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II

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A l’heure dite, tout le monde était réuni autour du mail–coach, tout le monde… sauf la baronne et Prégilbert. On les attendit un quart d’heure, une demi–heure. personne! Le baron, rouge comme une pivoine, commençait à jurer furieusement dans sa moustache. On cria, on appela. l’écho des grands bois seul répondit. On avait ri d’abord, on commença à s’inquiéter. Une battue fut organisée, sérieuse cette fois. Rien. La nuit venait, il fallait rentrer, ou l’on risquerait fort d’être pris par l’obscurité dans des chemins peu commodes et tout détrempés par les dernières pluies.

–Ils se seront éloignés et auront regagné le château à pied, hasarda la comtesse.

–Oui… partons et nous les y trouverons, appuya le comte.

Le baron trépignait.

On lança un dernier appel, à pleine voix et d’ensemble: un bruit lointain y répondit, un bruit long, étrange, lugubre, qui n’avait rien d’humain, un hurlement plutôt. On tressaillit.

–Un loup! murmura Lansac à l’oreille de Faverolles; ça se corse!

La nuit était tout à fait tombée. Plus qu’un parti à prendre: partir au plus vite, retourner au château et revenir en nombre avec des armes. C’est ce qu’on fit.

Moins gai que l’arrivée, ce retour dans l’ombre, le long des grands arbres aux profils fantastiques, au milieu des ornières! Les rires s’étaient envolés. On parlait peu. On se souvenait de l’aventure du bûcheron de la semaine passée, et une inquiétude qu’on cherchait en vain à dissimuler serrait le cœur de tout le monde.

On arriva enfin. Les valets, étonnés du retard, attendaient sur le perron.

–La baronne de la Croix–d’Angis?… M. de Prégilbert?… demanda le comte à la portière.

–Pas encore rentrés, monsieur le comte, fut– il répondu.

Le pauvre baron eut un soubresaut. A l’inquiétude de savoir sa femme seule dans les bois avec Prégilbert, s’en joignait une autre non moins vive: celle du danger réel qu’elle pouvait courir. Il n’avait pas oublié l’aventure du bûcheron, lui non plus; et tout à l’heure, bien qu’on eût essayé de lui persuader le contraire, il avait bien reconnu le hurlement du loup… Ah! ce Prégilbert! il le tuerait!

Tout le personnel du château fut aussitôt mis sur pied. Les gardes s’armèrent, les domestiques se munirent de torches, ces messieurs prirent leurs fusils. On se réunit à la salle à manger pour avaler une tasse de thé en hâte. Tout le monde était consterné. La nuit obscure au dehors, les torches allant deçà, delà, comme des yeux sanglants, dans la grande cour, tout cela avait un air lugubre… Il fallait bien partir cependant. On partit.

Tout à coup la porte du salon s’ouvrit: Prégilbert et la baronne apparurent.

Un hurrah général les accueillit.

Ils paraissaient fort troublés tous les deux. Prégilbert était sans chapeau, et ce qui restait du feutre de la baronne n’aurait pas suffi à coiffer la petite reine Mab. Ils avaient les vêtements déchirés par les ronces, les cheveux au vent, les yeux brillants, comme sous le coup d’une émotion extraordinaire.

Le baron jeta son fusil sur un divan et bondit vers sa femme:

–Quoi?… balbutia–t–il, quoi donc?…

–Les loups! mon ami… les loups… M. Prégilbert vous dira… Ah! mon Dieu! mon Dieu!

Et elle s’abattit dans un fauteuil.

Qu’y avait–il dans tout cela?… drame ou comédie?… On attendait. Prégilbert parla:

–Oui, dit–il très animé, les loups… J’avais trouvé la bête… la baronne, veux–je dire… Elle s’était cachée loin, bien loin. Il était déjà tard… Nous avons voulu vous rejoindre… impossible de trouver notre chemin…

–Impossible! soupira la baronne.

–Vous avez dû entendre nos appels! rugit le baron.

–Les appels… oui! Mais il y avait un écho, un diable d’écho qui nous a trompés…

–Oui!… un écho!… gémit la baronne.

–Enfin, nous étions tout à fait perdus. La nuit était venue, je tâchai de m’orienter avec les étoiles.

–La Grande–Ourse, balbutia la baronne, nous avons cherché la Grande–Ourse!

–Et vous l’avez trouvée? demanda Faverolles.

–Oui. et notre chemin avec. Aussi nous nous dirigions rapidement vers le château, quand soudain, devant nous, dans l’ombre. deu grands yeux, deux grands yeux flamboyants.

–Accompagnés de deux autres!

–Et de deux autres encore!

–Les loups!… les loups!… s’exclama–t–on de toutes parts.

–Oui, dit la baronne… Trois loups!… Ah! mon Dieu! mon Dieu!…

–Ces six yeux flamboyants se rapprochaient de plus en plus… Le danger était extrême… Que faire? Fuir? C’était la perte certaine. Rester en place?… Ils avançaient de plus en plus… Une idée lumineuse me passa par la tête…

–Ah! oui! lumineuse!… la vie!… il m’a sauvé la vie!

–J’avais entendu parler de la peur qu’éprouvent les fauves à la vue de la lumière… Une boîte d’allumettes se trouvait dans ma poche. Je la pris… j’en allumai une… Les six yeux disparurent… les loups s’éloignèrent… Nous reprenons notre marche… Cinq minutes après, les animaux reviennent à la charge… Nouvelle allumette, nouvelle disparition.

–L’allumette de la Méduse, risqua Lansac.

–Petit à petit, d’allumette en allumette, nous avancions… Nous approchions du château… quand je m’aperçus avec effroi que la boîte, déjà entamée le matin, s’épuisait avec une rapidité effrayante… Et le chemin à faire était long encore… Au bout d’un instant, il ne reste plus que quatre ou cinq allumettes…

–Plus que trois, dit la baronne.

–Plus que deux!…

–Plus qu’une!

–Oui, plus qu’une, reprit Prégilbert. Notre dernière chance de salut!… Pour gagner du temps, nous marchons à grands pas… Je laisse les loups s’approcher le plus près possible… Puis tout à coup… frrrrt! L’obscurité s’éclaire… Ils s’enfuient en hurlant. Nous prenons un élan fou… Voici l’avenue… voici la grille… voici le château… nous sommes sauvés!

–Oui, sauvés, s’exclama la baronne. Merci, mon Dieu!

Tout le monde applaudit. Les femmes s’empressèrent autour de la baronne. «Ma chère… ma pauvre chère…» Ces messieurs complimentèrent Prégilbert sur sa présence d’esprit… Seul, le baron se taisait.

Silencieusement, il s’approcha de la table où Prégilbert avait jeté la boîte d’allumettes vide, l’examina… Puis, soudain, comme frappé d’une idée subite, s’avançant vers le jeune homme:

–C’est bien cette boîte–là?

–Oui, baron.

–Et vous dites que les allumettes ont pris feu?

–Certainement… Sans cela…

Le baron lui mit la boîte sous le nez:

–Vous mentez! elles étaient de la régie!

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