchant et la retournant dans sa main.

«Elle a dit vrai, répondit-il, et sa voix paraissait à Gaston plus basse et plus profonde que de coutume; je la lui donnai, un jour, en souvenir d’une fois qu’elle m’avait elle-même, et pendant bien des jours, pansé une blessure que je m’étais faite à la chasse en tombant sur mon épée. Jamais elle ne voulut y laisser toucher un chirurgien ni valet, disant que personne n’avait la main aussi légère ni le cœur aussi amoureux qu’elle pour me soigner. Je croyais qu’elle avait oublié la blessure comme elle a oublié l’amour!»

Les yeux du comte paraissaient un peu humides. Son fils ouvrait la bouche pour parler, tout prêt à plaider la cause de sa mère, mais déjà le comte avait tourné le dos, et, rentrant dans sa chambre, il en ferma la porte: il n’avait pas rendu son manteau à Gaston, et l’agrafe était restée dans sa main.

L’Enfant n’osait frapper à la porte. Il demeura un instant pensif. «La poudre de mon oncle de Navarre n’aura qu’à parfaire une besogne bien commencée, se dit-il. Au fond de son cœur, monseigneur aime toujours ma mère. Si j’avais seulement pu lui dire qu’elle ne demande qu’un mot pour obéir!»

Scènes historiques.... Série 3

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