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II

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Un pas hésitant cria sur le sable de l’allée. M. Roumégas se retourna. Antoine était devant lui, très pâle, le teint plombé, le linge fripé, les cheveux en désordre, les yeux rougis.

Le vieillard eut un haussement d’épaules.

–Ah! te voilà!… à cette heure!… Tu n’as pas honte?… Allons!… Va te coucher!… Et tâche au moins d’être descendu pour midi.

Et, avec un nouveau haussement d’épaules plein de lassitude et de résignation, il se remit à arroser ses chères jacinthes.

Antoine ne bougea point.

–Tu ne m’as pas entendu? dit M. Roumégas, sans se retourner.

–Mon père, fit le jeune homme en avançant d’un pas.

Cette fois, M. Roumégas posa son arrosoir à terre, releva ses lunettes sur son nez, et d’un ton moitié fâché, moitié indulgent:

–Qu’est–ce qu’il y a, voyons?

Antoine parut rassembler tout son courage, et d’une voix basse:

–Eh bien!… cette nuit… au cercle…

–Tu as perdu!… Encore perdu!… Ah! malheur de ma vie! Il me tuera, cet enfant– là!… Tu m’avais pourtant juré… Parbleu! il n’y a qu’une chose à faire: payer!… payer encore, et toujours, jusqu’au dernier sou!… Il y va de l’honneur des Roumégas! Allons, combien?

Antoine se tut encore.

–Ce n’est pas cela?… Quoi donc, alors? une querelle? Tu as été insulté? Tu vas te battre? A! ces maudits tripots!…. que n’y fait–on pas?… on y boit, on y fume, on s’y dispute, on y joue, on y…

Une pensée terrible passa par l’esprit du vieillard, et anxieux, les mains tournées vers son fils, comme suppliantes:

–Oh!… pas ça, n’est–ce pas?…

Antoine baissa la tête.

Mon Dieu! c’était vrai!… Son fils, son fils à lui, Roumégas, un tricheur, un voleur! Le pauvre homme eut un éblouissemcnt et vacilla sur ses jambes, prêt à tomber.

–Papa!…. dit Antoine, s’avançant pour le soutenir.

–Ne me touche pas… ne me touche pas! dit le vieillard en se redressant avec une superbe énergie.

Et tournant la main du côté de la maison:

–Dans ta chambre, dit–il.

–Mon père, s’écria le jeune homme, laissez– moi m’expliquer… je ne suis pas si coupable que vous le pensez… J’ai été entraîné…

–Dans ta chambre, répéta Roumégas, inflexible.

Le fils s’inclina, et baissant la tête, courbant sa haute taille, comme un condamné, il se dirigea vers la maison et monta l’escalier, qui menait à sa chambre… Derrière, la tête droite, les yeux brillants, la démarche saccadée, le père suivait.

Ils entrèrent dans la chambre, une grande pièce banale, avec deux fenêtres sur la rue, en désordre, habitée à regret, cela se voyait bien. Quelques livres dépareillés, jetés çà et là; aux murs, des fusils de chasse, des épées, des pistolets; sur tous les meubles, des pipes, des pots à tabac, des cigarettes.

M. Roumégas referma la porte sur lui, et se tournant vers Antoine:

–Parlez, dit–il.

Le jeune homme s’assit lourdement sur son lit non défait, et, les yeux à terre, d’une voix entrecoupée, déchiquetant entre ses doigts fiévreux un bout du drap qui pendait:

–La dernière fois. quand je t’ai demandé de l’argent, je t’avais promis de ne plus jouer… je n’en ai pas eu la force… j’ai recommencé… j’ai perdu encore. Je n’ai pas osé m’adresser à toi une seconde fois… je perdais toujours… plus rien!… Alors, quelqu’un m’a proposé de m’associer avec lui… de jouer ensemble… nous perdions encore, toujours… Cette personne m’a conseillé, a tout préparé, et j’ai eu la faiblesse… Une folie, père, une folie!… pardonne–moi!…

Antoine se souleva à demi, les bras tendus vers son père.

–Continuez, dit Roumégas, debout devant lui, les bras croisés, comme un justicier.

Antoine reprit:

–Cette nuit, on a eu des soupçons… et nous avons été pris… mais pas moi!… moi, pas encore!… on ne sait rien de moi, tu comprends?… El si Baptistin ne parle pas.

–Baptistin!… le garçon des jeux… ton complice… un valet!… Mais où en es–tu tombé, grand Die!

–On ne sait rien encore, je te le répète. Plusieurs joueurs de la partie sont soupçonnés avec moi… Baptistin seul est arrêté… il se taira!

–Et toi, tu laisseras soupçonner des innocents! Pour conserver le peu d’honneur qui te reste, tu laisseras flétrir celui des autres!… Sais–tu que c’est une infamie, cela, tout simplement?

–Mon père. pardon!… pardon!… je vous promets. je te jure qu’à l’avenir.

–L’avenir! Est–ce qu’il y a un avenir pour toi?

Un bruit de pas résonna dans la rue tranquille et ensoleillée. On s’arrêta à la porte de la maison. Antoine se dressa sur son lit, haletant, l’oreille tendue. On sonna. Le jeune homme se précipita vers la fenêtre.

–Baptistin a parlé!… dit–il d’une voix éteinte, en pâlissant affreusement.

M. Roumégas regarda à son tour. Le commissaire de police était à la porte, accompagné de deux membres du cercle et de deux agents.

Roumégas laissa retomber le rideau, traversa la grande pièce dans toute sa longueur, prit un revolver au mur, s’assura qu’il était chargé et le tendant à son fils, qui l’avait regardé faire, comme hébété:

–Allons, lui dit–il.

Antoine ne prit pas le pistolet. Il fixait son père, de ses yeux démesurément ouverts, ne comprenant pas.

En bas, la porte de la rue s’était ouverte. Un colloque s’engageait entre la servante et les arrivants. Des éclats de voix étouffés montaient jusqu’à la chambre.

–Tu as perdu ton honneur: sauve au moins le nôtre, dit M. Roumégas. Allons donc!

Le colloque était terminé. Les pas résonnaient dans l’escalier de pierre, un vieil escalier, large et sonore comme une chapelle. On arrivait à la chambre.

–Lâche! murmura Roumégas, lâche jusqu’au bout!

Il retourna vivement le pistolet, dirigea le canon vers le front de son fils et appuya sur la détente. Antoine roula sur le lit, le crâne ouvert. On frappait à la porte.

M. Roumégas mit le pistolet encore fumant dans la main droite de son fils, ouvrit la porte, et montrant le cadavre étendu en travers du lit ensanglanté:

–Trop tard, messieurs!… Il s’est fait justice lui–même!

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