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COMPOSITEUR

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«Vous avez en vous la matière dont on fait tout: la Jeunesse. Profitez-en.» Ainsi s’exprimait Lamartine dans une lettre intime adressée à un poète de dix-huit ans. Richard Mandl n’a pas encore franchi l’âge heureux qui précède la maturité. A-t-il trente-cinq ans? Et ses œuvres originales, variées, personnelles, remplies de séduction justifient la belle sentence du poète. Richard Mandl a profité de la jeunesse, «cette matière dont on fait tout,» pour se créer des droits à l’admiration de ses contemporains en prenant place dans le cortège des hommes supérieurs qui demain seront des maîtres.

Vouloir est une force, mais la seule volonté ne fait pas l’artiste. Les qualités natives, le don doivent apparaître et se manifester avec quelque éclat chez l’enfant qui plus tard saura répondre consciemment à ses aptitudes en les développant. Sous ce rapport, l’enfance de Richard Mandl fut révélatrice. «Il n’avait pas sept ans, a dit un de ses biographes, qu’il improvisait des mélodies et, de ses doigts d’enfant, tentait déjà de les écrire.» Salutaire précocité. Tout homme est un être enseigné ; or, nous n’obtenons la leçon de nos aînés que dans la mesure où nous allons au-devant de leur sollicitude par le témoignage de capacités indiscutables. Mandl, né à Brossnitz, en Moravie, vint à Vienne de très bonne heure et c’est au Conservatoire de cette ville que des éducateurs renommés lui apprirent la grammaire de l’art. Chaque langue a sa syntaxe. La langue musicale ne fait pas exception. Sans doute, il appartient aux maîtres d’accroître le vocabulaire, d’ajouter aux dialectes parlés jusqu’à eux, mais de pareilles conquêtes sont toujours rares et supposent chez l’homme de génie qui les réalise une science approfondie de la technique, des règles en vigueur dans le domaine où s’exerce son activité. La formation de Mandl fut rapide et brillante. Lauréat sans rival des concours d’école, il était l’orgueil de ses professeurs qui se faisaient fête de le garder auprès d’eux. Vienne avait l’œil sur lui. On le nommait, il était connu, alors qu’il n’était encore qu’un disciple et, tout à coup, par une résolution soudaine, Mandl échappe à ses guides, avant même d’avoir conquis les plus belles couronnes que leurs mains lui tendaient, et il vient à Paris.

Ceci se passait en 1885. Depuis lors, la France est restée la patrie d’adoption de Richard Mandl.

Quelle explication donner à cet exode? Je soupçonne le lauréat du Conservatoire de Vienne d’avoir voulu se soustraire à des applaudissements prématurés, dont la sincérité devait être fatalement altérée par la sympathie qu’on lui témoignait. Il eut la pensée toute virile de s’expatrier, pour mieux échapper à toute complaisance. Il s’était rendu compte du péril des succès précoces et avait voulu se placer en face des difficultés de la vie sur une terre étrangère, afin d’être tenu de donner sa mesure. Bien lui en prit. Mais, à l’exemple des anciens qui jamais ne quittaient leurs foyers sans avoir enveloppé dans un pli de leur toge les précieuses effigies de leurs divinités domestiques, Richard Mandl avait emporté ses dieux.

Dirai-je leurs noms? Les dieux de notre artiste s’appellent Sébastien Bach, Mozart,. Beethoven, Brahms, Wagner. Tous l’ont inspiré. La logique de leurs œuvres impérissables l’a frappé. C’est à eux que Mandl est redevable de ces développements raisonnés d’une pensée musicale qui constituent la trame élégante et forte des compositions du jeune maître. Où chercher une originalité plus persistante, un style plus noble, toujours nuancé de mélancolie, une mélodie plus imposante, une harmonie plus dramatique qu’on ne les trouve dans l’œuvre de Bach? Le récitatif n’a pas de secrets pour lui. Ses cantates, son oratorio de la Passion semblent conçus d’un seul jet, en dehors de toute préoccupation qui puisse être une gêne pour le compositeur, et cependant personne ne s’est montré plus docile que Bach à suivre les paroles qui s’imposent à lui. Les exécutants qu’il met en branle sont légion. Les masses chorales et instrumentales obéissent à ses commandements sans que la discipline qu’il leur inflige trahisse l’effort chez le guide invariablement précis, audacieux et sûr de ces foules sonores.

Si Sébastien Bach a pour muse la mélancolie, Beethoven est poète dans la plus ample acception du mot. Il a l’audace et les coups de tonnerre des lyriques. Son génie est fait de grandeur. Lui aussi ne connaît pas d’obstacle lorsqu’il s’agit de montrer les ressources d’une instrumentation puissante. L’abondance de ses conceptions fait songer à la plénitude du génie s’il pouvait être donné à l’homme de marquer la limite où s’arrêtera la pensée des générations à venir.

Que parlé-je de plénitude si tout d’abord je n’ai nommé Mozart? N’est-il pas le plus opulent et en même temps le plus parfait des maîtres? De défauts, de lacunes, Mozart n’en a pas. Je ne sais quoi de riche et d’achevé distingue ses moindres ouvrages. L’inspiration l’accompagne dans toutes ses conceptions, mais un sens droit, délié, fait de logique et de simplicité revêt d’un manteau de lumière les hardiesses du maître et tempère ce qu’elles auraient d’abrupt sans ce complément.

Tout autre est Wagner. Celui-ci n’a pas en vue l’impeccable pondération de Mozart, mais dans ces heurts, dans ses élans, Wagner émeut par la puissance et le feu. Il a pour lui l’ampleur, la science orchestrale portée à un très haut degré. La passion, chez lui, a des accents d’un mérite inégal, mais il trouble et subjugue l’esprit par des cris soudains, une connaissance du cœur qui est la marque d’un rare talent.

De tous les maîtres, dont Mandl ait voulu se pénétrer, un seul est vivant, c’est Brahms. Vienne est fière de lui. Ses sonates, son Scherzo, ses romances surtout l’ont rendu presque populaire en Autriche. La lucidité, la décision dont il fait preuve, l’inspiration soutenue, le style élevé qui ont assuré le succès, de ses compositions empêchent qu’on l’oublie à l’heure actuelle, et son œuvre offre un exemple qu’il serait imprudent de dédaigner lorsqu’on s’est orienté soi-même vers la chanson.

C’est le cas de Richard Mandl. Je ne vous ai pas dit, en effet, qu’un nombre infini de dieux inconnus, de maîtres anonymes ont eu leur part d’influence sur le talent de l’artiste qui nous occupe. Les chansons populaires de France et d’Allemagne ne cessent d’être pour lui une source d’inspiration. Combien de ces chefs-d’ œuvre écrits par des rapsodes innommés sont des modèles de simplicité, de mélodie suave, d’émotion pénétrante! Admirateur enthousiaste de ces refrains gardés par l’âme d’une nation et fidèlement transmis de siècle en siècle, sans le secours de la plume ou de l’instrument, Richard Mandl a voulu étudier dans son évolution son demi-compatriote Jean Brahms, afin de suivre une voie parallèle où il ne cessât d’être original. La Mort des Roses, pour chœur de femmes, solo et orchestre; les recueils, sur paroles allemandes de Storm, Eichendorff, Rosegger, etc.; les Romances pour violon, pour violoncelle, Caprizzio, les Légendes d’amour, sur des paroles de Charles Vignier; les Chansons de la Dévote Marquise, des Courlis, d’Yvonne la simple, du Jouvenceau, Oubli vient, peine s’en va, Triste chanson, Pour ceux qui pleurent, Mélodies élégiaques forment un premier groupe de compositions dans lesquelles Richard Mandl se montre tour à tour ému ou satirique, poignant ou léger, avec un art fait de finesse, d’observation et de science élevée. La distinction n’est jamais absente des conceptions de l’artiste et telle de ses œuvres, comme l’Amour endormi, pour deux voix de femmes, chœur et orchestre, est empreinte d’une poésie intime du caractère le plus délicat. La Berceuse à l’enfant mort, avec ses invocations: «Qui sait ce que le délire» et «Toujours insouciante » est une aspiration puissante vers le bonheur dans l’au-delà : Ce n’est plus de Brahms que se rapproche une telle page. Le choral qui termine la Berceuse fait songer à Sébastien Bach. N’est-ce pas ce maître qu’il convient de nommer lorsqu’on a pu juger du soin scrupuleux que met Richard Mandl à traduire dans son style éloquent la pensée du poète dont il a fait son collaborateur?

Je passais un jour par l’avenue Niel. Le bruit d’un piano touché par une main d’artiste m’attira. J’entrai. J’étais chez Richard Mandl. L’homme est de taille moyenne. L’allure est jeune. La tête vit et pense. L’œil rayonne de lumière enveloppante Le front est vaste, ombragé par une chevelure bien fournie. Les lèvres toujours souriantes, disent la franchise du cœur, la droiture de l’esprit. L’intérieur de l’artiste est d’un goût absolu. Son luxe, ce sont deux pianos et un orgue, quelques meubles sculptés, des portraits, deux bustes: Mozart et Beethoven, plus un fragment du haut-relief de Rude qui décore l’Arc de l’Étoile. Ce fragment, un simple moulage, est la tête du soldat placé au centré de la composition du Départ et qui se retourne vers la Patrie comme pour affirmer du regard sa pleine adhésion aux appels de la déesse. Je ne sais pourquoi je me plaisais à voir dans ce moulage une sorte de symbole. A mesure que Richard Mandl s’affirme davantage sur la terre de France, ne semble-t-il pas qu’il doive se retourner souvent vers sa première patrie, l’Autriche, où il s’est instruit, et qui lui a demandé d’être grand? Mais je m’attarde. Le jeune maître veut me faire fête. Il est à son piano et, pendant que ses mains fiévreuses font vibrer l’ivoire, il me chante sa dernière romance: Ce que m’ont dit les flots:

Le flot m’a dit: Esprit superbe,

Qui mets ta gloire à tout oser,

Vois l’algue verte, ce brin d’herbe,

Que je berce sans le briser!

O toi que chaque heure dévoile

Incapable de compatir,

Vois, à l’horizon cette voile

Que je porte sans l’engloutir.

Être chétif et périssable,

Trop faible pour être clément,

Vois, j’ai pitié du grain de sable

Que je baigne éternellement.

Esprit inquiet et rebelle,

Cesse de te croire un banni:

C’est pour toi que ma vague épèle

Les syllabes de l’Infini.

Je ne sais ce que ces stances auraient inspiré à tout autre que Richard Mandl, mais ce que je puis affirmer, c’est qu’il a souligné chaque image, chaque mot du poète en l’illuminant de son verbe harmonieux. Telle phrase musicale donne le frisson, telle autre emporte l’esprit hors du créé.

Richard Mandl est un prodigue. Il est vrai qu’il risque peu de s’appauvrir en se multipliant devant ses hôtes. Deux strophes lui ont suffi pour qu’il traçât une page magistrale du plus puissant effet. J’en ai noté les paroles pendant que l’artiste me les chantait en s’accompagnant lui-même:

Ainsi que la femme après elle

Laisse un parfum qu’on nomme amour;

Ainsi que l’aigle ou l’hirondelle

Laissent leurs plumes tour à tour;

Ainsi que le temps qui s’envole

Nous laisse l’hiver ou l’été :

Poète à la sainte parole

Passe en laissant la liberté !

Je prédis à cette page un succès durable. Le musicien s’est montré supérieur dans l’interprétation des vers que nous rappelons ici. Mais peut-être sera-t-il peu satisfait de notre indiscrétion? Nous le dénonçons comme exécutant. Or, voici que, fortuitement, quelques lignes d’Armand Silvestre, écrites en 1891, tombent sous nos yeux:

«Très moderne, audacieux même, Richard Mandl n’appartient à aucune tradition d’école. Il n’est pas de la chapelle de Bayreuth, bien qu’il en adore le dieu avec une ferveur enthousiaste. Et son culte a d’autant plus de prix qu’il est des rares sachant vraiment lire dans l’évangile. Bien qu’il lui déplaise d’être loué comme exécutant, ce m’est un devoir de dire que nul n’interprète, au piano, Wagner avec une maestria comparable à la sienne, avec une profondeur et une sérénité d’impression plus communicatives. Il est certainement de ceux qui propagent le plus la bonne parole, rien qu’à la façon parfaite dont ils la comprennent et dont ils la répètent. Il n’appartient pas à la folie wagnérienne, mais à l’admiration raisonnée d’un des plus admirables génies de l’humanité. »

Cette dernière ligne trouvera des contradicteurs. Wagner est encore discuté dans notre pays. Mais n’oublions pas qu’Armand Silvestre n’est aussi absolu dans l’éloge de l’auteur de Lohengrin qu’après avoir appris à le goûter en compagnie de Richard Mandl. Le talent de l’interprète aura fait plus pour le maître de Bayreuth que les controverses ou les dithyrambes: il lui rallie des intelligences prévenues par la puissance et la séduction de son jeu.

L’écrivain que nous citions tout à l’heure nous conseille de demandera notre artiste «quelques-unes de ces danses viennoises imprégnées d’un sentiment tzigane si poignant, d’une mélancolie et d’une gaieté si vibrantes tour à tour.» Armand Silvestre nous avertit que les auditeurs de ces compositions «sentiront frémir un peu de cette terre de Bohême dont les fantaisies nous jettent en de si étranges enchantements et qui remplissent le chemin d’ironiques et amoureuses chansons». On ne saurait mieux dire. Le Moment musical, le Carnaval, la Valse sérieuse, pour ne citer que des pages achevées de la série des danses viennoises, se distinguent par une orchestration pittoresque, alerte, riche en épisodes imprévus et d’un charme particulier.

Je n’en finirais pas si j’entreprenais de tout rappeler. Un Ave Maria, des Litanies avec chœurs, un Offertoire pour orchestre à cordes, harpe et orgue, une Marche solennelle, une Orientale et mainte autre composition mériteraient d’être analysées, car Richard Mandl n’a cessé de produire depuis plus de dix ans. Mais je n’ai rien dit encore, et je me le reproche, d’un opéra-comique en un acte, la Rencontre imprévue dont l’artiste a écrit la partition sur un poème de M. Larsonneur. Les théâtres de Prague, de La Haye et de Rouen ont joué cette œuvre avec un succès soutenu. L’ouverture, un duo d’amour, un madrigal, le final donnent à cet acte unique un caractère exceptionnel. Ici, c’est une symphonie finement conçue; là, c’est la passion qui parle; ailleurs, c’est l’enjouement qui déride l’auditoire; et partout la jeunesse, la couleur, le mouvement, la vie se trahissent avec une abondance, une nouveauté d’heureux augure. Quand il le voudra, Richard Mandl sera maître de la scène. Il a le souffle dramatique.

L’artiste prépare en ce moment un drame lyrique, tiré de Parthénia, de Silvestre, et dont le scénario est de M. Estaunié. Ce drame comportera trois actes et quatre tableaux. Le théâtre de Prague est impatient de prêter sa publicité à cette œuvre importante qui, au dire des initiés sera supérieure à tout ce qu’a produit jusqu’ ici Richard Mandl. Le poète de Parthénia n’a pas craint d’écrire à ce sujet que «jamais il n’a rencontré une traduction aussi fidèle, aussi fraternelle de sa pensée chez aucun autre compositeur ». Il faut l’en croire, et, nous l’avons vu, ce respect des paroles fut aussi la caractéristique du talent de Sébastien Bach. Mandl suit les hautes traditions.

Mais si je n’ai rien entendu de Parthénia, il m’a été donné d’applaudir Griselidis. Rappellerai-je le prologue avec la «Marche des Croisés», le «Chant provençal», «Tristesse», «Alléluia», autant d’épisodes saisissants où les voix alternant avec l’orchestre émeuvent et passionnent les délicats? A diverses reprises, Lamoureux a voulu servir ce régala son public. En juin 1896, au Trocadéro, Louis Pister inscrivait Griseliclis dans le programme d’un concert où il faisait entendre des morceaux de choix de Saint-Saëns, Massenet, Widor. Quel ne fut pas l’effet du chant provençal interprété par Mme Boidin-Puisais?

En Provence, au matin vermeil,

Un berger, sous le clair soleil,

Dit à sa belle:

Regarde! tout aime ici-bas,

Comment ne te lasses-tu pas

D’être rebelle?

Des nids cachés sous les buissons,

Monte au ciel un vol de chansons

Folles et douces;

Regarde les agneaux légers

Bondir sur le seuil des vergers,

Parmi les mousses...

Ici la voix humaine fait place aux voix sans nombre de l’orchestre qui exécute une pastorale, et, pendant un instant, Griselidis, simple bergère, apparaît à l’œil de l’esprit dans l’humilité de sa vie champêtre; puis, la poétique incantation de Mme Boidin-Puisais précise, sans appuyer, le caractère de l’amoureux appel:

Seul, mon cœur ignore ici-bas

La douceur des charmants combats

Où l’on se donne;

Sous la fraîcheur des bois, viens donc,

Et, demain, demande pardon

A la Madone!

Un chœur d’anges suit immédiatement le Chant provençal, c’est un alleluia triomphant et sonore, avant-goût des fanfares célestes, car l’impression que fait naître Griselidis sous des formes variées, avec des accents joyeux ou tristes, est celle d’une échappée dans des sphères lumineuses où le terrestre n’atteint pas.

Certes, je n’ai point oublié le puissant effet de l’audition de juin au Trocadéro. Le concert était donné au profit d’un hôpital de Paris. Je ne l’ai pas dit, Mandl se prodigue sans compter en toute circonstance. Aussi, pour reconnaître le concours dévoué que cet étranger apporte à la France, le Gouvernement s’est-il empressé de lui décerner récemment les palmes d’officier d’Académie. Tout le succès du concert dont je viens de parler fut pour Richard Mandl. Griselidis avait permis d’apprécier le talent, la logique avec lesquels il sait poursuivre l’exposition d’une pensée. Un bon juge, M. Levin, écrivait un jour: «Les pensées de Mandl s’enchaînent comme les membres d’une architecture fine et solide.» C’est le bien connaître que de le juger ainsi. La finesse, l’intimité caractérisent ses compositions dans lesquelles l’artiste évite soigneusement tout éclat qui ne serait pas motivé par la vivacité d’un sentiment bien défini. Supérieur à la plupart de ses contemporains par le respect de son art poussé à un extrême degré, la sincérité jalouse de l’expression musicale en constant accord avec l’idée qu’il s’agit de traduire, notre artiste s’il se surveille, atteindra promptement au laconisme, à la concision qui saisissent l’auditoire, désarment la critique et marquent l’heure d’une maëstria hors de pair.

A diverses reprises il est question de Bach dans ces pages. On raconte que Mozart, à l’apogée de sa gloire, vint un jour à Leipsick. Doles était directeur de musique à l’École Saint-Thomas. Il résolut de fêter Mozart et, le dimanche qui suivit, il fit entendre au maître une cantate d’église composée par Bach. L’effet surpassa l’espérance de Doles. Il reçut de Mozart cet aveu: «Grâce aux ciel, voici du nouveau et j’apprends ici quelque chose!» Mais ce n’était pas tout. Mozart voulut emporter la partition de la cantate qui l’avait si vivement ému. La partition n’existait pas. Bach avait négligé de l’écrire; par contre, on possédait les parties séparées. Mozart s’en saisit et, les disposant autour de lui sur des chaises, on le vit porter rapidement les yeux d’une partie à l’autre, et c’est ainsi qu’il reconstitua la partition d’un chef-d’œuvre de Bach.

A l’exemple de Mozart, je me suis muni de quelques compositions, parties séparées de l’œuvre de Richard Mandl. Je les ai disposées devant moi, sur ma table de travail; mes yeux n’ont pas cessé de lire ces feuillets tracés par un artiste très personnel. Toutefois, je ne me flatte pas d’avoir su rapprocher ces morceaux épars au point d’en faire une partition. Mon lecteur, sans doute, connaît maintenant quelque chose de l’artiste dont je viens de parler, mais ce que j’en ai dit n’équivaudra jamais à l’audition d’un de ses ouvrages.

1896.

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