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ADRIEN DE LONGPÉRIER

Table des matières

ARCHÉOLOGUE

Savant et gentilhomme.

L’Institut rendra justice au savant. Je veux dire un mot du gentilhomme.

Tout le monde a connu ce beau vieillard, aux manières distinguées, à la parole facile et toujours juste. Son accueil faisait songer aux hommes de l’ancienne cour. J’imagine que les surintendants des Bâtiments du Roi sous Louis XIV n’avaient pas d’autre allure.

Sine macula, maculae «Mâcles, sans tache». Telle était la devise de Longpérier. Les Rohan portaient de gueules à neuf mâcles d’or.

Je ne sais pourquoi ces mâcles losangées reportent ma pensée vers ces menus fragments d’origine assyrienne que Longpérier a recueillis, classés, commentés avec tant de sollicitude et de génie.

C’est à lui que la France est redevable des Galeries assyriennes au Musée du Louvre.

Maxime Du Camp parlant hier d’Édouard Thouvenel disait: «Il donna à la France trois départements: la Savoie, la Haute-Savoie, les Alpes-Maritimes.» La France est redevable à Longpérier de l’empire de Ninive.

La conquête a été rude.

Les lieutenants de Longpérier dans cette entreprise se sont appelés Botta et Victor Place. Si je dis ses lieutenants, ce n’est point pour diminuer le mérite de nos consuls, mais par respect pour la vérité. Le chef de l’expédition, celui qui stimulait le zèle de nos agents consulaires, qui leur obtenait des fonds, qui recevait leurs bulletins et les faisait agréer du pouvoir central, c’est Longpérier.

Un jour, Victor Place perdit la bataille.

Il avait retiré du sol bouleversé de Mossoul des monuments d’une importance considérable. Les envois de Layard, agent d’Angleterre, aux musées de Londres, allaient être éclipsés. Longpérier, qui était instruit de la valeur des sculptures découvertes par notre consul, se sentait hors de lui. Victor Place embarqua sur des keleks, radeaux formés de pièces de bois soutenues par des outres, les lourdes pierres contemporaines de Sargon. Les keleks devaient suivre le Tigre jusqu’à Bagdad. L’embarquement eut lieu sans encombre. Mais le bruit se répandit parmi les Turcs que plusieurs outres des keleks, renfermaient de l’or. Un complot fut tramé.

Pendant une nuit, lorsque les radeaux descendaient lentement le cours du fleuve, des Turcs se jetèrent à la nage et perçant les outres de leurs poignards, ils firent sombrer le chargement.

Ce fut un coup de foudre pour Longpérier.

Le patriote et le savant se sentaient humiliés de cet échec.

Pendant plus d’une année le conservateur des collections assyriennes chercha le moyen de réparer cette défaite. Tenter de repêcher les monuments par des mains françaises était impossible. Il fallait trouver un auxiliaire qui eût quelque autorité sur la population de Mossoul.

Cet auxiliaire se présenta de lui-même à Longpérier.

Il s’appelait Messaoud-Bey et était officier.

Il proposa de relever les keleks et de les conduire à Bassora sans que la France eût à lui tenir compte de ses efforts avant leur plein succès.

L’offre était séduisante. Longpérier étudia soigneusement le plan de Messaoud-Bey.

Convaincu des chances de réussite que présentait sa proposition, il prit un jour Messaoud-Bey par le bras et le conduisit chez le ministre de l’Intérieur.

Celui-ci écouta sans rien dire.

Quand Messaoud-Bey et Longpérier eurent cessé de parler:

— Vous mettez, sans doute, dit le ministre à Messaoud-Bey une condition au service que vous êtes prêt à rendre à la France?

— Oui, Excellence.

— Quelle est-elle?

— M. de Longpérier vous la fera connaître.

— C’est bien.

Messaoud-Bey sortit.

Lorsque le ministre et Longpérier furent seuls:

— A quel prix cet homme met-il son dévouement?

— Excellence, Messaoud-Bey est un brillant officier. S’il réussit dans son entreprise, il demande la croix d’honneur.

Le ministre réfléchit un instant. — La croix d’honneur? Messaoud-Bey est étranger. Je ne puis condescendre à son désir.

Ce fut inutilement que Longpérier essaya de vaincre les scrupules du ministre. Il n’y parvint pas. Les marbres assyriens extraits avec notre or des ruines de Babylone et de Ninive dorment depuis trente ans au fond du Tigre pour une croix d’honneur refusée.

— «Vous voyez, cher monsieur, me disait, il y a moins d’un an, Longpérier, en me racontant cet épisode, j’aurais fait un bien médiocre diplomate! »

Il suffit à sa gloire qu’il ait été l’un des plus grands archéologues de ce siècle, et un patriote éclairé.

1882.

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