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L’ANE ET LA LOCOMOTIVE.
Un Ane d’âge mûr, cheminait lentement;
Il portait sur l’échine un lourd sac de froment;
Certain bâton noueux avait, sur la surface
De son rude épiderme, imprimé mainte trace...
L’Ane suivait pensif la route du moulin,
Semblant compter ses pas tout le long du chemin;
Mais voilà qu’il s’arrête auprès d’un bloc énorme,
Moitié fer, moitié cuivre et d’un aspect informe;
C’est la Locomotive au ton brusque et criard,
Qui voyant l’embarras de notre campagnard,
Lui fait un beau discours boursouflé d’éloquence,
Pour démontrer au mieux son extrême importance.
L’Orateur tout entier aux lyriques excès
Sans cesse lui vantait l’universel progrès,
Les aises de la vie et l’immense avantage,
Qu’ajourd’hui la vapeur offre aux gens en voyage.
L’Ane branle l’oreille et poursuit son chemin;
L’autre, plein de dépit reprend d’un air hautain:
Quand tu fais quatre pas tu regrettes l’étable
Moi, j’avance toujours, toujours infatigable...
De la vapeur le souffle emporte les fardeaux
Bien au loin sur les mers et par monts et par vaux:
Une heure et l’on franchit espace sur espace,
Tandis que sur ta maigre et vilaine carcasse
On t’applique à tout pas, ô mon pauvre baudet,
Quelque vigoureux coup de trique ou de fouet.
L’orgueilleux monstre veut qu’à l’instant on l’admire:
Ses naseaux sont en feu, mugissant, en délire,
Il glisse et s’en va, tout fumant, parader
En criant au grison: «Tu n’as qu’à regarder!»
Mais soudain, à toute vitesse,
Lançant un aigu sifflement,
Survient un long train en détresse
Et tout cède au choc foudroyant:
Voyageurs et colis, et vagons et chaudière
Se heurtant, s’écrasant, roulent dans la poussière;
Enfin bientôt après on n’eut sous les regards
Que des blessés, des morts, et maints débris épars!
Bien que fort peu subtil et de faible sagesse
L’Aliboron se dit, non sans quelque justesse:
Où diantre est le profit de si fort se hâter,
Pour qu’à moitié chemin tout aille culbuter?
Chacun se rit de moi; mais tout en broutant l’herbe,
Je rumine souvent ce fort ancien proverbe:
«Chi va piano va sano,
Chi va sano va lontano».