Читать книгу Étude sur la viticulture et sur la vinification dans le département de la Charente - Jean Clément Prieur - Страница 7

Des crus charentais.

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Le département de la Charente, dit M. Coquand, «se

«trouve divisé en deux régions distinctes autant par l’as-

«pect général, par la nature différente du sol et par le cli-

«mat, que par le langage et le costume de leurs habi-

«tants .»

La région est, dernier contrefort de la Marche et du Limousin, domine le reste du département, qui s’incline vers l’ouest en une pente insensible pour aboutir aux plaines de la Saintonge et de l’Aunis, qui se terminent elles-mêmes à la mer.

ARRONDISSEMENT DE CONFOLENS. — Une petite Sibérie. — Montrollet et le père Chambragne. — Cette région a son rôle bien marqué dans le climat dont jouit la partie ouest du département appelée aussi par opposition Pays-Bas. Son élévation protège ces dernières contrées contre le vent d’est, désigné vulgairement sous le nom de bise limousine, et qui se partage avec le vent nord-ouest, dit de galerne, l’animadversion du public agricole charentais . Celui qui écrit ces lignes se rappellera toujours les souffrances endurées dans une pérégrination qu’il fit à cette extrémité du département, et par une journée d’hiver, à Montrollet, bourg situé sur un point culminant, en face la montagne du Blond, avec une vallée profonde entre les deux où se jouaient un vent glacial, la neige et les frimas; un instant il eût pu se croire dans une Sibérie quelconque, si ce n’eût été le vin généreux qui lui rappelait le canton natal, la patrie, et la galette de sarrasin du père Chambragne, qui lui rappelait l’hospitalité traditionnelle de notre pays.

Les vignobles de Brigueuil, deSaulgond, d’Étagnat. — Cependant, à peu de distance de Montrollet, sur la commune de Brigueuil, canton de Confolens, et sur quelques parcelles de terre inclinées à l’ouest ou au midi, on a créé quelques petits vignobles dont les produits se consomment sur place. A Saulgond, canton de Chabanais, la culture de la vigne est plus importante; à Étagnat, le beau vignoble du comte Du-pont fournit une moyenne très-respectable de vins légers en couleur et peu alcooliques, qui s’écoulent dans les lieux environnants.

A mesure que l’on se rapproche de l’arrondissement d’Angoulême, le sol devient plus propice à la vigne, et les coteaux qui bordent le Son et la Sonnette, les plateaux qui couronnent les bassins de ces deux rivières et de leurs affluents, s’émaillent çà et là de vignes d’assez belle venue.

Nous avons pu voir sur quelques points des terrains en pente et couverts, il y a peu d’années, d’ajoncs et de châtaigniers, plantés en vignes vigoureuses et d’un produit relativement avantageux.

Il est vrai que les sols en question contiennent en de fortes proportions du calcaire, et que le sous-sol est perméable, condition essentielle, comme nous l’avons dit, à toute plantation fructueuse; mais il existe beaucoup de terrains de composition identique qui donneraient des résultats aussi satisfaisants en des mains plus industrieuses et plus intelligentes.

En général, on cultive sur le même champ les cépages rouges et les cépages blancs, et on obtient, par leur mélange dans les tonneaux vinaires, un vin léger appelé vin gris, peu agréable à boire sans doute, mais qui ne laisse pas que de rendre quelques services aux populations de cette contrée en leur procurant une boisson saine et d’un prix peu élevé. Nous avons pu acquérir la conviction, par la dégustation fréquente des vins de cette contrée, que ce mélange était, ici, rationnel et bien ordonné. Les vins faits exclusivement de raisins rouges ont un goût de terroir prononcé ; ils sont froids, d’une faiblesse alcoolique qui ne leur permet guère de dépasser le mois de mai. Les raisins blancs, qui donnent un vin moins chargé de matières albumineuses, et qui sont plus alcooliques, corrigent en partie ces défauts .

Les principaux cépages qu’on y cultive sont le saint-rabier et le mérignac, appelé aussi blanc Limousin, ou encore, et improprement, balzac blanc. Le premier cépage est recherché pour sa fertilité ; il donne un vin assez alcoolique, mais chargé de matières albumineuses et fermentescibles qui rendent sa conservation difficile. Mais l’abondance de son produit rachète un peu sa mauvaise qualité aux yeux des propriétaires de cette contrée, qui trouveraient cependant quelque avantage à lui adjoindre un cépage plus fin, et dont l’influence sur la qualité du vin pût atténuer en partie celle du terroir; telle serait, par exemple, la mondeuse de Savoie, qui nous semblerait convenir au sol et au climat de cet arrondissement.

Les améliorations que nous signalerons dans le cours de ce travail à propos de la culture de la vigne dans les autres vignobles du département pouvant s’appliquer également à ceux qui nous occupent, nous renvoyons, pour ces détails, aux chapitres relatifs à chaque opération viticulturale.

Avenir agricole de cet arrondissement. — Toutefois, et pour répondre à quelques objections qui se sont peut-être produites dans l’esprit du lecteur, tant sur l’aptitude viticole du sol qui nous occupe que sur son avenir agricole, nous n’hésitons point à affirmer que la culture de la vigne doit se restreindre, dans l’arrondissement de Confolens, aux sols les plus pierreux, et par conséquent les plus sains et les plus aérés; d’où il résulte forcément que les vignobles que nous avons énumérés et ceux qu’on pourrait dans la suite leur adjoindre resteront comme des oasis au milieu du terrain granitique et schisteux de cet arrondissement.

Imperméabilité du sous-sol. — Nous avons dit au chapitre II de cette étude, en parlant des sols propres à la culture de la vigne, quelle est l’importance du sous-sol, et quel rôle il joue dans la question qui nous occupe; c’est précisément cette condition essentielle qui fait ici généralement défaut. Dans la plus grande partie des terrains de l’arrondissement de Confolens, le sous-sol est composé d’une couche d’argile qui s’oppose à l’infiltration des eaux; les coteaux eux-mêmes subissent cette loi générale, à tel point que les prairies naturelles recouvrent leurs flancs d’un vert et épais gazon, qui constitue une des principales ressources de cette contrée en la rendant particulièrement propre à l’élève du bétail.

D’ailleurs on peut bien, par un mélange judicieux des terres ou par des amendements, modifier la nature d’un sol et le rendre apte à produire des céréales, des graminées et quelques légumineuses qu’il n’eût jamais produites sans ces améliorations foncières; mais on ne saurait modifier un fond radicalement impropre à la vigne au point d’y rendre cette culture prospère et lucrative.

La mutualité dans la production. — Or, il est admis de nos jours, en agriculture comme en industrie, que chaque contrée doit, en thèse générale, borner son ambition à la culture et à l’exploitation de ses produits naturels. A mesure que la civilisation grandit, à mesure que l’humanité marche dans les siècles, l’intelligence universelle se modifie, et la mutualité des services, la solidarité des intérêts lui apparaissent comme les grands leviers destinés non pas à mettre un terme à ses labeurs, mais à prévenir les crises, à atténuer les souffrances sociales.

Si, en effet, tel pays peut produire naturellement et sans efforts les céréales, n’est-il pas évident qu’il y aura avantage à consacrer son sol à cette culture plutôt que de le violenter pour lui arracher en efforts onéreux et souvent stériles un produit pour lequel il n’a aucune affinité ? Si dans telle contrée la vigne, malgré les soins dispendieux qu’elle exige, a peine à mûrir ses fruits et ne donne qu’un vin détestable et délaissé du commerce, n’est-il pas évident encore que s’engager dans cette voie ce serait méconnaître ses intérêts et faire peu de cas des leçons de l’expérience?

La chaux et les céréales. — L’avenir, pour l’arrondissement de Confolens, ne saurait donc résider dans la culture de la vigne. Mais cette culture, considérée même accessoirement, peut y devenir un auxiliaire avantageux. La nature, d’ailleurs, a mis à la portée de ses habitants des éléments puissants de richesse, que le progrès moderne tend à développer sans cesse. Les amendements calcaires (1) sont en

(1) Dans ces dernières années surtout, l’usage de la chaux s’est généralisé dans l’arrondissement de Confolens; voici comment on l’emploie: Le dosage est déterminé par la nature du sol, et d’autant plus élevé que le sol est plus humide ou plus pauvre en élément calcaire. La chaux est conduite dans les champs et déposée en train d’y transformer la culture des céréales, et la consommation de la viande assure un débouché avantageux au nombreux bétail qu’on y élève ou qu’on y soumet à l’engraissement.

La culture de la vigne devient plus lucrative à mesure que l’on se rapproche de l’arrondissement d’Angoulême. — Nous avons dit qu’à mesure que l’on se rapprochait de l’arrondissement d’Angoulême, la culture de la vigne devenait plus lucrative et par conséquent prenait plus d’extension. Les communes de Saint-Mary, des Pins, de Taponnat-Fleurignac, de Saint-Adjutory, en sont des exemples. Les vins, quoique faibles, prennent cependant plus de corps, et leur consommation s’étend davantage.

STATISTIQUE VITICOLE DE L’ARRONDISSEMENT DE CONFOLENS.


ARRONDISSEMENT DE RUFFEC. — L’arrondissement de Ruffec, dont le sol, dans sa partie septentrionale, participe de celui du Poitou, produit, dans sa partie O. et S. O., canton de Mansle et canton d’Aigre, des vins rouges assez estimés comme vins de table; les vins blancs de chaudière du canton d’Aigre font classer les eaux-de-vie de cette contrée dans la catégorie des bons Bois et les rendent dignes peut-être d’un classement plus avantageux. Les vins du canton de Villefagnan et de Ruffec sont moins estimés.

Cépages cultivés, noirs: balzac, petit noir, prunelé ; — blancs: folle blanche et jaune, chalosse, balzac et sauvignon.

STATISTIQUE VITICOLE DE L’ARRONDISSEMENT DE RUFFEC.


ARRONDISSEMENT D’ANGOULÊME. — L’arrondissement d’Angoulême est celui des arrondissements de la Charente qui produit la plus grande variété de produits. La qualité, ici, varie selon l’altitude du lieu. Les lieux bas, ou fortes terres, produisent des vins étoffés comme couleur, mais généralement plats et d’une conservation difficile; les lieux élevés, les terres légères ou bonnes groies donnent les vins les plus estimés et les plus recherchés du commerce.

Le canton de Saint-Amant-de-Boixe. — Xambes, Vervant, Coulonges, Saint-Amant-de-Boixe, Villejoubert, Tourriers, Montignac, Vars, Anais, produisent d’excellents vins rouges, assez foncés, généralement très-corsés et d’une conservation facile. Aussac, Nanclars, le Maine, produisent des vins rouges secs d’une consommation agréable. Ambérac, la Chapelle, Vouharte, Chebrac, Marsac, donnent des vins rouges estimés et de bons vins blancs de chaudière.

Le Roc de Vars. — Le plateau qui divise le bassin de la Charente de celui de l’Argence, dont les points extrêmes et culminants sont l’ancien télégraphe aérien, commune de Vars, et le hameau de la Touche, commune d’Anais, supporte le vignoble dit du Roc de Vars, dont la vieille réputation ne s’est pas encore démentie .

Cépages. — Les principaux cépages cultivés sont le balzac, cépage rouge, et la folle, cépage blanc; les cépages divers intercalés, rouges: le pineau, le gros et le petit noir; blancs: le saint-pierre, le balzac blanc; le sauvignon, la dône, le bouillaud.

Le canton de Rouillac. — Le chef-lieu du canton de Rouillac possède un marché périodique, le 27 de chaque mois, où se cotent les bonnes eaux-de-vie des Bois. Quelques-unes des communes de ce canton fabriquent des eaux-de-vie bon Bois dont le moelleux et l’arôme ne laissent rien à désirer; ce canton produit en outre des vins rouges très-estimés, dont on trouve les meilleurs] types dans les communes de Mareuil et de Plaizac.

Cépages cultivés, blancs: folle blanche, folle jaune, balzac; — noir: balzac.

Le canton de Hiersac. — Le chef-lieu du canton de Hiersac est également le siège d’un marché périodique à eaux-de-vie le 12 de chaque mois; les produits de ce canton sont recherchés du haut commerce.

Les vins rouges des communes de Moulidars, Asnières, Linars, Champmillon, etc., trouvent un écoulement avantageux qu’explique leur bonne qualité. (Mêmes cépages.)

Les deux cantons d’Angoulême. — Des deux cantons d’Angoulême le plus fertile est sans contredit le canton Nord; les communes de Saint-Yrieix, Balzac, Champniers, Mornac, Garat, Bouex, donnent quelques produits remarquables, quoique généralement plus légers et moins corsés que ceux précédemment énumérés.

Le canton Sud, moins productif, en raison des vastes surfaces occupées par ses plateaux crétacés et du peu de consistance de la plus grande partie des sols cultivés, ne laisse pas d’être en progrès marqué, et les vins de Puymoyen Vœuil, Dirac, s’écoulent avantageusement dans le chef-lieu du département. Ces deux cantons produisent aussi des vins blancs destinés à l’alambic.

Cépages cultivés, noir: balzac; — blancs: les deux folles et le balzac blanc.

Le canton de La Rochefoucauld. — Le canton de La Rochefoucauld, coupé du sud au nord par la vallée de la Tardouère, si fertile en céréales et en plantes fourragères, produit dans sa partie ouest, sur les groies légères des communes de Jauldes et de Brie, des vins secs, peu colorés, d’une conservation facile dans les bonnes années; la commune de Brie récolte également des vins blancs d’une distillation avantageuse.

Cépages cultivés, noirs: balzac, saint-rabier; — blancs: folle, balzac blanc, saint-pierre.

Le canton de Montbron. — Les autres communes de ce canton se rattachent généralement par la constitution géologique de leurs sols et par la nature de leurs produits au canton de Montbron.

Le chef-lieu de ce dernier canton est très-productif en vins. Le vignoble de Saint-Sornin, le plus important de la contrée, fournit en assez grande quantité des vins rouges de petite consommation. Cépages noirs: saint-rabier, balzac. Les vins blancs de la Fenêtre, même commune, sont estimés.

Les produits de l’extrémité sud du canton de Montbron offrent de l’analogie avec ceux du Périgord; les communes de Mainzac, Charras, Feuillade, donnent des vins légers de couleur, mais assez corsés et durables.

Les cantons de Lavalette et de Blanzac. — Les cantons de Lavalette et de Blanzac sont fertiles en bons vins de chaudière. Cépages: folle blanche et jaune, chalosse, saint-émilion, balzac. Les produits de ces cantons prennent chaque jour plus d’importance au point de vue de la quantité des vignes que l’on y plante sur des terrains jusque-là improductifs. La qualité de leurs eaux-de-vie est chaque jour mieux appréciée.

STATISTIQUE VITICOLE DE L’ARRONDISSEMENT D’ANGOULÊME.


ARRONDISSEMENT DE BARBEZIEUX. — Les cantons de Barbezieux, de Montmoreau, de Chalais, de Brossac, de Baignes, produisent des vins blancs presque exclusivement convertis en eaux-de-vie. Dans quelques communes, cependant, on cultive avec avantage des cépages rouges qui produisent des vins de bonne qualité : telles sont, par exemple, les communes de Vignolles, Sainte-Radegonde, Condéon.

STATISTIQUE VITICOLE DE L’ARRONDISSEMENT DE BARBEZIEUX.


ARRONDISSEMENT DE COGNAC. — Le canton de Jarnac, sur ses coteaux de l’est et du nord-est, produit abondamment des vins rouges très-remarquables et qui s’écoulent dans la Haute-Vienne et dans la Creuse: tels sont ceux qui se récoltent dans les communes de Mérignac, de Foussignac, Chassors et Sigogne. La partie basse, à l’ouest et au sud-ouest, produit des vins blancs qui sont convertis en eaux-de-vie.

Les cantons de Cognac, de Segonzac et de Châteauneuf produisent les eaux-de-vie types, dites de Cognac, dont la consommation s’étend au monde entier et dont la réputation est universelle, que les autres vignobles nous envient, et que la cupidité est en train de dénaturer et de compromettre par la fraude.

Cépages, noirs: balzac; blancs: folle jaune, folle blanche, saint-émilion, colombard, balzac blanc.

STATISTIQUE VITICOLE DE L’ARRONDISSEMENT DE COGNAC.


Dans cet exposé rapide des crus charentais nous avons passé légèrement sur toute la partie sud-ouest du département, sous la réserve expresse d’y revenir et de faire une étude approfondie de son sol et des produits qu’on en retire.

C’est une tâche très-ardue que celle de la classification des crus d’une contrée, où chacun apporte ses préférences et ses préjugés; mais c’est une chose utile, et nous l’avons entreprise avec l’espoir que nous serions suivi dans cette voie. Nous n’avons négligé aucun moyen de contrôle, et nous provoquons par ces recherches celui du public.

Cependant, à mesure que nous avancions dans ce travail, nous sentions nos appréhensions grandir; ici, encore, l’individualité laisse subsister le doute et peut provoquer l’envie. Une œuvre de cette importance ne saurait acquérir la force de chose jugée que lorsqu’elle aura reçu la consécration de l’opinion publique, et nous ne saurions mieux faire pour arriver à ces fins que d’inviter notre Société d’agriculture à imiter celle de la Dordogne en créant des concours annuels pour les vins et les eaux-de-vie de notre département .

Cela dit, revenons à notre sujet.

Les eaux-de-vie de la Charente se classent en deux catégories principales: les Champagnes et les Bois. Ces deux catégories de produits se subdivisent elles-mêmes en des nuances nombreuses que l’on caractérise commercialement sous les titres de Borderies, Grandes et Petites Champagnes; Fins Bois, Bon Bois et Bois Communs. On comprend de suite combien il serait difficile à priori d’assigner une limite locale et franchement déterminée à chaque nature de produits; cependant les usages du commerce ont consacré une classification arbitraire généralement acceptée, mais qui suscite les plaintes et provoque les doléances des producteurs qui se prétendent lésés par cette classification trop étroite.

Faut-il espérer la suppression de la carte dressée par le haut commerce de Cognac, ou désirer son maintien indéfini? La question est embarrassante, car, s’il est vrai que sa suppression peut profiter momentanément à certains vignobles voisins de la zone privilégiée, il pourrait bien arriver aussi que le trouble dans les transactions naquît de l’indécision ainsi consentie et presque commandée; et cette situation nouvelle, qui pourrait captiver les esprits généreux par ses apparences libérales et émancipatrices, pourrait bien être le signal d’une débâcle définitive pour notre renommée sous les auspices de la fraude et du cosmopolitisme envahissant des produits adultérés.

Mais nous pensons qu’une modification dans la division des zones, qui serait exécutée sous le double contrôle et sous la double autorité de la pratique et de la science, la dégustation et la connaissance géologique des terrains, pourrait être tentée sans danger, et qu’elle serait de nature à mettre fin aux plaintes plus ou moins fondées dont nous parlions tout à l’heure.

Nous avons déjà parlé (chap. II) de l’influence considérable qu’exercent le sol et le sous-sol sur la qualité des produits; ceci admis, il est rationnel d’admettre aussi que, sur deux sols de composition géologique identique, sous une même climature et plantés des mêmes cépages, toutes choses égales d’ailleurs, on doit obtenir des produits analogues. Si nous n’hésitons pas à poser ceci en axiome, nous reconnaîtrons cependant que, dans la pratique, on pourrait trouver des obstacles dans une foule de cas qu’il est impossible de préciser; mais ce serait toujours une question de nuances insaisissables qui n’empêcheraient pas d’appliquer la règle.

Cette restriction faite, nous allons citer quelques pages d’un homme éminent qui a consacré huit années de son existence à l’étude du sol charentais, M. Coquand. Nous n’avons pas à préjuger la question de savoir si quelques cantons des arrondissements d’Angoulême et de Barbezieux, les cantons de Blanzac et de Lavalette par exemple, peuvent produire des eaux-de-vie dont le mérite égale celui des eaux-de vie de Champagne; nous la laissons subsister telle qu’elle est posée, et nous faisons des vœux pour que la pratique vienne corroborer dans un avenir prochain des études scientifiques qui ouvrent à notre viticulture locale de nouveaux horizons.

«L’eau-de-vie connue du monde entier sous le nom que

«lui a donné la ville de Cognac, dit M. Coquand, parce que

«cette ville est le centre le plus important de son com-

«merce, jouit d’une réputation d’incontestable supériorité

«sur toutes les liqueurs analogues. Sa production, circon-

«scrite dans les deux départements de la Charente et de la

«Charente-Inférieure, donne lieu à un mouvement d’affaires

«que l’on évalue à 90 millions de francs, année commune.

«Presque toutes les eaux-de-vie de Cognac sont enlevées

«au sortir de l’alambic par l’Angleterre, la Russie et

«l’Amérique. Ce qui reste pour la consommation française

«est donc très-peu de chose, si l’on considère la masse to-

«tale du produit de 200,000 hectares de vignobles dont les

«cinq-sixièmes passent à la distillation.

«Les eaux-de-vie de Cognac se distinguent des eaux-de-

«vie de toute autre provenance par un double mérite, et

«c’est ce double mérite qui les place tout à fait hors ligne.

«C’est d’abord la délicatesse et la puissance de leur arome;

«c’est ensuite la persistance de cet arome malgré l’addition

«d’une notable quantité d’eau-de-vie commune, pourvu

«que celle-ci n’ait aucun goût qui lui soit propre. L’énergie

«de cet arome est telle qu’il est très-difficile de distinguer

«les eaux-de-vie de Cognac pures de ces mêmes eaux-de-

«vie allongées avec une certaine dose d’alcool étranger.

«Mais il va sans dire que les eaux-de-vie mélangées, tout

«en conservant leur parfum caractéristique, ne peuvent plus

«supporter un nouveau mélange sans un affaiblissement

«notable de ce parfum.

«Les détails dans lesquels nous venons d’entrer étaient

«indispensables pour faire comprendre, d’une part, l’im-

«portance capitale qu’attachent les négociants étrangers à

«recevoir pures des eaux-de-vie destinées à des mélanges,

«et, d’autre part, combien le commerce de Cognac est in-

«téressé à ne pas être trompé lui-même par les proprié-

«taires et les distillateurs. Il est clair que si les maisons de

«Genève, de New-York, de Saint-Pétersbourg, ne rece-

«vaient plus des eaux-de-vie possédant dans les coupages

«leur efficacité première et connue, les prix exceptionnels

«n’auraient plus raison d’être, et que la riche et florissante

«industrie des deux Charentes serait frappée au cœur.

«Or, jusqu’à ces derniers temps, les fraudes avaient été

«très-difficiles, parce que la mauvaise foi ne connaissait

«aucune liqueur alcoolique assez privée d’un goût sui ge-

«neris, assez inerte, en terme du métier, pour que son in-

«troduction dans l’eau-de-vie de Cognac ne se révélât pas

«au palais des dégustateurs de profession. Mais depuis que

«la cupidité a découvert que les alcools de grains et de

«betteraves soigneusement rectifiés se prêtaient merveil-

«leusement aux sophistications par suite de leur inertie

«absolue, la facilité de frauder a encouragé la fraude et lui

«a fait prendre de telles proportions que l’alarme s’est ré-

«pandue parmi les propriétaires exposés à une concurrence

«déloyale insoutenable, et menacés dans leur fortune ter-

«ritoriale.

«La chimie a été impuissante à reconnaître le genre de

«sophistication dont il s’agit. Jusqu’à ce jour, en effet,

«ainsi que cela ressort du rapport adressé par M. Payen à

«la Société impériale et centrale d’agriculture, «dans l’é-

«tat de la science, les moyens de découvrir les mélanges

«entre les eaux-de-vie de Cognac et les alcools complètement

«rectifiés, provenant de la distillation des grains, du riz,

«de la betterave, sont loin d’aller au delà des données aux-

«quelles les dégustateurs peuvent à bon droit prétendre.»

«Si les détails qui précèdent établissent la supériorité

«incontestable des eaux-de-vie de Cognac sur les eaux-de-

«vie des autres provenances, il restait à trouver les rela-

«tions qui pourraient exister entre les diverses qualités

«que le commerce cote à un prix différent, suivant leur

«provenance et la nature des sols qui les produisent; re-

«chercher, en un mot, l’influence que la constitution géolo-

«gique des crus pouvait exercer sur ces diverses qualités.

«Il était facile d’admettre, à priori, que c’était à la compo-

«sition particulière du terrain qu’il convenait d’attribuer

«la spécialité des esprits de l’arrondissement de Cognac;

«cette composition favorisant le d’éveloppement de vigno-

«bles dont le vin qui en provenait, de goût médiocre

«comme vin de table, fournissait à la distillation un pro-

«duit que ses excellentes qualités imposent au monde en-

«tier. Cette conclusion était d’autant plus légitime que les

«mêmes cépages qui étaient cultivés dans les environs de

«Cognac, transportés sur d’autres sols et élevés d’après la

«même méthode, donnaient des eaux-de-vie d’une valeur

«bien inférieure et incapable de soutenir la comparaison

«avec celles produites par les vignes mères.

«Il ne faudrait pas croire cependant que toutes les com-

«munes dont est constitué l’arrondissement de Cognac

«fournissent indistinctement des alcools de premier choix.

«La région méridionale, c’est-à-dire les coteaux qui, entre

«Segonzac et Barbezieux, courent parallèlement à la Cha-

«rente et forment une bande continue depuis Nonaville

«jusqu’à la rivière du Né, jouissent seuls de la réputation

«des crus du premier ordre. Ils sont désignés par le com-

«merce sous le nom de Grande-Champagne.

«On donne celui de Petite-Champagne à la plaine

«crayeuse qui, depuis Cognac jusqu’à Châteauneuf, forme

«une dépression limitée, au sud, par les coteaux de la

«Grande-Champagne, et, au nord, par le bourrelet ro-

«cheux qui domine la Charente et la borde jusqu’à Châ-

«teauneuf.

«Enfin, sous la dénomination de Pays-de-Bois, on com-

«prend les contrées rejetées sur la rive droite du fleuve,

«et dont le sol est formé par les calcaires solides à Hippu-

«rites et à Caprines. Elles se font remarquer par une

«végétation moins vigoureuse ou sont occupées par des

«sols argilo-sableux, d’abord complantés en bois, puis sou-

«mis à un défrichement successif, à mesure que le prix de

«plus en plus élevé des eaux-de-vie incitait les proprié-

«taires à substituer la vigne à toutes les autres cultures:

«d’où le nom d’eau-de-vie des Bois donné aux esprits pro-

«venant de ces régions.»

Ces faits matériels et affirmés par un long usage étant connus, M. Coquand s’est appliqué à en rechercher les causes, et il est arrivé à formuler ces principes consacrés par l’expérience et contrôlés par les négociants et les propriétaires «les mieux placés par leur intelligence et leurs connaissances pratiques» :

«1° Dans l’arrondissement de Cognac (et nous verrons

«plus loin qu’on peut y comprendre plusieurs communes

«des arrondissements d’Angoulême et de Barbezieux), les

«eaux-de-vie dites Grande-Champagne proviennent exclu-

«sivement des couches crayeuses qui constituent l’étage

«campanien, que caractérise si nettement la présence de

«l’Ostrea vesicularis, et qui s’étend depuis les coteaux de

«Salles, de Gimeux et de Segonzac jusqu’à l’extrémité mé-

«ridionale du département. C’est au même étage qu’ap-

«partiennent les terres blanches des cantons de Blanzac et

«de Lavalette, ainsi que les coteaux d’Archiac, d’Échebrune

«et de Pérignac, dans le département de la Charente-Infé-

«rieure, c’est-à-dire la continuation de la rive gauche du

«Né, des couches campaniennes de l’arrondissement de

«Cognac;

«2° Les eaux-de-vie de la Petite-Champagne proviennent

«des couches calcaires placées au-dessous de l’étage cam-

«panien et au-dessus de l’étage provencien, c’est-à-dire de

«l’étage santonien. Dans cette zone, qui est beaucoup plus

«étendue que celle dont nous venons de parler, les bancs

«offrent une pierre plus solide, moins crayeuse, mais

«empruntant, néamoins, quelque chose de la friabilité des

«bancs campaniens, auxquels ils passent par nuances in-

«sensibles. La roche, en un mot, est moins tuffacée;

«3° Enfin, les eaux-de-vie des Bois proviennent des co-

«teaux formés par les calcaires durs à rudistes ou des

«champs recouverts par les sables et les argiles tertiaires.

«Si les premiers donnent des qualités préférables, cela

«tient assurément à la présence du principe calcaire qui

«manque au second. J’omets à dessein de mentionner ici

«les qualités de Moyenne-Champagne, de Moyen-Bois, qui

«représentent des produits intermédiaires que l’on obtient

«principalement au point de contact ou vers les limites des

«divers étages que nous avons mentionnés.

«Ces principes une fois admis, j’étais amené à conclure

«que la vigne, pour produire de bonnes eaux-de-vie, serait

«placée dans des conditions d’autant plus favorables qu’elle

«rencontrerait un sol calcaire très-léger et friable, dans le-

«quel les racines auraient la faculté de pénétrer plus facile-

«ment et de puiser les substances minérales nécessaires à son

«développement; or, comme cette propriété friable ettuffacée

«des calcaires était, sinon exclusive, du moins presque spé-

«ciale à l’étage campanien, la Grande- Champagne, géologi-

«quement parlant, ne devait et ne pouvait embrasser que les

«régions où cet étage existait, et, par conséquent, la question

«de qualité se traduisait par une question de géologie pure.

«En comparant ensuite, sur la carte dressée par la Société

«vinicole, les limites dans lesquelles était emprisonnée la

«Grande-Champagne commerciale et les divisions tracées

«sur ma carte géologique, je dus reconnaître que les ri-

«vières du Né et de la Charente, qu’on avait fixées comme

«limites officielles, embrassaient bien, il est vrai, les co-

«teaux crayeux de l’étage campanien, mais qu’elles englo-

«baient aussi d’autres terrains qui, comme ceux que l’on

«voit se développer depuis Bourg-Charente jusqu’à Château-

«neuf, sont formés par des calcaires durs ou des pierres

«de taille; qu’elles englobaient une partie de la plaine de

«Saint-Même, ainsi que les pentes des coteaux qui sont

«occupés par des cailloux et des graviers, terrains qui ne

«peuvent en aucune manière être assimilés, pour la qua-

«lité de leurs eaux-de-vie, à ceux des coteaux crayeux,

«bien que, cependant, dans la vente, on les considère

«comme Grande-Champagne. Je dus reconnaître en même

«temps que, par contraire, il existait en dehors des ri-

«vières du Né et de la Charente, à Louzac et à Saint-Lau-

«rent, par exemple, des coteaux identiques, par leur com-

«position minéralogique, aux coteaux de la Grande-Cham-

«pagne dont ils n’étaient en réalité que le prolongement, et

«qu’on qualifiait injustement du nom de Pays-de-Bois.

«Cette qualification avait le grand inconvénient pour les

«propriétaires de voir leurs produits frappés d’une dépré-

«ciation imméritée et traités comme eaux-de-vie des Bois,

«bien qu’ils soient eaux-de-vie de Grande-Champagne, tan-

«dis que les produits de Saint-Même étaient cotés sur le

«marché de Cognac comme Fine Champagne quoiqu’ils fus-

«sent incontestablement inférieurs aux leurs et véritable-

«ment eaux-de-vie des Bois.»

La théorie pure n’aurait pu satisfaire l’esprit investigateur et éminemment progressiste de M. Coquand. Il improvisa un petit congrès d’hommes spéciaux et distingués qui s’adjoignit un dégustateur, puis l’on parcourut ainsi l’arrondissement de Cognac. Le géologue étudiait le terrain et fixait la qualité que devait donner telle ou telle propriété ; le dégustateur, que l’on appelait ensuite dans les chais, devait contrôler l’opinion du géologue, c’est-à-dire reconnaître au goût si la qualité était bien réellement en harmonie avec le jugement prononcé au nom de la science géologique. Il est digne de remarque, dit M. Coquand, que le dégustateur et le géologue ne se sont trouvés en désaccord pas même une seule fois .

«La question se trouvant résolue pour l’arrondissement

«de Cognac, il s’agissait d’étendre l’application du prin-

«cipe proclamé aux terres blanches des arrondissements

«d’Angoulême et de Barbezieux et de rechercher les causes

«qui avaient frappé de discrédit des eaux-de-vie qui, pro-

«duites par les mêmes cépages et dans les mêmes condi-

«tions qu’à Cognac, se vendaient cependant 10 francs de

«moins l’hectolitre.

«En étudiant sur ma grande carte ou sur la carte réduite

«qui accompagne le texte du premier volume la constitu-

«tion géologique de l’arrondissement de Barbezieux et des

«cantons de Blanzac et de Lavalette, il est facile de s’as-

«surer que, dans ces régions, les calcaires crayeux teintés

«en vert sont recouverts en grande partie par des bandes

«ou brandes qui couronnent la presque totalité des coteaux

«et envahissent souvent même les vallons inférieurs. Ce

«recouvrement de l’étage campanien par des argiles ou des

«sables a pour résultat funeste de masquer un terrain de

«grande valeur et de le remplacer par des terrains dont la

«nature ne comporte guère que le développement des

«bruyères, des châtaigniers et des chênes; ce sont les pays

«des bois par excellence. Comme la plantation de la vigne

«a détrôné toutes les autres cultures, il en résulte que les

«vignobles recouvrent indistinctement les terres blanches

«ou de Champagne et les terres de Bois, et qu’au moment

«des vendanges, le propriétaire ne distingue pas entre les

«produits de ces deux sols, d’espèce toute différente, et qui

«donnent, l’un des eaux-de-vie Fine-Champagne et l’autre

«des eaux-de-vie des Bois. Aussi, quand les esprits de

«Blanzac et de l’arrondissement de Barbezieux sont pré-

«sentés sur la place de Cognac, le palais des dégustateurs

«est presque constamment mis en défaut, à cause des qua-

«lités diverses qui. arrivent de ces provenances; et il a été

«reçu que tout cognac qui n’aurait pas pour origine la

«Champagne commerciale de Cognac serait réputé eau-de-

«vie des Bois, sauf à déterminer leur mérite relatif, et à en

«fixer le prix suivant le mérite, mais sans leur reconnaître

«cependant le titre officiel d’eau-de-vie de Champagne.

«Cette façon de procéder, la seule d’ailleurs qui puisse

«être raisonnablement mise en pratique, a soulevé une

«foule de réclamations que les parties intéressées inter-

«prétaient chacune dans son sens. J’ai vu, dans les cantons

«de Blanzac et de Barbezieux, bon nombre de proprié-

«taires qui soumettaient à mon jugement de vieilles eaux-

«de-vie pouvant rivaliser avec les meilleurs crus de Genté

«et de Gimeux, et qui se plaignaient amèrement de la dif-

«férence qu’on établissait, dans les prix, entre leurs pro-

«duits et ceux des environs de Cognac. Or, leurs doléances

«étaient fondées, car ceux qui les exprimaient avaient tous

«leurs vignobles dans les terres blanches; d’autres pro-

«priétaires au contraire, voisins des premiers, convenaient

«franchement que les eaux-de-vie qu’ils fabriquaient ne

«pouvaient pas soutenir la concurrence avec celle de la

«Grande-Champagne, et que tout ce qu’on pourrait désirer

«c’est qu’elles fussent classées dans les bons Bois; et ils

«avaient aussi raison, car leurs vignes poussaient dans un

«sol tertiaire, donc silico-argileux.

«On comprend que le commerce de Cognac n’avait au-

«cun intérêt à expliquer ces contradictions, et continuait

«à maintenir, pour les provenances de Barbezieux et de

«Blanzac, les prix inférieurs. Mais les cultivateurs ou les

«acheteurs sur place, qu’on a désignés par l’expression

«blessante et imméritée de caroteurs, qui avaient conscience

«de l’excellence de leurs produits, les introduisaient clan-

«destinement dans les chais de la Grande-Champagne, et,

«grâce à un fauxcertificat d’origine octroyé par un Champa-

«gnard, les mêmes eaux-de-vie passaient comme Fines

«Champagne.»

Enfin, M. Coquand termine son étude des terrains de l’arrondissement de Cognac par cette comparaison avec une autre contrée de la France également favorisée par ses produits naturels:

«Les terrains de la Champagne du nord de la France et

«ceux de la Champagne du sud-ouest appartiennent à la

«même formation géologique, présentent une composition

«minéralogique à peu près identique, et offrent pour la

«culture de la vigne une aptitude favorable particulière

«qui assure une supériorité incontestable aux vins mous-

«seux, ou eaux-de-vie qui en proviennent. Il est à noter

«de plus que, dans des dernières années de disette, la Cha-

«rente a expédié sur Reims la plus grande partie de ses

«vins blancs, lesquels, moyennant des lettres de naturali-

«sation, ont été livrés à la vente comme vins de Champagne

«mousseux.»

Étude sur la viticulture et sur la vinification dans le département de la Charente

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