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CHAPITRE VI

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Table des matières

Gaston n’avait pas montré à son père la bourse que lui avait donnée le roi de Navarre; il la cachait sur sa poitrine, dans sa cotte fourrée, comme il l’avait fait depuis le jour où il l’avait reçue. Un soir, comme Mme Béatrix s’était retirée dans sa chambre, fatiguée après une longue journée de chasse et de chevauchée, l’Enfant de Foix s’en alla dans la chambre de son cousin Yvain, que son père avait élevé avec lui comme fils d’une sœur qu’il avait perdue, et qu’il aimait presque autant que Gaston lui-même. Là les deux enfants avaient dormi longtemps, et les deux lits étaient encore en la chambre. Causant et devisant, ils s’étendirent sur les lits et se mirent à jouer, changeant et pelotant leurs habits, qui de tout temps avaient été semblables. Yvain était sur son séant, embrassant ses genoux avec ses bras, lorsque la cotte de Gaston vint volant à travers la chambre qui heurta sa joue et lui couvrit la tête. A peine s’en était-il délivré, qu’il lança à son cousin sa propre cotte toute semblable qui était placée au pied de son lit; mais, tenant dans ses mains l’habit de Gaston, il toucha la petite pochette cachée dans la fourrure, et sortit la boursette que Gaston y avait laissée sans penser à mal.

«Gaston, dit-il avec malice, quelle est cette chose-ci que vous portez tous les jours sur votre poitrine?»

Gaston pâlit, car il se rappela aussitôt la bourse, et, se soulevant sur son lit, il cria d’un ton mécontent:

«Rendez-moi ma cotte, Yvain, vous n’en avez que faire.»

Yvain lui rejeta sa cotte.

«Ce n’est pas moi qui vous l’ai demandée, Gaston, répondit-il d’un ton de reproche.

— Si ne vous l’ai-je pas dit,» marmotta Gaston, qui semblait mécontent. Il enfila sa cotte et, sautant à bas du lit, s’en alla dans la chambre de sa femme, où toute la gaieté de la jolie Armagnacaise ne put lui rendre sa bonne humeur.

Le lendemain matin, Gaston avait repris son visage joyeux; il avait pensé en lui-même:

«Pourquoi m’attristerais-je de ce qu’Yvain a vu cette poudre en la boursette? Il n’en parlera à personne, et si je me hâte, la chose sera faite et Monseigneur aura rappelé ma mère avant seulement qu’on puisse deviner par quel moyen la pensée lui en est venue. Comment mon oncle de Navarre a-t-il pu apprendre de tels secrets, et ne sont-ils pas l’œuvre du diable, bien qu’il ne soit guère en ses habitudes de rapprocher les maris et les femmes, mais plutôt de les séparer? Je serai content quand ma mère sera derechef ici. Alors je jetterai la poudre et la boursette, car jamais Béatrix et moi nous n’en aurons besoin pour nous bien aimer.»

Il pleuvait et le temps était sombre. La gaie Armagnacaise était lasse de la chasse de la veille et de la mauvaise nuit qu’elle avait passée. Le comte était enfermé en sa chambre, où il écrivait son livre de la chasse, le Miroir de Phébus, des plaisirs de la chasse, des bêtes sauvages et des oiseaux de proie. Il était grandement savant en cette matière, et jamais homme ne sut mieux soigner et faire soigner chevaux, chiens et oiseaux.

Quand le comte était occupé avec ses clercs, nul ne pouvait approcher de lui, et, depuis deux jours, Gaston cherchait en vain une occasion de venir à sa table pendant qu’on y servait les viandes; mais le comte avait coutume de souper à part, et son fils lui-même n’approchait que lorsqu’il était appelé.

Après le dîner, l’Enfant de Foix et son cousin Yvain allèrent jouer à la paume. Quelques jeunes écuyers y allèrent avec eux, qui étaient des plus beaux et des mieux faits parmi les gentilshommes du pays, car le comte de Foix les aimait ainsi et faisait grand cas de la beauté des hommes et des femmes, en sorte que sa cour fut toujours belle et plaisante à voir.

Les deux jeunes gens jouaient ensemble, et les écuyers leur rejettaient les balles de paume quand elles sautaient en dehors de la galerie. Yvain avait plusieurs fois pris plaisir à frapper de sa raquette la balle de Gaston, qui s’en irrita, criant après lui de laisser sa balle. Yvain n’en tint compte et frappa une fois de plus. Gaston jeta sa raquette et courut sur Yvain; il lui donna un soufflet. L’Enfant de Foix était le plus grand et le plus fort; il était aussi le plus hardi, car Yvain venait souvent à larmoyer et se plaindre quand en sa place Gaston eût riposté par un coup. Ce fut ce qu’il fit encore cette fois, et s’en alla de la galerie tenant sa tête dans ses mains, tout irrité et pleurant.

Le comte sortait à cette heure de sa chambre, allant entendre vêpres dans sa chapelle. Il aperçut bien les larmes d’Yvain, mais comme l’heure était venue pour chanter l’office, auquel le comte était très dévot, il continua de marcher, accompagné de ses chevaliers et de ses clercs. Le chant des orgues se faisait déjà entendre, et nulle part n’était-il si mélodieux qu’en la chapelle du comte, lequel ne pouvait souffrir auprès de lui chose qui ne fût parfaite en sa nature; et aussi était-il grand connaisseur en musique, chants et beaux instruments.

Le comte aperçut Yvain.


Quand le comte eut ouï chanter vêpres, il sortit de la chapelle et regarda tout autour de lui s’il verrait encore Yvain. Celui-ci avait bien aperçu les yeux du comte fixés sur lui comme il passait, et il avait résolu en son cœur qu’il serait encore là tout pleurant quand l’office serait terminé, ayant bonne envie de se venger de Gaston. Le comte l’appela vers lui, car fort il l’aimait:

«Yvain, dit-il, que vous manque-t-il?»

— Au nom de Dieu, monseigneur, dit Yvain, Gaston m’a battu, mais il y aurait autant et plus de raison de le battre que moi.

— Pourquoi? dit le comte, qui entra aussitôt en soupçon, car il était de son naturel inquiet et plein d’imagination.

— Par ma foi, monseigneur, dit Yvain, qui plus ne songeait à larmoyer, depuis qu’il est retourné de Navarre, il porte sur sa poitrine une boursette toute pleine de poudre, mais je ne sais à quoi elle sert, ni ce qu’il veut en faire; seulement il m’a dit une fois ou deux que Madame sa mère sera bientôt et en bref temps mieux en votre grâce que jamais ne fût.»

Yvain n’aimait pas la comtesse, qui souvent l’avait brusqué quand il était enfant, tant il lui déplaisait de le voir égaler à son fils. Aussi était-ce avec grand déplaisir qu’il avait entendu Gaston se vanter d’avance du retour de sa mère. Le comte lui prit l’épaule, et le regardant entre les deux yeux:

«Oh! dit-il, tais-toi et prends bien garde que tu ne découvres à homme du monde ce que tu m’as dit.

— Monseigneur, répondit Yvain, volontiers.»

Le comte de Foix entra lors en grande imagination et s’enferma jusqu’à l’heure du dîner, puis il se leva et s’assit comme les autres jours à table en sa salle. Ce jour-là se trouvaient dans la salle et au repas grande foison d’évêques, d’abbés et chevaliers, et grand nombre de ménestrels se promenaient entre les tables, chantant et jouant de leurs instruments. En ce jour-là, le comte de Foix, qui était un magnifique seigneur, donna tant aux ménétriers qu’aux hérauts la somme de cinq cents francs, et revêtit les ménétriers du duc de Touraine, qui étaient venus dans son pays, cherchant aventure; il leur donna des draps d’or et les fourra de menu vair, lesquels draps furent estimés à deux cents francs, et le dîner dura jusqu’à quatre heures après none.

C’était la coutume du comte en ces jours de fête que Gaston son fils le servît de ses mets et fît essai de ses viandes; cependant, cette fois, il ne l’appela auprès de lui que le repas bien avancé, car il avait chargé messire Espaing de Lyon, qui commandait dans la salle, de faire faire l’essai de ses premiers mets par un écuyer. Lorsqu’il eut appelé son fils, comme on était venu aux entremets, qui ce soir-là étaient beaux et étranges, l’Enfant de Foix plaça devant le comte le mets qu’il devait servir, et se mit en devoir de faire ce qu’il avait à faire; mais le comte, tout informé de son fait, jetant les yeux sur lui, vit les cordons de la boursette qui pendaient hors de la cotte de son fils, car Gaston y avait porté la main, espérant enfin exécuter son dessein et mettre la poudre en l’assiette de son père. Le sang lui tourna dans les veines, et il dit:

«Gaston, viens ici, je voudrais te parler à l’oreille.»

L’Enfant s’avança vers la table sans rien craindre; cependant il avait pâli, car il voyait son coup manqué. Le comte ouvrit alors sa cotte et glissa sa main jusqu’au jupon; puis, prenant un couteau, il coupa les cordons de la boursette, qui lui demeura en la main; alors il dit à son fils:

«Quelle chose y a-t-il en cette boursette?»

L’Enfant, qui fut tout surpris et ébahi, devint blême de peur, et si éperdu qu’il ne sonna mot; aussi commençait-il à trembler, car il se sentait perdu. Le comte de Foix ouvrit la bourse, et, prenant de la poudre, il la mit sur une tranche de pain encore tout humide de la viande qu’on y avait posée, et, sifflant un lévrier qu’il avait auprès de lui, il le lui donna à manger. Sitôt que le chien eut mangé le premier morceau, ses yeux tournèrent dans sa tête et il mourut.

Quand le comte de Foix vit ce qui s’était passé, il fut tout courroucé, et il y avait bien matière; ceux qui étaient assis aux tables tout près de lui avaient vu aussi tomber le chien, et déjà se levaient-ils en grand trouble et émoi; mais le comte les avait tous devancés, et, repoussant sa table, il avait pris son grand couteau pour le lancer après son fils, qui eût été là occis sans remède, mais les chevaliers et les écuyers s’élancèrent entre eux, qui dirent:

«Monseigneur, par Dieu merci, ne vous hâtez pas tant, mais informez-vous de l’affaire avant que vous fassiez nul mal à votre fils.»

Tout ce qui était là dans la salle était à cette heure en mouvement et agitation; les uns parlaient gascon et les autres français, étant venus du pays de France, comme les évêques et les chevaliers espagnols parlaient leur langue entre eux, si bien que nul n’entendait l’autre; cependant au milieu de tout le tumulte s’élevait la voix du comte, qui, à cette heure, parlait gascon et non français, comme on revient en suprême angoisse à la langue dont on a été nourri en sa petite enfance, et il disait:

«0 Gaston, traître! pour toi, et pour accroître l’héritage qui te devait retourner, j’ai été en guerre et en haine au roi de France, au roi d’Angleterre, au roi d’Espagne, au roi de Navarre et au roi d’Aragon, et contre eux je me suis toujours ainsi tenu et porté, et tu me veux faire mourir! Cela te vient de mauvaise nature et du sang de Navarre qui est en tes veines. Sache que tu mourras à ce coup.»

Pour lors le comte avait quitté la table et vint dans la salle, son couteau toujours à la main; il marchait sur son fils, qui s’était laissé tomber sur un banc, pâle et tremblant; la sueur froide baignait son visage. Yvain était derrière lui qui pleurait, car il comprenait que la parole qu’il avait dite au comte avait éveillé ses soupçons contre Gaston.

«Comment, pensait-il, la poudre qui était dans la boursette a-t-elle pu faire mourir le chien? Je suis bien assuré que Gaston ne croyait pas qu’elle fût mauvaise. Peut-être son oncle le roi de Navarre le savait-il mieux que lui quand il la lui avait donnée.»

Ce pensant, Yvain se mit à genoux avec les chevaliers et écuyers, qui voulaient arrêter le comte, et qui disaient:

«Ah! monseigneur, pour Dieu merci, n’allez pas occire Gaston, vous n’avez plus d’enfants. Faites-le garder et informez-vous de la matière; peut-être ne savait-il pas ce qu’il portait et n’a-t-il nulle part en ce méfait.»

Les chevaliers pleuraient, Yvain pleurait aussi, et à travers ses larmes, il répétait:

«Monseigneur, Gaston n’en savait rien, car il disait que sa dame de mère serait bientôt auprès de vous et plus que jamais en votre grâce. Peut-être croyait-il que la poudre en la boursette était un charme qui lui avait été donné à cette fin par son oncle de Navarre.»

Au nom du roi de Navarre, les yeux du comte devinrent sombres, et il fit un pas de plus vers son fils; quelques-uns des chevaliers entouraient l’Enfant, s’étonnant de le, voir ainsi muet et glacé.

Messire Espaing de Lyon, qui l’avait nourri d’enfance, lui disait à l’oreille:

«Gaston, relevez-vous, prenez courage et dites hardiment à Monseigneur d’où vous vient la boursette, qui vous l’a donnée et ce qu’on vous a dit en vous la remettant.»

Mais rien ne pouvait être obtenu de l’Enfant, qui semblait comme un homme frappé à mort. Le comte le regardait avec mépris, et retenait à grand peine sa colère:

«Or tôt, dit-il, mettez-le dans la tour, et qu’il soit tellement gardé qu’on m’en puisse rendre compte.»

Gaston fut donc emmené en la tour du château d’Orthez, et on le mit dans une chambre qui était petite, étroite et sombre. Ceux qui le gardaient fermèrent solidement les verrous de la porte: «Car, disaient-ils, s’il venait à nous échapper, nous mourrions tantôt dans les supplices, sans aucune miséricorde.»

Les chevaliers s’élancerent entre eux.


Les chevaliers qui accompagnaient l’Enfant disaient cependant entre eux:

«Il ne pense seulement pas à s’échapper et à se défendre, comme devrait faire tout homme jeune et loyal si horriblement accusé. Il semble qu’il ait quelque chose sur sa conscience.

— Non, dit messire Espaing de Lyon, qui conduisait les autres; mais il a toujours aimé Monseigneur son père plus que tout homme au monde; quand il a vu quel danger le comte avait couru par la faute de son ignorance et par la créance qu’il avait eue en ceux qui lui avaient remis la boursette, son cœur s’est brisé, et bien heureux serons-nous s’il reprend jamais courage à la vie.

— D’abord faut-il qu’il échappe à la colère de Monseigneur, sa vie sauve,» pensaient les écuyers qui accompagnaient messire Espaing.

Scènes historiques.... Série 3

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